a écrit :Face au tollé, Georges Frêche dit "pardon" aux harkis
LE MONDE | 14.02.06 |
Il s'est excusé. Après deux jours de vive polémique provoquée par les propos insultants à l'égard des harkis qu'il a tenus samedi 11 février, Georges Frêche, le président (PS) du conseil régional de Languedoc-Roussillon, a demandé publiquement "pardon". Lors d'une conférence de presse organisée en urgence, lundi 13 février, à Montpellier, l'élu a tenté de mettre fin à la tempête politique qu'il avait allumée samedi, lors d'une cérémonie en hommage à Jacques Roseau, ancien porte-parole de la communauté pied-noir. En présence de Jack Lang, député PS du Nord - Pas-de-Calais, Georges Frêche avait apostrophé des harkis qui y assistaient en les traitant, notamment, de "sous-hommes". Des propos qui ont immédiatement provoqué une cascade de protestations et plongé les socialistes dans un silence gêné.
Lundi soir, l'ancien maire de Montpellier a affirmé, devant de nombreux journalistes : "J'ai blessé par maladresse et je vous demande de bien vouloir me le pardonner. J'ai été maladroit, mais nourri de mes convictions, du respect que l'on doit à ces hommes et à ces femmes." M. Frêche a dit n'avoir "visé qu'un homme et non une communauté", reprochant à son interlocuteur de l'avoir "apostrophé, interpellé et provoqué", alors qu'il avait "souhaité, devant la stèle de Jacques Roseau, un moment d'émotion partagée avec sa famille".
Admettant qu'il avait été "fort maladroit dans la formulation de sa pensée", le président de région s'est déclaré "choqué de la signification profonde qu'on a voulu voir dans (ses) propos et de la traduction faite de ce qu'(il a) voulu exprimer". Il a martelé que ses paroles ne se voulaient pas "attentatoires aux valeurs qui sont celles des droits de l'homme" qu'il "défend depuis toujours". Pas sûr, cependant, que ces excuses parviennent à calmer totalement les esprits.
Dès samedi, en effet, l'Association pour la justice, l'information et la réparation des harkis de l'Hérault (AJIR 34), dont le président, Abdelkader Chebaiki, avait été la victime des insultes, a porté plainte "pour injures, diffamation et appel à la haine raciale". Lundi, la polémique enflait. Le MRAP s'indignait et annonçait "étudier les suites judiciaires appropriées". Le sénateur Roger Karoutchi, président de l'UMP d'Ile-de-France, se disait "indigné et scandalisé" tandis que le porte-parole de l'UMP, Luc Chatel, condamnait "avec la plus grande fermeté" les propos tenus : "Il s'agit d'une insulte contre l'ensemble de la communauté harkie", insistait-il en enjoignant le PS de "réagir solennellement".
Dans la foulée, le ministre délégué aux anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, annonçait avoir saisi le ministère de la justice, jugeant que M. Frêche avait "franchi les limites de l'insupportable".
"Nous attendons des explications", indiquait lundi à la mi-journée, Bruno Le Roux, secrétaire national aux élections, interrogé lors d'un point presse sur le silence des dirigeants socialistes depuis le week-end. Sollicités, les différents candidats à l'investiture présidentielle, s'étaient quasiment tous mis aux abonnés absents. Malgré une réaction agacée et assez vive de la Ligue des droits de l'homme pressant le PS de prononcer "une condamnation claire".
Dominique Strauss-Kahn, en déplacement à la Réunion pour étudier l'épidémie de Chikungunya, était "injoignable". Jack Lang se trouvait "dans un train", il était inaccessible. Laurent Fabius refusait de se prononcer, laissant son lieutenant Claude Bartolone dire son "effarement". Proche de Lionel Jospin, l'ancien ministre Daniel Vaillant déclinait, "totalement pris par son conseil municipal". "Il faut qu'il s'excuse rapidement", réagissait pour sa part Ségolène Royal.
C'est finalement à Jean-Marc Ayrault, le président du groupe PS à l'Assemblée nationale, qu'a incombé la tâche de se dire "profondément choqué" et de demander à son tour des excuses.
"L'INCIDENT EST CLOS"Le premier secrétaire, François Hollande, s'est gardé de toute déclaration publique. Mais a fait savoir qu'il avait joint M. Frêche par téléphone afin de "comprendre le sens dans lequel (ce dernier était) intervenu". "Il s'agit d'un contexte local, d'accrochage avec un responsable harki", a retiré de cette conversation le numéro un du PS. "Je lui ai demandé de dire qu'il regrettait, explique-t-il. Il doit rectifier ces mots qui peuvent laisser penser qu'il s'adressait à tous les harkis." Une heure plus tard, Georges Frêche s'est exécuté en lisant une déclaration devant la presse.
Pour le PS, "l'incident est clos". "Avec ses regrets et ses excuses, Georges Frêche met un point final à cette journée", commentait Bruno Le Roux dans la soirée. Et d'estimer que ce scénario, voulu par le premier secrétaire, "vaut mieux qu'une condamnation du parti". "On connaît bien Georges, il est ce qu'il est...", soupirait-il. La fédération socialiste de l'Hérault, tenue par M. Frêche, pèse lourd : avec ses 4 500 cartes, c'est la cinquième plus grosse fédération du parti. Et l'homme est rancunier. A quelques mois de la désignation du candidat PS à l'élection présidentielle par voie de primaire interne, les responsables socialistes ont opté pour la prudence.
Sylvia Zappi avec François Martin-Ruiz à Montpellier