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Affaire du Carlton : comment un petit monde de courtisans œuvrait autour de DSK
LEMONDE | 23.02.12 |
Fabrice Paszkowski et David Roquet, deux entrepreneurs du Pas-de-Calais, ont organisé ou participé aux soirées échangistes avec DSK. Voilà comme ils le racontent aux juges.
Une mystérieuse rencontre avec "un pote de la DCRI"
Le message est en date du 9 février 2011, à l'époque où le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), était au plus haut dans les sondages et rencontrait des journalistes, à Paris, pour leur laisser entendre qu'il allait se lancer dans la course à la présidentielle. Jean-Christophe Lagarde, l'ancien responsable de la sûreté de Lille, l'homme qui "couvrait" DSK dans le Nord, aujourd'hui mis en examen, s'adresse à Fabrice Paszkowski, l'intime de DSK. "C OK pour demain avec mon pote de la DCRI, 13 heures, station Pont de Neuilly".
La DCRI? La Direction centrale du renseignement intérieur, à Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, au bout de la ligne 3 du métro parisien. Une maison dirigée par Bernard Squarcini, un proche du président de la République, l'homme qui, au choix, évente ou protège tous les secrets.
Aux juges, le 31 janvier, Fabrice Paszkowski, grand ordonnateur des soirées de DSK, ne "peu[t] pas (…) dire le nom" du fonctionnaire qu'il rencontre ce jour-là avec le commissaire divisionnaire du Nord. "Il s'agissait de nous expliquer ce qu'étaient les écoutes légales et les écoutes illégales, ce qui se pratiquait. Ce sujet m'intéressait notamment vis-à-vis de DSK car il était persuadé qu'il faisait l'objet d'écoutes illégales", explique-t-il. Il assure avoir "juste rencontré une fois [ce policier] que Jean-Christophe Lagarde [lui] avait présenté".
Tout comme René Kojfer, le chargé de relations publiques du Carlton, qui comptait dans son portable le numéro de téléphone de Frédéric Veaux, numéro deux de la DCRI, les amis lillois de DSK connaissent beaucoup de policiers. Aux magistrats instructeurs qui s'interrogent sur les "très régulières" notes de restaurants comportant, au dos, la mention "PJ Lille" ou "SRPJ", David Roquet explique ainsi, le 25 janvier: "Ça faisait partie des relations publiques de ce métier-là (…), les us et coutumes du BTP."
Aux mêmes juges, qui font lecture à Paszkowski "d'un article paru dans le journal Le Monde en date du 17 janvier 2012 indiquant que, le 28 septembre 2011, vous auriez adressé un SMS à François Pupponi" pour lui proposer "des contacts au sein de la police qui pourraient être utiles" (après la perquisition de sa mairie de Sarcelles et de son bureau de député du Val-d'Oise dans une autre affaire, celle du Cercle de jeux Wagram), l'entrepreneur médical répond: "En voulant en faire un peu trop, j'ai voulu dire à François Pupponi (…), avec qui j'entretiens des liens d'amitié (…), que je connaissais des policiers, je pensais à Jean-Christophe Lagarde, qui aurait pu lui donner des conseils, dire ce qu'il pensait de la procédure (…), Pupponi m'a bien répondu oui (…), on ne s'est pas vus."
Le rendez-vous du Pont-de-Neuilly avec le mystérieux "pote" de la DCRI, lui, a bien eu lieu. Aux juges qui lui demandent si cette rencontre s'était faite "à la demande de DSK", Paszkowski répond, hésitant: "Non. Mais ce dernier était toujours intéressé d'en savoir plus" sur le sujet.
Les larmes de l'entrepreneur David Roquet quand il a perdu son "bel investissement"
A lui seul, il représente tous ces gens, à la fois proches et loin de DSK, pour lesquels, le 14 mai, lorsque leur champion à la présidentielle a été interpellé à New York, puis jeté en prison à Rykers Island, la terre s'est arrêtée de tourner. "Un point d'arrêt, a expliqué David Roquet, le 25 janvier, devant les juges qui instruisent l'affaire du Carlton. On y était l'avant-veille. DSK était pour moi un investissement à très long terme, un bel investissement qui s'effondrait d'un coup pour moi."
Son chagrin est le leur. A trois reprises, durant son audition, Roquet laisse couler des larmes. "M. pleure", note la greffière. "J'ai souvent investi du temps dans beaucoup de choses et à chaque fois ça foire (…). Je me suis beaucoup investi en 2005 pour ma société LMEN et quand je suis arrivé à ce poste les matières premières se sont enflammées, la concurrence a augmenté dans des pourcentages incroyables, une filiale de transport a été dissoute et j'ai dû faire face au reclassement des chauffeurs de ma société."
"Il restait quelques mois, et je me disais que j'aurais pu arriver au but recherché; présenter mon patron à Strauss-Kahn (…). Quand il y avait des conventions du groupe Eiffage, mon patron (…) était fier de nous dire: “J'ai mangé avec le député-maire de Millau, j'ai une réunion avec untel” (…). Le PDG de la branche Eiffage travaux publics disait toujours: “Il faut sortir vos élus.”"
A quelques mois près, selon David Roquet, le "contact direct" avec le favori à l'élection présidentielle était "sur le point de se faire. Déjà à Washington j'avais réussi à avoir une photo avec lui alors que Fabrice m'avait dit de ne plus lui demander de photo, que ce n'était pas son truc. On avait un bon feeling. Encore un ou deux rendez-vous…".
Les juges lui font remarquer que l'ami intime de DSK, Fabrice Paszkowski, estime que ce n'était pas du tout le cas. L'industriel leur a en effet confié: "Si DSK avait dû rencontrer quelqu'un de chez Eiffage, de bien placé, je ne lui aurais certainement pas présenté David Roquet. De toutes les conversations que j'ai entendues, sauf pendant les parties fines où j'étais peu présent, David Roquet n'a même je crois jamais oser parler de ce qu'il faisait. C'était à cause du charisme, de l'envergure de DSK et je pense de son impressionabilité (sic)".
Faux, rétorque Roquet, "DSK savait parfaitement que j'étais chez Eiffage car Jade [une ancienne prostituée] était présentée comme secrétaire d'Eiffage comme l'avait été au départ Estelle".
"Pour Fabrice, DSK, c'était sa chose", finit par lâcher M. Roquet. Les juges sourient-ils en se demandant, à voix haute, s'il n'y a pas dans cette bataille sourde entre leurs dépositions "une forme de concurrence entre courtisans". David Roquet élude. Mais explique que, contrairement à d'autres, lui n'attendait aucune gratification personnelle du possible candidat socialiste.
"Au cours du dernier repas à Washington, Fabrice avait parlé à DSK d'un projet de dosage des médicaments comme ça se fait aux Etats-Unis. Jacques Mellick fils lui avait parlé de son projet d'accéder à la députation". Lui, en revanche, n'avait qu'une seule "idée derrière la tête", qui n'était ni "un projet technique" ni "un projet personnel": gagner, par un rendez-vous, "la reconnaissance de (son) patron" d'Eiffage.
Lorsque David Roquet voit, mi-mai, sur sa télé, DSK menotté, puis conduit au pénitencier, il est "abattu". Il décide de prendre sa plume pour adresser un message à cet homme qu'il "admire" tant. "Je lui ai écrit dès les deux ou trois premiers jours où il était à Rikers et après quand il était à TriBeCa (un quartier de New York). Fabrice ne lui a jamais écrit. (…) Aujourd'hui, je me rends compte que le courrier, c'est important, ajoute celui qui, mis en examen pour proxénétisme aggravé en bande organisée, vient juste de passer plus de quatre mois derrière les barreaux. Vous me demandez s'il m'a répondu? Non, je pense qu'il était submergé."
Le "matériel" de DSK
"On textotait pas mal ensemble ", dit Fabrice Paszkowski. C'est peu dire. Devant les juges, les 30 et 31 janvier, l'entrepreneur s'est fait l'exégète des SMS que les deux hommes s'échangeaient à tout bout de champ. Quel était ce "matériel" évoqué à l'été 2009 par DSK pour une virée à Madrid? "Par matériel, je pense qu'il faut comprendre qu'il s'agit de filles (…) le terme de matériel s'apparente au fait que DSK avait peut-être la suspicion d'être sur écoutes, il ne s'agit pas d'un terme péjoratif à l'endroit des femmes".
"Pour Mosco je te dirai lundi", textotait DSK, le 21 juin 2009. "Ça remonte au moment du référendum du PS où il y avait une motion défendue entre autres par Moscovici, et Dominique Strauss-Kahn devait me dire quelle motion soutenir et cela à la demande de Jacques Mellick qui m'a demandé de poser la question à ce dernier". Et ce 8 octobre 2009, "tu me raconteras Le Guen?", demandent encore les juges. "Jean-Marie Le Guen, c'était le président de l'APHP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris). J'avais sollicité DSK pour le rencontrer car je voulais savoir comment se prenait en charge l'obésité car j'avais un projet sur ce point".
Une "partie" prévue en juin, avant "la fin du mandat" au FMI.
Virginie Dufour avait expliqué que si DSK n'avait pas été interpellé, tous auraient "continué ses agissements". Interrogé sur ce point, Paszkowski répond: "C'est possible (…) Si DSK avait continué à me solliciter sur ce plan-là, j'aurais peut-être eu du mal à me défiler." Sur ce point, Roquet est d'accord avec lui: "jusqu'au moment où il aurait été à la présidence, on aurait peut-être fait une ou deux sorties, on aurait continué. Peut-être." Une autre "partie" était prévue en juin, avant "la fin du mandat" au FMI.
Ariane Chemin
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Ce que la police a accumulé sur DSK dans l'affaire du Carlton
LEMONDE | 23.02.12 |
Dominique Strauss-Kahn quitte libre, mercredi 22 février, la caserne de gendarmerie de Lille où il
Après avoir passé trente-deux heures en garde à vue, Dominique Strauss-Kahn est ressorti libre, mercredi 22 février, de la caserne de gendarmerie de Lille où il était entendu dans l'affaire dite "du Carlton". Pour la première fois dans ce dossier, les juges ont décidé de ne pas interroger tout de suite Dominique Strauss-Kahn et de convoquer l'ancien patron du Fonds monétaire international (FMI) le 28 mars afin, selon la convocation, de le mettre en examen pour "complicité de proxénétisme aggravé en bande organisée" et "recel d'abus de biens sociaux". Les juges peuvent toutefois, in fine, décider de l'entendre comme témoin assisté. Cela avait été le cas pour l'ancien directeur départemental de la sécurité publique du Nord, Jean-Claude Menault, muté à la suite de sa garde à vue et qui fait aujourd'hui valoir ses droits à la retraite.
M. Strauss-Kahn est "parfaitement satisfait d'avoir été entendu dans des conditions de grande sérénité", a déclaré son avocate, Me Frédérique Baulieu, restée silencieuse depuis le début de l'audition de son client. "Il s'est complètement expliqué sur l'ensemble des faits pour lesquels il a été interrogé", a-t-elle ajouté, précisant que la garde à vue s'était " parfaitement bien déroulée".
Les policiers de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN, la "police des polices"), qui l'ont interrogé sur ses liens avec le chef de la sûreté départementale du Nord, le commissaire Jean-Christophe Lagarde, l'un des huit mis en examen du dossier. Les enquêteurs de la police judiciaire, eux, ont interrogé M. Strauss-Kahn au sujet de soirées libertines auxquelles il aurait pris part, afin de déterminer s'il savait que les femmes qui y participaient étaient des prostituées, et s'il en était d'une manière ou d'une autre l'organisateur.
UN LOGEMENT APPARTENANT "À UN AMI LIBERTIN DE DOMINIQUE STRAUSS-KAHN"
Outre les trois voyages à Washington, le dossier dénombre de nombreuses autres soirées : à Paris, au restaurant-club L'Aventure, mais aussi dans un appartement de l'avenue d'Iéna appartenant "à un ami libertin de Dominique Strauss-Kahn", à l'Hôtel Murano, à Paris, à Lille, à l'Hôtel Hermitage Gantois, ainsi qu'en Belgique, notamment dans un complexe d'enregistrement où les studios étaient prêtés aux échangistes.
Les déplacements ont été organisés et financés par deux entrepreneurs du Pas-de-Calais, Fabrice Paszkowski, responsable d'une société de matériel médical, et David Roquet, ex-directeur d'une filiale du groupe de BTP Eiffage, Matériaux enrobés du Nord (MEN), tous deux mis en examen.
Une ancienne compagne de ce dernier, Virginie Dufour, qui dirige une société d'événementiel, organisait les " virées " et facturait ses services avec une commission de 30% à 40% – le dossier montre, au passage, qu'elle " sous-traitait la totalité de ses tâches à une agence de voyages". Le dernier a eu lieu du 11 au 13 mai dans la capitale américaine, à la veille de l'arrestation de DSK à New York dans l'affaire du Sofitel.
Fabrice Paszkowski et David Roquet sont longuement revenus sur ces soirées et leurs relations avec Dominique Strauss-Kahn, fin janvier, devant les trois juges lillois. Tous deux sont d'accord: si le commissaire Lagarde était parfaitement au courant que la majorité des "filles" présentes aux soirées étaient des prostituées, DSK, pas forcément. "Je ne peux pas penser à sa place", répond M. Paszkowski aux juges qui lui demandent s'il "peut penser que Béatrice Legrain, une prostituée, était réellement restauratrice en Belgique". Il ajoute, un peu vague: "DSK est quelqu'un qui aime le sexe et s'il a fréquenté des clubs échangistes moins huppés que ceux que j'ai vus, il a dû fréquenter ce genre de personnes, je veux parler de Béa." Puis tranche: "Ce n'est pas le genre à payer pour avoir des relations sexuelles."
UN VISA DEMANDÉ À UN AMI
Organisateur? C'est plus compliqué. Le patron du FMI ne demandait "pas spécialement à Fabrice Paszkowski d'organiser des soirées" mais "il était content quand une soirée était organisée" et "ne demandait pas à ce que cela se fasse de manière formelle". Par texto, DSK pouvait ainsi se renseigner sur les noms des participantes, en suggérer d'autres, ou demander: "Tu as réservé la suite avec piscine?", avant une soirée au Murano. "Je n'avais pas le couteau sous la gorge même si DSK était intéressé de savoir qui venait", explique Paszkowski. Une ou deux fois, M. Strauss-Kahn prend néanmoins les choses en main: "Tu n'as pas un chauffeur qui voudrait se faire un peu de sous en descendant un couple de Lille demain soir et en le ramenant dans la nuit?", textote-t-il avant de donner par SMS leurs adresses précises.
De même, pour le premier voyage à Washington, en janvier 2010, il s'inquiète de la venue d'une certaine Catherine. Cette dernière s'est arrangée de ses congés, mais il lui manque un visa. DSK conseille de s'adresser à "Pierre Bouchacourt" – son ancien attaché parlementaire. "Il connaisait DSK, il pouvait lui obtenir un visa plus rapidement", explique M. Paszkowski aux juges. Et, pour l'excuser: "C'est un politique. Tout homme politique demande tout à tout le monde."
Ariane Chemin