LETTRE OUVERTE AUX DIRIGEANTS DE LA CGT
Vous avez décidé de faire campagne contre le Traité donnant une
Constitution à l'Europe. Vous prolongez ainsi votre opposition à la
construction européenne depuis les années 1950. Mais à qui et à quoi
allez-vous dire non ?
A ceux qui ont rédigé le texte ? Dans la Convention, ils venaient de
tous les horizons politiques dont environ 40% de la gauche, traduisant
la situation politique du moment. Faut-il attendre une nette majorité de
gauche pour avoir une Constitution ? De toute façon, elle sera
sociale-démocrate à l'image des progressistes européens et elle ne vous
plaira donc pas.
Voulez-vous dire non à Chirac et à Raffarin ? Chacun sait que Chirac
restera à l'Elysée jusqu'en 2007. Votre non européen ne changera rien à
sa politique et ne modifiera pas sa majorité parlementaire. En 1992,
pour le Traité de Maastricht, les Français ont dit oui à l'Europe le 20
septembre 1992 et balayé la gauche le 28 mars 1993. Ayez la même
patience en 2005 et ne vous trompez pas de vote en 2007.
Voulez-vous dire non aux politiques européennes ? Nous pouvons mener des
combats communs contre la directive « services » ou celle sur
l'aménagement du temps de travail. Mais si nous voulons mener le même
combat commun pour une directive-cadre sur les services publics, votez «
oui » au moins pour cette seule raison car le traité futur la prévoit à
la différence des traités actuels.
Vous vous apprêtez à dire « non » à la grande majorité des syndicats
européens. C'est vrai qu'ils sont plus habitués au compromis social par
la négociation qu'à l'attente du Grand Soir par la révolution. Vous
aviez commencé à prendre leur chemin depuis que les peuples ont rejeté
le communisme. Gardez ce cap pour éviter l'isolement.
Vous risquez aussi de dire non aux peuples qui ont déjà dit oui. Ils
sont quatre à ce jour : Lituanie, Hongrie, Slovénie, Italie. A chaque
fois, la ratification parlementaire a été très large. Seules les forces
nationalistes et les nostalgiques du régime ancien ont émis un vote
hostile. Cela préjuge mal d'une éventuelle renégociation du traité
allant dans le sens d'une gauche progressiste.
A quoi allez-vous dire « non » ? A un traité européen comme d'habitude,
sauf que celui-ci n'est pas tout à fait comme les autres. Vous allez
dire « non » aux nouveaux objectifs que se fixe l'Union : à côté de la
concurrence (mais la gauche n'a jamais adoré les monopoles), sont
ajoutés le plein emploi, le développement durable, la lutte contre
l'exclusion et les discriminations, etc. Vous allez dire « non » à la
Charte des droits fondamentaux, tant attendue par les peuples qui
sortent du trou noir du totalitarisme : quand on se souvient de la Stasi
et de la Securitate, il n'est pas indifférent de voir l'abolition de la
torture gravée dans le marbre, sans oublier bien sûr les droits sociaux.
Vous allez dire « non » à la clause sociale horizontale, à la rencontre
tripartite annuelle pour l'emploi, au droit d'initiative citoyenne et à
tant d'autres choses encore.
Evidemment vous pouvez dire : nous aurions accepté le préambule et les
deux premières parties mais nous refusons la troisième qui définit les
politiques européennes. Cette partie est la reprise simplifiée des
traités existants sans beaucoup de changement. En disant « non », vous
rejetez ce qui pourrait vous convenir et vous gardez ce qui ne vous
agrée pas. Reconnaissez qu'on ne fait pas mieux dans le paradoxe.
J'avais envie de vous écrire quelques mots après la réunion de votre
Comité Confédéral National. Le référendum annoncé concernera certes le
Traité mais plus que cela à travers lui. Il sera la confirmation
démocratique d'un engagement pris par la France au lendemain du second
conflit mondial : faut-il le poursuivre ou non ? L'Allemagne s'apprêtant
à ratifier par voie parlementaire ce Traité, il sera la confirmation ou
non du couple franco-allemand comme moteur de l'Union européenne dans la
paix et la stabilité des frontières. Le « oui » de la France sera aussi
le message d'accueil positif aux peuples qui nous ont rejoint et à ceux
qui s'apprêtent à le faire : on ne leur propose pas d'écrire avec eux
une nouvelle page d'histoire en leur offrant une crise comme cadeau
d'arrivée.
Le monde est dangereux mais il est notre horizon. Le monde est instable
mais il est notre avenir. Nous parlons souvent des Etats-Unis d'Amérique
et de son hyper-puissance excessive. D'autres nations-continents
s'éveillent et seront à la fois des amis et des concurrents : Chine,
Inde, Brésil, Russie. Camarades de la CGT, au nom de l'internationalisme
et dans la tradition du Mouvement de la Paix, ne commencez pas à
détricoter l'Europe.
7 février 2005
Bernard POIGNANT
Député européen
Président de la Délégation Socialiste Française
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