Et ?
Le "moderne" rejet des musulmans, c'est du racisme ordinaire ou de la xénophobie structurelle ?
ldc avril 1985 a écrit :Ceux qui rejettent le racisme, mais admettent le nationalisme
La lutte contre le racisme et le nationalisme, fait partie du combat permanent des révolutionnaires internationalistes. C'est en fait le même combat, et c'est la raison pour laquelle les prolétaires conscients ne combattent pas le racisme de la même façon ni pour les mêmes raisons que les petits bourgeois dont l'anti-racisme s'arrête là où commence leur nationalisme.
A proprement parler, le combat anti-raciste de la classe ouvrière ne peut pas se limiter à la lutte contre le racisme sous peine de représenter un piège. Beaucoup de gens ayant des intérêts différents peuvent se rencontrer sous la bannière de l'anti-racisme. Et la lutte anti-raciste, conçue comme une simple bataille humanitaire, visant à la réconciliation des hommes entre eux, n'est pas un combat prolétarien. Ce n'est pas pour rien qu'en 1848 Marx avait pris la peine de substituer à la vieille devise de la Ligue des communistes « Tous les hommes sont frères », la nouvelle exhortation révolutionnaire « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! ». Marx précisait qu'il y avait trop de personnages dans le monde dont il ne désirait pas être le frère !
« On a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu'ils n'ont pas (...) Abolissez l'exploitation de l'homme par l'homme, et vous abolirez l'exploitation d'une nation par une autre nation. Du jour où tombe l'antagonisme des classes à l'intérieur de la nation, tombe également l'hostilité des nations entre elles (...) Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! »
Le Manifeste Communiste se terminait par ces mots qui, simplement prophétiques en cette première moitié du 19e siècle, seraient repris quelques décennies plus tard par des centaines de milliers d'ouvriers organisés dans les organisations de masse de la social-démocratie des différents pays d'Europe, puis par les millions d'ouvriers qui dans le monde entier porteraient leurs espoirs vers l'Internationale Communiste révolutionnaire des années 20.
C'est à dessein que les intellectuels qui sont aujourd'hui à la tête du mouvement anti-raciste parlent toujours de racisme mais jamais de nationalisme. Le racisme les gêne, pas le nationalisme. Et pourtant, qu'est-ce que le racisme, sinon la haine de l'étranger ? Ces intellectuels savent bien que la notion de race n'est pas scientifique et que le racisme n'est qu'un avatar du nationalisme et de la xénophobie. Seulement, s'ils rejettent le racisme, ils admettent le nationalisme. Ce qui revient à prétendre que le racisme n'a pas de support rationnel, mais que le nationalisme en a un. Mais les travailleurs, les gens simples, eux, qui n'ont pas la possibilité d'utiliser des abstractions pour masquer leurs préjugés, ne font pas la différence. Comment faut-il définir le sentiment du Français qui n'aime pas les Espagnols, et de l'Espagnol qui méprise les Portugais ? Le sentiment de l'ouvrier algérien qui n'aime pas les Marocains ? Comment qualifier les motivations de ces Français aux noms polonais et italien qui ont cru pouvoir justifier le meurtre d'un Marocain en déclarant qu'ils n'aimaient pas les Arabes ? Est-ce du racisme ou de la xénophobie ?
A quoi correspond le sentiment des immigrés d'hier ou d'avant-hier qui manifestent du mépris et de l'hostilité à l'égard des immigrés récents, sinon à cette perversion des opprimés qui consiste à chercher dans leur appartenance nationale l'illusion qu'ils échappent au sort des derniers arrivés ? Et qu'est-ce que le nationalisme, sinon une manière d'enjoliver son propre esclavage en faisant mine de croire que la source de ses malheurs est à mettre au compte des esclaves d'à côté ?
Où donc, ceux qui prétendent qu'on peut se débarrasser du racisme tout en étant nationaliste mettent-ils la frontière entre le racisme et le nationalisme ? Ils mettent tout bonnement une frontière de classes entre les deux.
Le racisme, c'est le nationalisme sale, le nationalisme cru, sans masque, dépouillé de toutes ces fadaises prétendument culturelles auxquelles les pauvres n'ont de toute façon pas accès. Le racisme, c'est le nationalisme des pauvres. Le nationalisme grossier, inculte et violent des misérables, le nationalisme de ceux qui n'ont pas la ressource de séparer les actes des idées, et les préjugés de leurs conséquences pratiques.
Le nationalisme honorable, lui, le nationalisme propre, le nationalisme tout court, n'est jamais que la couverture politique de la xénophobie des gens cultivés, ou, plus exactement, et pire, la xénophobie entretenue au sein des classes pauvres par la gent « éclairée ».
Car tous ceux qui veulent concilier l'antiracisme avec le nationalisme ne contribuent en vérité qu'à agrémenter les préjugés nationalistes d'une idéologie humanitaire. C'est leur façon de dédouaner le nationalisme au nom de l'antiracisme, leur façon « douce » de corrompre le milieu ouvrier en donnant aux préjugés nationalistes et xénophobes l'auréole morale de la « tolérance culturelle ».
Et quelle différence y a-t-il entre le nationalisme agressif d'un Le Pen et le nationalisme éclairé de l'anti-raciste Chevènement qui se contente pour sa part de vouloir faire chanter « qu'un sang impur abreuve nos sillons » aux enfants des écoles ? La différence entre le cynisme et l'hypocrisie, entre l'idéologie des exécuteurs de basses oeuvres et celle de ceux qui « à leur corps défendant » lancent le pays dans les guerres coloniales. La différence entre la mentalité d'un homme comme Le Pen qui participait aux basses besognes de la répression en Algérie et la mentalité d'un lettré français comme Mitterrand à la tête du ministère de l'Intérieur ou du ministère de la Justice qui l'avait sous ses ordres. Mitterrand, l'homme de gouvernement, fit sans frémir le choix de participer à la direction d'une répression qui fit des centaines de milliers de morts pour la seule raison qu'il considérait que « L'Algérie c'est la France ». Le Pen, lui, n'était pour l'homme de gouvernement, qu'un mal nécessaire lorsque la raison d'État l'exigeait. Chez les politiciens bourgeois fussent-ils de gauche, la haine envers les exploités et les opprimés qui se révoltent est toujours plus implacable que leur aversion pour le racisme et la torture, toujours plus profonde que la crainte que leur inspirent les racistes et les tortionnaires.
Le nationalisme et la xénophobie, le piège réel de notre époque
Depuis l'accès à l'indépendance de la plupart des pays colonisés ce sont bel et bien les pièges nationaux et micro-nationaux qui se sont refermés sur les peuples. Et le piège des peuples, des prolétaires, le piège de notre époque, ce n'est pas tant le racisme que le nationalisme ou la xénophobie. La xénophobie, bien plus que le racisme, est le moyen privilégié de diversion de l'exaspération des masses pauvres, aussi bien dans l'immense majorité des pays sous-développés, qu'au sein de la classe ouvrière des pays occidentaux constituée de couches successives d'immigration.
Et quand on voit des nationalistes, des hyper-nationalistes de France ou d'ailleurs, militer aujourd'hui contre le racisme au nom même du nationalisme, on a quand même l'impression qu'on se fiche de la tête des peuples.
En cette fin de 20e siècle les guerres nationalistes évoquent les guerres de religion du 16e siècle. C'est la forme dévoyée que prend la lutte des classes dans une société étouffant dans ses vieilles structures sans avoir encore trouvé son souffle révolutionnaire véritable. Comme le fanatisme religieux il y a quatre siècles, le nationalisme à l'époque du capitalisme décadent réussit à convaincre les exclus de la richesse de mettre leur combativité, leur héroïsme, l'énergie de leur désespoir à la disposition de leurs maîtres et de leurs exploiteurs, ou de ceux qui rêvent de l'être. Ils croient mourir pour l'avenir de leur pays et ils meurent pour les marchands de missiles ou d'avions de chasse et pour les usuriers du FMI.
C'est au nom du nationalisme qu'en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, on a lancé les uns contre les autres des peuples voisins, proches par les traditions culturelles, de même couleur de peau. Ce n'est pas le racisme, mais bel et bien le nationalisme, ce poison mortel des peuples, qui a permis de lancer les uns contre les autres, Indiens et Pakistanais, Nigérians et Biafrais, Algériens et Marocains et aujourd'hui Irakiens et Iraniens ou Vietnamiens et Cambodgiens...
Et ces luttes fratricides entre pauvres n'opposent pas les peuples les plus éloignés par leur niveau économique, leur histoire, leurs traditions, leur culture et même leur langue, mais tout au contraire les peuples les plus proches par la géographie comme par l'histoire, les peuples les plus semblables, au point que c'en a presque toujours été une règle dans l'Europe industrialisée comme dans le Tiers-Monde. La barbarie de ces guerres nationales vaut bien la barbarie des vendettas familiales d'un autre âge. Elle a seulement changé d'échelle.
Le racisme à proprement parler, quant à lui, est une divagation théorique de quelques intellectuels du 19e siècle, s'appuyant sur les premiers pas mal digérés de la génétique, reprise à son compte par un psychopathe comme dogme d'État. « Pour élever la nation au-dessus de l'histoire, on lui donne l'appui de la race (...) La théorie de la race comme si elle avait été créée spécialement par un autodidacte prétentieux qui cherchait une clé universelle à tous les mystères de la vie, apparaît surtout lamentable à la lumière de l'histoire des idées. Sur le plan de la politique, le racisme est une variété enflée et présomptueuse de chauvinisme combinée de phrénologie (...) Il fallut le vacarme barbare des nationalismes à la périphérie de la civilisation, pour imposer aux « chefs » les idées qui trouvèrent ensuite un écho dans le choer des classes les plus barbares de l'Allemagne. La personnalité et la classe - le libéralisme et le marxisme - c'est le mal. La nation c'est le bien » écrivait Trotsky dans un article intitulé « Qu'est-ce que le nazisme ? ». Oui, le racisme fut un avatar totalitaire du nationalisme. Mais c'est au nom du nationalisme qu'on a par deux fois lancé les peuples européens les uns contre les autres dans deux boucheries mondiales.
La Deuxième Guerre mondiale a vu la victoire des Alliés et la défaite de Hitler. Le massacre des 6 millions de Juifs sur lequel les puissances alliées tout-à-fait au courant, avaient fait planer un silence complice pendant la guerre, a été désigné, après la victoire, comme l'horreur absolue, et ça l'était. Mais le massacre d'autant de millions de civils sous les bombes alliées, c'était aussi l'horreur absolue. Ce crime-là a été absous. Ce sont les vainqueurs qui décident du bien et du mal. Et depuis 40 ans, seule la condamnation du racisme, surtout de l'antisémitisme, fait partie des valeurs morales admises du monde « libéral ». Pas la condamnation du nationalisme qui a acquis une nouvelle jeunesse et un regain d'honorabilité dans le monde entier.
L'une des formes de l'escroquerie politique, l'une des façons les plus efficaces de tromper les opprimés et les exploités, c'est de stigmatiser bruyamment l'ignominie passée, jugée par l'histoire, c'est-à-dire l'ignominie des vaincus, pour faire admettre l'ignominie présente celle dont s'accommodent les vainqueurs.
Aujourd'hui, tout le monde condamne le racisme, à gauche comme à droite. Même Le Pen ne se dit pas raciste et attaque en justice pour diffamation ceux qui l'accusent de racisme (Le Pen tient à rallier y compris une partie de l'électorat juif !)
Aujourd'hui, le racisme (comme le fascisme) fait fonction d'injure politique. Le nationalisme, lui est un passeport idéologique !
Mais le prolétariat, lui, n'a que faire d'un tel passeport
Le prolétariat ne peut pas séparer sa lutte contre le racisme de son combat contre l'exploitation
Ce qui révolte un prolétaire conscient dans le racisme ce n'est pas seulement l'aspect barbare de la chose, c'est aussi ce qui le révolte dans la xénophobie et le nationalisme : quand le racisme et la xénophobie sévissent au sein de la classe ouvrière, ils la divisent, ils l'affaiblissent. Les ouvriers ont beaucoup à perdre dans la xénophobie et le nationalisme : leur solidarité de classe, leur cohésion de classe, c'est-à-dire cela seul qui leur permet de lutter contre le patronat et la bourgeoisie.
Le petit-bourgeois victime de la discrimination raciale, subit tout autant que ses frères de race les humiliations, les vexations, les violences que cela suppose. Mais en outre, ce que le petit-bourgeois victime de cette discrimination a aussi à perdre, qu'il soit noir en Amérique du Nord, noir en Afrique du Sud, en Nouvelle-Calédonie ou aux Antilles françaises... par exemple, c'est sa possibilité d'ascension sociale, la possibilité de se différencier socialement de sa communauté « raciale ». Et quand les petits-bourgeois des pays colonisés revendiquent l'indépendance nationale, c'est la possibilité de se désolidariser socialement de leurs frères de « race » qu'ils revendiquent, en leur offrant en retour la solidarité nationale !
Le choc psychologique personnel qui selon la biographie officielle de Gandhi aurait été à l'origine de sa prise de conscience nationale indienne, fut de se voir interdire en Afrique du Sud à la fin du siècle dernier, l'accès aux premières classes dans les trains, lui, le diplômé des meilleures universités anglaises, lui l'avocat de renom, membre de l'élite hindoue. Ce n'est pas l'existence des premières classes qui le révoltait, mais le fait que les Hindous n'y aient pas accès. Ce n'est pas la discrimination sociale qui révolte les petits-bourgeois opprimés, c'est la seule discrimination raciale. Et dans ce cas, leur révolte contre la discrimination raciale est aussi le point de départ de leur prise de conscience nationale.
Voilà pourquoi la petite-bourgeoisie des pays sous-développés veut lutter contre le racisme au nom même du nationalisme. Voilà pourquoi le prolétariat ne peut pas séparer sa lutte contre le racisme de son combat contre le nationalisme, de son combat contre l'exploitation.
Et quand par aventure, hélas, le prolétariat croit pouvoir lutter effectivement contre le racisme au nom même de son appartenance nationale, cela signifie simplement qu'il troque son identité de classe pour une identité nationale. Cela signifie qu'il se met politiquement à la remorque de la bourgeoisie.
Et ce qui est vrai pour le combat -anti-raciste, antiségrégationniste dans les pays pauvres, pourrait l'être tout aussi bien pour le combat antiraciste dans un pays industriel en crise comme la France.
Le combat prolétarien contre le racisme n'est pas séparable du combat contre l'exploitation. Parce que toutes les oppressions, toutes les inégalités, toutes les discriminations prennent appui sur l'exploitation et sur l'opposition des classes sociales.
Lutter contre le racisme et la xénophobie, avec esprit de suite, sans hypocrisie, c'est montrer aujourd'hui sa haine des exploiteurs, son refus d'être faible et sa volonté de changer le rapport des forces entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Oui, le prolétariat conscient se doit d'être solidaire du combat anti-raciste de SOS racisme, sans pour autant en adopter l'idéologie.
Car les seuls anti-racistes conséquents ne peuvent être que les internationalistes, ceux qui se déterminent par rapport aux frontières de classes, pas par rapport aux frontières nationales.
Et quand par aventure, hélas, le prolétariat croit pouvoir lutter effectivement contre le racisme au nom même de son appartenance nationale ou d'une appartenance religieuse, cela signifie simplement qu'il troque son identité de classe pour une identité nationale ou religieuse. Cela signifie qu'il se met politiquement à la remorque de la bourgeoisie. Quant à ceux qui l'incitent, ou l'inciteraient, à le faire, ce sont donc pour les travailleurs conscients des adversaires politiques.
le mouvement ouvrier n'a pas à prêcher la fraternité, la citoyenneté au-dessus des classes.
Gaby a écrit :le mouvement ouvrier n'a pas à prêcher la fraternité, la citoyenneté au-dessus des classes.
Bref, pas de vie sociale en dehors des grèves. La seule solidarité possible, c'est à l'usine, face à l'employeur, sinon, il n'y a pas de politique.
gaby a écrit :Dire que le mouvement ouvrier ne doit se préoccuper que de pouvoir et non pas d'avancées secondaires qui cacheraient les divisions de classe, c'est absolument équivalent à un ultra-gauchiste...
Trotsky dans 'les leçons d'Octobre' a écrit :"Les hommes du centre - dit Lénine dans son projet de plate-forme - jurent leurs grands dieux qu'ils sont marxistes, internationalistes, qu'ils sont pour la paix, pour toutes sortes de pression sur leur gouvernement afin qu'il "manifeste la volonté de paix du peuple”.
Mais, pourrait-on objecter au premier abord, est-ce qu'un parti révolutionnaire renonce à exercer une pression sur la bourgeoisie et son gouvernement ? Evidemment, non. La pression sur le gouvernement bourgeois est la voie des réformes. Un parti marxiste révolutionnaire ne renonce pas aux réformes, mais les réformes portent sur des questions secondaires et non sur des questions essentielles. On ne peut obtenir le pouvoir au moyen de réformes. On ne peut, au moyen d'une pression, forcer la bourgeoisie à changer sa politique dans une question dont dépend son sort. C'est précisément parce qu'elle n'avait pas laissé place pour une pression réformiste, que la guerre avait créé une situation révolutionnaire : il fallait ou bien suivre jusqu'au bout la bourgeoisie ou bien soulever les masses contre elle pour lui arracher le pouvoir.
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