a écrit :Des candidats embarrassants
LE MONDE | 07.01.08 |
En mars, le maire PS d'Etaples-sur-Mer ne se représentera pas. Heureusement, celui qui se propose de lui succéder présente le profil-type de l'élu local socialiste, pour cette ville de 11 000 habitants, dans le Pas-de-Calais : 51 ans, travailleur social, secrétaire de la section locale depuis 2000 et membre du bureau fédéral du PS. Le candidat a été investi à une confortable majorité par les adhérents de la section d'Etaples. Mais à l'échelle départementale, la fédération n'a toujours pas accepté de valider ce vote.
Ce conflit a été largement évoqué devant la convention nationale du Parti socialiste consacrée aux élections municipales, le 15 décembre 2007. Ce jour-là, des militants avaient menacé de sortir des cornes de brume pour manifester leur mécontentement et dénoncer un manquement manifeste à la démocratie interne. La direction nationale, François Hollande en tête, s'en est mêlée et a promis d'arbitrer en leur faveur. Mais toujours rien à ce jour... Difficile, à quelques semaines des élections municipales, d'aller à l'encontre de la puissante et ombrageuse fédération du Pas-de-Calais.
Un détail : le candidat à la mairie d'Etaples s'appelle Bagdad Ghezal. En 2001, lors de la précédente élection municipale, les responsables locaux l'avaient prié de retirer sa candidature, au nom du respect de la parité... lui expliquant qu'il s'agissait de permettre à son épouse, Martine, d'intégrer la liste de gauche. Cette fois, après un nouveau refus, il n'a pas voulu obtempérer. "Etaples est un village gaulois qui ne compte pas beaucoup de gens d'origine étrangère, dit-il. Mes adversaires répètent qu'avec mon nom, ce n'est pas évident. Or, ici tout le monde me connaît et m'accepte ; la vérité, c'est que l'on est en train d'inventer un problème qui n'existe pas."
La fédération du Pas-de-Calais, qui refuse de sortir de son mutisme, lui préfère Antoine de Rocquigny, un énarque de 35 ans, dont les adhérents ont repoussé la candidature. Cadre supérieur à la SNCF, il dispose d'une résidence secondaire à Etaples, sur la côte d'Opale, et assure avoir la confiance du maire sortant. Descendant de l'une des plus vieilles familles de la ville - où il existe une avenue de Rocquigny -, il s'appuie sur les résultats d'un sondage selon lequel il parviendrait à conserver la mairie alors que M. Ghezal serait battu. Membre du PS de très fraîche date, il évoque "l'animosité" que suscite, selon lui, son adversaire, et campe sur une stricte lecture des statuts : "Etaples est une ville de moins de 20 000 habitants, c'est donc la fédération départementale et non pas la convention nationale du PS qui est compétente pour trancher." De son côté, Bagdad Ghezal espère que la rue de Solférino tapera du poing sur la table, comme elle s'y est engagée. "Je suis victime d'une discrimination sournoise, dit-il. On ne me dit jamais rien en face. Mais je tiendrai bon."
Dans le jargon socialiste, Bagdad Ghezal figure parmi les "candidats issus de la diversité". Des militants maghrébins pour la plupart, des Noirs plus rarement. Au PS, on préfère s'en tenir au vocable officiel qui tient autant de la langue de bois que du politiquement correct. Va donc pour "les candidats de la diversité", autour desquels flotte un malaise que le Parti socialiste n'essaie même plus de dissimuler. Pas seulement depuis que le gouvernement a accueilli Rama Yade, Rachida Dati et Fadela Amara sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy. Mais aussi depuis les dernières législatives : malgré une moisson de députés moins mauvaise que prévu, le PS s'est révélé incapable de faire élire le moindre candidat maghrébin ou originaire d'Afrique. Il s'est donc engagé à promouvoir la "diversité" à l'occasion des municipales de mars.
Certains de ces candidats, bien qu'enracinés de longue date, n'en sont pas moins confrontés aux réticences, voire à l'hostilité, des instances locales ou départementales du Parti socialiste. Le premier secrétaire, François Hollande, l'a reconnu : ces engagements, qui ne se sont encore que partiellement concrétisés, confirment l'existence, au sein du parti, de "certains préjugés, réticences et frilosités". "Pourtant, le risque existe que tout cela ne soit qu'un voeu pieu, un discours déconnecté de la réalité", redoute un militant "de la diversité", sous couvert d'anonymat - il est lui-même candidat et, s'excuse-t-il, ne tient pas à "faire de vagues".
Après vingt-trois années passées au Parti socialiste, Chafia Mentalecheta a fini par rendre sa carte. C'était en juin 2007, après avoir tenté sans succès d'obtenir l'investiture pour les élections législatives dans la première circonscription du Puy-de-Dôme, à Clermont-Ferrand. "Juste avant le vote, les adhérents ont reçu dans leur boîte aux lettres un tract les appelant à "ne pas voter pour la beurette". C'en était trop. J'en ai eu assez d'être une militante issue de la colonisation", assure-t-elle.
Clermontois lui aussi, Guy Kpamegan, professeur de mathématiques d'origine béninoise, souhaitait concourir sous l'étiquette socialiste aux élections cantonales. Trois adhérents de la section nord de Clermont-Ferrand portant des noms marocains et algériens étaient également sur les rangs. Apparemment, c'en était trop. "Ce n'est pas raisonnable ! s'est publiquement indigné un conseiller municipal socialiste influent en plein milieu d'une réunion, en octobre. Nous avions l'habitude de donner des maisons ou du travail à ces gens-là, et voilà qu'ils veulent être comte à la place du comte."
Chafia Mentalecheta a tenté de saisir la Haute Autorité contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). Sa démarche est restée sans suite. Quant à M. Kpamegan, il a décidé de se présenter aux cantonales contre le candidat socialiste officiel. "Il est faux de prétendre que les Français ne sont pas prêts à voter pour un Noir ou un Arabe, explique-t-il. Il faut obliger les partis à évoluer, quitte à multiplier les candidatures dissidentes."
Zorah Aït-Maten avait été reléguée très loin sur la liste de gauche, dans le 7e arrondissement de Lyon. La convention nationale s'est penchée sur son cas : le maire sortant, Gérard Collomb, a reçu pour consigne de la faire figurer en position éligible. "Si vous saviez tout ce que j'ai entendu... Que les gens d'origine étrangère, à peine arrivés en France, exigeaient tout, tout de suite. Que mon nom allait faire bondir les cathos lyonnais ou encourager les gens à voter Front national", enrage Mme Aït-Maten. La candidate craint qu'"une parole raciste ne se soit libérée au sein du parti".
Kader Arif, secrétaire national aux fédérations et député européen, voit une part de malentendu dans ces tensions. "La politique se vit sur un temps long, alors que nous autres, tellement pressés de nous intégrer, nous nous inscrivons dans l'urgence", plaide-t-il.
Le PS revendique 32 élus régionaux - dont 10 vice-présidents - maghrébins, noirs ou d'origine asiatique. Il n'est pas le parti le moins accueillant. Ses dirigeants nationaux font valoir qu'en mars des candidats "de la diversité" conduiront les listes dans une vingtaine de villes de plus de 20 000 habitants - dont Orly, Vaulx-en-Velin, Vernon, Cannes, le 1er arrondissement parisien ou encore Garges-lès-Gonesse et Evreux.
Conseiller général du Val-d'Oise et candidat à la mairie de Garges-lès-Gonesse (40 000 habitants), qu'il pourrait ravir à l'UMP, Hussein Mokhtari refuse de se considérer comme "un candidat de la diversité". Il se définit "comme militant et élu socialiste, un point c'est tout". "Arabe de service, très peu pour moi", bougonne cet ancien conducteur de bus devenu cadre à la RATP, qui déteste voir "certains jeunes issus de l'immigration se prévaloir de leurs origines pour réclamer des responsabilités politiques".
Ingénieur en informatique, conseiller régional, secrétaire d'une importante section PS et membre du bureau fédéral de l'Eure, Rachid Mammeri, 38 ans, a tout du jeune notable socialiste normand. Les militants l'ont élu à une large majorité (60 %) pour conduire la liste d'union de la gauche à Evreux (Eure), une ville de 85 000 habitants où, au second tour de l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont fait jeu égal. Conquise en 2001 par Jean-Louis Debré, aujourd'hui président du Conseil constitutionnel, la municipalité dirigée par son successeur, Jean-Pierre Nicolas (UMP), n'est pas assurée de rester à droite.
Le parcours de M. Mammeri au sein du PS aura été moins aisé qu'il y paraît. "Tant que je me contentais de coller des affiches, tout allait pour le mieux mais, une fois devenu candidat, les choses se sont gâtées. L'appareil du parti n'a jamais cherché à me nuire ; c'est au niveau local que j'ai parfois été malmené", témoigne M. Mammeri, navré de devoir faire avec "cette vieille phobie de l'étranger qui étreint une partie du microcosme". Des élus de gauche l'ont traité de "petite frappe de la Madeleine" - l'une des cités d'Evreux. Il a dû subir les rumeurs malveillantes (on a prétendu que sa banque lui avait refusé un prêt pour sa jolie maison du centre-ville), les fantasmes (il ne fréquenterait "que des Mamadou et des Aïcha") et les propos définitifs ("jamais les électeurs d'Evreux ne voteront pour quelqu'un qui se prénomme Rachid").
Une fois élu, le militant socialiste "de la diversité", quel qu'il soit, doit garder la foi chevillée au corps, prévient Rachid Mammeri. "Forcément, on lui attribue d'office les mêmes sacro-saints dossiers ; l'intégration, l'insertion, la prévention de la délinquance... Cette réalité-là, aussi, il faudrait songer à la bousculer."
Jean-Michel Normand