(La Dépêche du Midi @ 21 septembre 2004 a écrit :COMMÉMORATION. EN TROIS ANS, TOULOUSE A EU LE TEMPS DE GOMMER BIEN DES CICATRICES DE LA CATASTROPHE D'AZF. MAIS PAS TOUTES.
Se souvenir et rebâtir
Blessée. Irrémédiablement blessée. Trois ans après, les cicatrices de Toulouse ne se sont pas refermées, après la plus grosse catastrophe industrielle jamais survenue en France.
21 SEPTEMBRE 2001. 10 HEURES, 17 M INUTES
Un fracas titanesque. Toute la ville titube. 10 jours après l'attaque sur New York, chacun croit à un attentat à sa porte. Très vite, on comprend. AZF vient de sauter. La zone sud de l'agglomération est une plaie béante. La ville est plongée dans un chaos qui durera de longues heures. Il y a des morts, des centaines de blessés, des familles séparées par les ambulances et les embouteillages. Plus rien ne fonctionne, ni métro, ni téléphone, ni bus. Un immense nuage charrie terre et débris. La route d'Espagne a des allures de champs de bataille. La Ville rose est écorchée vive.
22 SEPTEMBRE 2001. TRENTE ET UN MORTS
Ce sont les ouvriers d'AZF les premières victimes. Broyés sous les décombres de l'usine. Tout autour, le souffle a blessé, écrasé, meurtri. Les hôpitaux sont saturés. Aujourd'hui, on évalue les victimes à près de 12 000, dont 2 500 cas de surdité, des troubles psychiatriques et un taux d'infarctus multiplié par trois dans les jours suivant l'explosion. Et des milliers de gosses poursuivis depuis par des cauchemars.
DÉCEMBRE 2001. ON GRELOTTE DE FROID
Le souffle a ravagé 35 000 logements dont la moitié de HLM. Pour bon nombre de sinistrés, c'est l'exode forcé, un second traumatisme. 1700 personnes sont relogées en urgence dans des mobile homes. Impossible de réparer les milliers de portes et de fenêtres avant l'hiver. Au mois de décembre, derrière le contreplaqué posé à la hâte, on grelotte de froid.
2002. VRAIES ET FAUSSES PISTES
D'après les premiers éléments de l'enquête, c'est un mélange de produit s qui n'auraient jamais dû être en contact qui est à l'origine de la déflagration. Les salariés d'AZF qui ont payé un lourd tribut à la catastrophe, vivent très mal d'être ainsi montrés du doigt. Du côté de Total, on veut que soient examinées d'autres pistes que celles de l'accident, et notamment celle d'un attentat, qui dédouanerait l'entreprise.
On évoque donc la personnalité de deux employés : l'un, Hassan, aurait été un islamiste. L'autre, Samir, s'intéresserait de trop près aux ouvrages scientifiques. Deux pistes qui ont été vérifiées par les policiers du SRPJ sans résultat.
On évoque aussi un hélicoptère, qui aurait survolé le site au moment crucial. Là encore, l'enquête policière ne trouve rien de suspect.
21 SEPTEMBRE 2002. 1ER ANNIVERSAIRE
Cérémonie émouvante, ce samedi 21 septembre 2002. Toute la ville se souvient. Les prénoms des disparus s'affichent sur des panneaux. Le soir, Michel Plasson dirige l'orchestre du Capitole devant 10 000 personnes. Beaucoup auraient préféré un concert sur le site.
JANVIER 2003. POLÉMIQUE JUDICIAIRE
Pour le procureur et pour les enquêteurs, le scénario est le suivant: peu de temps avant l'explosion, un ouvrier a versé 500 kilos d'un dérivé chloré, le DCCNa, sur les 300 tonnes d'ammonitrates du hangar 221. C'est cela qui a provoqué l'explosion. Une version contestée par Daniel Soulez-Larivière, l'avocat de Total, qui lui, exige du juge que d'autres pistes, et notamment la piste terroriste, ne soient pas négligées.
ETÉ 2003. LA TOUR DÉMOLIE
Pas question de la faire sauter : c'est petit à petit que l'on va démolir l'immense tour blanche et rouge qui surveillait le sud de Toulouse et symbolisait AZF. En s'effaçant du paysage, elle laisse la place à un nouvel espace et tourne une page de l'histoire de la chimie à Toulouse.
Sur l'immense site laissé vide par AZF, il est question désormais d'installer un cancéropôle.
21 SEPTEMBRE 2003. VICTIMES EN COLÈRE
La seconde commémoration se passe mal. Les victimes ne comprennent pas la présence de CRS aux abords du site. Le maire de Toulouse, Philippe Douste-Blazy est copieusement sifflé. Il reste quelques minutes seulement, renonce à prononcer son discours, et disparaît avec ses adjoints.
Voilà sans doute pourquoi, aujourd'hui, la commémoration sera réduite au minimum...
JUIN 2004. 1,7 MILLIARD D'EUROS VERSÉ
En juin 2004, 95% des dossiers d'indemnisation ont été réglés. 1,67 milliard d'€ a été versé pour la reconstruction et 12, 5 millions d'€ de dons sont allés aux victimes. La rue Bernadette, dévastée en 2001, est redevenue pimpante. Les écoles du quartier ont été reconstruites. Mais il reste quelques casse-tête d'assurances et des maisons défoncées. Sur le site, restent quelques carcasses crevées. A Papus, la MJC Prévert n'est pas reconstruite. LePalais des Sports est un cratère déserté.
AUJOURD'HUI. ENCORE DES QUESTIONS
Le procureur Michel Bréard a réaffirmé que la piste criminelle était abandonnée. Mais il plane toujours un doute sur l'origine exacte de l'explosion. Doit-on se pencher sur le mystère de la «tour verte», où un incendie se serait déclaré le matin du 21 septembre ? Cette catastrophe n'a toujours pas d'explication totalement satisfaisante. Hier, le juge d'instruction a refusé de mettre en examen le groupe Total, comme le demandait l'association des sinistrés.
Trois ans ont passé. Toulouse s'est relevée avec courage et dignité. Mais bien des habitants porteront encore très longtemps au fond d'eux-mêmes l'écho de ce fracas monstrueux .
Dominique Delpiroux
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Manuel Auré, une vie brisée
Manuel Auré prend doucement ses marques au service achat de chez Brossette.
À Colomiers, le travail est moins physique que lorsqu'il travaillait au service transport de cette entreprise de sanitaires, route d'Espagne. Mais depuis qu'il a repris, le 23 août 2004, il se rend compte qu'il avait sous- estimé les traces laissées par l'explosion d'AZF.
«J'ai des difficultés à tenir debout longtemps, avoue ainsi celui que tous appellent Manu. J'ai eu six côtes fracturées, le bassin, le fémur gauche et la jambe droite écrasés, l'artère fémorale sectionnée, 55 agrafes sur le crâne et dans le dos… ». Sa voix se trouble. «Jusqu'à ce que les secours me découvrent, à midi sous les palettes, j'ai attendu la mort. Et maintenant, je suis de retour au travail. C'est dur quand même. Ça fait revenir tout un tas de souvenirs.»
Manu contient difficilement ses larmes, conscient que le psychologue avait raison lorsqu'il lui a déconseillé de reprendre le travail si tôt. Mais à 54 ans, comment faire autrement !
« J'aurais pu me faire licencier pour inaptitude, mais je n'aurais eu que trois ans de chômage et plus rien après. Comme j'ai commencé à travailler jeune, j'espère partir à la retraite avant 60 ans. Si je tiens jusqu'à décembre, ça va me permettre de valider l'année 2004 ; après on verra. Je fais ça pour ma famille qui m'a bien soutenu. J'ai envie de gâter ma fille et mes petits-enfants.»
Dans cette perspective, Manu considère que Total ne lui a pas encore versé son dû malgré un premier acompte de 15 000 € suivi d'un second de 7 000 €. «Pour l'instant, ce n'est rien par rapport aux souffrances que j'ai endurées et à celles que j'aurai tout le reste de ma vie», soupire le salarié brisé.
Il attend donc l'ultime convocation du professeur Rouget, le 29 septembre, pour une juste estimation du préjudice subi maintenant que la Sécurité sociale vient de le déclarer consolidé.
Béatrice Dillies
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Dépolluer est indispensable
La dépollution du site de Langlade qui témoigne d'un lourd passé industriel est la condition essentielle au développement de nouvelles activités économiques, qui plus est tournées vers des objectifs de santé publique. C'est Total qui doit prendre en charge la réhabilitation des terrains pour un montant évalué à 50M d'euros. Selon Philippe Douste-Blazy, l'arrêté préfectoral de dépollution pourrait être signé vers le 15 novembre. Grande Paroisse se verra fixer alors ses obligations : débarrasser le sol des métaux lourds qu'il contient : plomb, mercure, cuivre, arsenic et hydrocarbures. « Il y a une bonne corrélation entre la pollution du site et ses activités antérieures. Mais cette pollution est loin de ressembler à celle de Metaleurop », indiquait hier soir Laurent Midrier de la Drire Midi-Pyrénées. Grande Paroisse a près d'un an pour nettoyer une partie du site. « Nous devrions commencer à construire à la mi-2005 », a indiqué vendredi le ministre de la Santé qui conserve la maîtrise du dossier. Mais cette opération reste suspendue à une autre condition : enlever tout à côté du futur cancéropôle quelque 40 000 tonnes de nitrocellulose, substance qui était utilisée dans la confection de munitions quand Langlade était encore une poudrerie d'État. Ces produits sont immergés depuis des décennies dans des petits lacs résultant de l'exploitation de gravières. « Nous sommes en train de voir avec la Défense nationale comment supprimer ces dépôts », a précisé P. Douste-Blazy.
Jean-Marie Decorse
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AVENIR
220 hectares dédiés à la cancérologie
Le drame d'AZF a au moins une conséquence heureuse : la naissance d'un cancéropôle sur l'ex- zone chimique. Une reconversion qui colle aux objectifs du plan cancer lancé par Jacques Chirac. Pour P. Douste-Blazy, il s'agit de « coordonner la recherche en cancérologie au plus haut niveau d'excellence internationale ». Le futur site couvrira 220 ha partagés entre un espace boisé avec ses clairières, un hôpital de 300 lits spécialisé dans le traitement des maladies du cancer. Il s'agit en fait du transfert du centre Claudius-Regaud. La future implantation abritera également l'Institut des technologies avancées des sciences du vivant qui accueillera des équipes de l'Inserm, du CNRS, de l'Inra, des industriels et universitaires. Également annoncé le regroupement des unités de recherche des Labos Fabre dédiées notamment à l'oncologie (500 personnes), et Sanofi déjà présent qui prévoit un développement de ses activités.
J.-M.D.
(La dépêche a écrit :TÉMOIGNAGES À CŒUR OUVERT. BEAUCOUP DE TOULOUSAINS QUI VOIENT DANS L'EXPLOSION D'AZF UN LOINTAIN SOUVENIR, TRAGIQUE CERTES, MAIS QUI FAIT MAINTENANT PARTIE DU PASSÉ. TROIS ANS APRÈS, POURTANT, LE QUOTIDIEN DES VICTIMES N'EST PAS TOUJOURS TRÈS ROSE.
Les sinistrés d'AZF n'ont rien oublié
Trois ans déjà. Le 21 septembre 2001, la ville de Toulouse subissait la plus terrible catastrophe industrielle que la France ait jamais connue. Rappelez-vous ! Un grand boom. «Deux», corrigent certains. Une chose est sûre, AZF vient d'exploser. Soudain, 31 morts et plus de 3 000 blessés jonchent les rues et les usines.
Un bilan provisoire, malheureusement. Car très vite, les cas de surdité et de dépression emplissent les cabinets médicaux. Finalement, pas moins de 12 808 personnes sont touchées dans leur chair par les conséquences de l'explosion.
Pour plusieurs milliers d'autres, c'est une voiture, un appartement ou une maison qui a volé en éclats. « De quoi se plaignent-ils ! Ils ont été indemnisés», persiflent les mauvaises langues. Dans la plupart des cas c'est exact, même si beaucoup attendent encore un complément d'indemnisations. Mais est-ce que ça suffit pour autant ?
Nous avons posé la question à celles et ceux qui ont vécu le 21 septembre 2001 au plus près de la catastrophe. Quelques-uns s'en sont bien sortis et avouent avoir tourné la page. Leur témoignage fait tellement plaisir à entendre ! Mais toutes les victimes ne sont pas aussi sereines à l'heure où sinistrés et anciens salariés du pôle chimique commémorent une nouvelle fois le drame en ordre dispersé.
Pourquoi une telle division, trois ans après la catastrophe ? Tristes ou pleins d'espoir, les témoignages des uns et des autres ne sont pas si différents. Ils parlent de souffrance physique et morale, de colère, mais aussi de solidarité. Ils disent l'angoisse ou le besoin désespéré de vivre. Ils parlent des proches qui ont souffert avec eux, des proches sans lesquels certains auraient lâché prise…
Pour eux, le 21 septembre 2001 n'est pas une date de plus dans les livres d'histoire. Le devoir de mémoire, ils le vivent encore tous les jours au plus profond de leur être.
Béatrice Dillies
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Denise et Jean Lacoste très contents de leur maison neuve
Des sinistrés heureux rue Bernadette, 78 et 79 ans.
Jean : « Les réparations se sont bien passées. On est content du résultat. Le maître d'ouvrage avait une bonne équipe. Tout a bien tourné. En plus AZF a été correct ; ils nous ont même rajouté certains trucs.»
Denise : « Ah oui, c'est tout du haut de gamme qu'il nous a mis le maçon. Nous ne sommes pas perdants.»
Jean : « On est surtout gagnant sur la maison. Ils ont tout rasé pour reconstruire. Le petit inconvénient, c'est qu'on avait un garage avant, près du voisin. Mais on nous a interdit de le reconstruire à cause du POS (N.D.L.R. : plan d'occupation des sols).»
Denise : « Pour compenser, on nous a fait une terrasse un peu plus grande derrière. On n'en a pas forcément l'utilité. Mais enfin, on a retrouvé nos 140 m2 habitables avec le haut, comme avant.»
Jean : « Enfin, comme avant. Lorsqu'on est revenu fin février 2003, après les travaux, on était complètement perdu. C'est notre fille qui a suivi le chantier pour nous. On avait quitté une vieille Toulousaine achevée en 1945, et on a retrouvé quelque chose de très moderne. Ça a pris un peu de temps pour s'y faire, mais maintenant ça va. On a trouvé nos repères. Remarquez, on n'était pas mal non plus pendant les travaux.»
Denise : « C'est vrai, on est parti trois mois chez ma fille. Après, elle nous a trouvé un petit studio très très bien aux Pradettes. On ne se plaint pas des Pradettes, c'était vraiment joli, hein Jean ! »
Jean : « Oh oui ! C'est dommage cette réputation de cité-dortoir, car il y a tous les commerces, les bus… Oui, on s'y était bien habitué.»
Denise : « Enfin, on est content d'être rentré chez nous, quand même ! Pour les petits enfants, notamment, qui peuvent de nouveau venir nous voir pendant les vacances. Et puis, il faut bien le dire, pour la maison aussi. Elle vaut le triple de sa valeur par rapport à avant l'explosion. C'est pas rare par ici, vous savez. L'ancienne épicerie, 80 bâtons ça s'est vendu.»
Jean : « Enfin, c'est pas l'idéal partout. On a entendu dire, aussi, qu'il y avait eu pas mal de malfaçons. Enfin, on a beaucoup parlé de la rue Bernadette. Mais en principe, tout le monde est casé dans la rue. »
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Georges Paillas ne sera pas là aujourd'hui
Ex-responsable du hangar 221 à AZF. Mis en examen. 60 ans.
« J'ai obtenu la levée de ma mise en examen fin juin, mais le procureur a fait appel. Ce sera tranché en novembre. Être quasiment accusé de meurtres, c'est une souffrance terrible pour moi. Je ne serai donc pas à l'usine pour la commémoration. Ce genre de cérémonie me rappelle de trop mauvais souvenirs. »
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Hafida Oubadda ne peut pas oublier
Sinistrée rue des Martyrs de Bordelongue. 25 ans.
«Je suis locataire dans un HLM de l'Opac. Ça été réparé un peu à la va-vite, et ça se voit. Il y a pas mal de fissures. On nous a mis des portes trop petites par rapport à l'encadrement dans les chambres. Enfin, je ne me plains pas. Je n'ai pas été blessée. Mon père oui par contre, mais il a été indemnisé normalement. Cela dit, je dois avouer que c'est dur quand même, parfois, pour moi. Je sursaute toujours au moindre bruit, comme l'autre jour quand il y a eu l'orage. Avec ce qui s'est passé le 21 septembre, tout ce qu'on a vu... on ne peut pas oublier.»
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Bruno Degaulejac a porté plainte pour malfaçons
Un sinistré en colère rue Bernadette. 50 ans.
« On est resté sept mois absents de la maison. Je crois qu'on a été les premiers à revenir dans notre maison, rue Bernadette. On voulait vite retrouver notre bien, c'est normal. En plus, je trouve qu'on a été correctement indemnisé du point de vue de l'enveloppe globale. Le problème, c'est que certains en ont profité. Avec la reconstruction, on a été confrontés à des incompétents qui disaient pouvoir faire un boulot pour lequel ils n'étaient pas faits. L'appât du gain! Alors, j'ai demandé à un expert du tribunal de venir. Il n'en a pas cru ses yeux. J'ai tout le parquet à refaire, et la cheminée aussi. Elle n'est pas conforme, l'expert dit qu'il y a possibilité d'incendie. Début 2004, j'ai donc porté plainte pour malfaçons contre l'architecte, le constructeur et celui qui a vitrifié le parquet. L'expert pense qu'il va falloir qu'on déménage encore une fois, un mois. C'est difficile de tourner la page à cause de tout ça. Indirectement, ça nous remet toujours dans cette histoire d'AZF. Je suis pianiste professionnel. Pour exorciser, j'ai composé une samba sur un piano d'occasion que j'ai été obligé d'acheter à cause de l'explosion. Aujourd'hui, il me tarde d'arriver à la conclusion de cette histoire.»
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Marie-Odette Ferreira entend moins bien
Sinistrée à La Fourguette.
50 ans.
« J'ai des problèmes d'audition que je n'ai pas signalés au début, car je pensais plutôt à mon appartement. Je me demande si ce n'est pas trop tard pour le faire (1). J'entends beaucoup moins bien qu'avant. Du coup, depuis trois ans, je suis sous antidépresseurs. Dès que j'entends un gros boom, je suis toujours affolée.»
(1) Non, mais dépêchez-vous. Il faut aller voir l'association des Sinistrés du 21, 1 rue du Roussillon à Papus, avec un certificat médical de votre médecin. Elle fera une demande d'expertise médicale en votre nom.
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Jacqueline et Serge Vitry n'ont pas fait le deuil de Rodolphe
Famille endeuillée. 57 et 60 ans.
Jacqueline : «Je m'attends toujours à voir Rodolphe surgir derrière la porte. C'est si incroyable de voir quelqu'un disparaître comme ça que rien n'a bougé dans sa chambre depuis 3 ans.»
Serge : « Sa chambre, il n'y a pas grand monde qui y rentre aujourd'hui. Même nous, on n'y va pas souvent. On en a fait un mausolée.»
Jacqueline : « C'est peut-être pas ce qu'il faudrait faire, mais on ne peut faire que ça. De toute façon, on ne voit plus grand monde. On a quelques amis proches dans la douleur, mais c'est un cercle restreint. Le malheur fait peur. La majeure partie des gens que nous connaissions avant a fui. Qu'est-ce que vous voulez ; on ne se comprend bien que lorsque l'on parle le même langage. Nous sommes arrivés à un point où on ne comprend plus les gens normaux. Physiquement, on continue à être là. Mais nous sommes à part, dans notre carapace. C'est tellement difficile pour nous d'avoir un dialogue avec les autres. Nous sommes dans notre malheur, et rien ne peut nous en décrocher. Donc, la vie autour de nous n'a pas d'importance.»
Serge : « Sauf une chose. Aller jusqu'au bout des poursuites au pénal contre Total, car c'est eux qui chapeautent Grande paroisse. C'est une usine qui était appelée à disparaître. Ils devaient faire n'importe quoi, n'importe comment sous prétexte de faire des économies. Et puis une erreur humaine a entraîné le drame que l'on connaît.»
Jacqueline : « Pour la mort de notre fils, on a touché une indemnisation sur la base d'un accident de la route, vous vous rendez compte… (N.D.L.R. : elle serre la photo de Rodolphe dans ses bras et se met à pleurer doucement). J'en peux plus. Je suis en arrêt de travail depuis le 21 septembre.»
Serge : « Moi, j'ai repris presqu'un an, de novembre 2001 à juillet 2002, mais j'ai eu un cancer du rein, qu'on m'a enlevé, et maintenant c'est la vessie… »
Jacqueline : « Alors, on a laissé 5 % de la somme que Total nous proposait pour aller au bout de la plainte pénale et que chacun soit responsabilisé sur ce qui s'est passé. Et si nous ne sommes plus en vie d'ici là, Patrick, notre fils aîné, continuera l'action en justice au nom de Rodolphe. »
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Jean-Jacques Delcouderc déprime
Ancien sous-traitant du pôle chimique. En arrêt de travail depuis l'explosion. 41 ans.
« Je suis toujours en arrêt de travail depuis l'explosion. Je refaisais une chaudière à la SNPE quand ça a explosé. Depuis, j'ai toujours des maux de tête terribles suite à l'enfoncement du côté gauche de la boîte crânienne. J'ai eu quatre opérations aussi à la jambe gauche, si bien que quand je marche trop, j'ai la cheville qui gonfle. Mes reins ont été touchés aussi… Enfin, il va falloir que je pense à une réinsertion professionnelle, parce que la station debout prolongée je ne peux plus l'envisager.
Tout ça m'a rendu nerveux, anxieux, avec quelque part la peur au ventre... ouais, tout le temps la peur au ventre. Du coup, je vois toujours le psy en plus du kiné. Je sens bien que je suis fragile.
Bien sûr mon couple en a pâti. On s'est séparé récemment. J'ai aménagé seul, dans un nouvel appartement à Toulouse, mercredi dernier. J'avoue que j'ai disjoncté deux fois vis-à-vis de mes proches. Je tapais dans les murs. Je comprends que ça leur fasse peur. Je peux me mettre à crier, des fois, tellement j'ai de colère en moi. Heureusement, j'ai des cachets pour m'aider à passer les caps difficiles.
Cela dit, on ne nous aide pas non plus avec tous les papiers qu'il faut toujours fournir, pour la sécu, pour demander des avances à l'avocat…
Ça m'énerve, mais ça m'énerve ! Il faut toujours tout justifier. A la longue, c'est gonflant. Je m'excuse de parler comme ça. »
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Marc Gianotti, le syndicaliste passe d'AZF à la fac des sciences
Une reconversion réussie.
45 ans.
« Je viens d'être embauché par l'université Paul-Sabatier pour m'occuper du service nettoyage, de la gestion des badges et des gardiens. C'est une bonne nouvelle car je craignais que mon appartenance syndicale me joue des tours comme à Airbus où je devais être embauché à l'issue d'une mission d'intérim de deux mois et demi, au début de l'année. Ça n'a pas été le cas malgré l'avis favorable de ma hiérarchie. Enfin, je suis très content d'être ici. Je gère 40 personnes. Le monde universitaire est très différent de l'industrie, mais ça me plaît. Tant mieux car il paraît que j'étais pénible à vivre depuis le 21 septembre 2001. Ma femme me trouve mieux aujourd'hui. Mais je n'oublie pas que deux salariés du CE n'ont pas été reclassés et qu'il reste une solution à trouver pour trois personnes de retour d'arrêt maladie qui ont été reconnues inaptes à toute activité professionnelle. J'aurai toujours une pensée, aussi, pour les familles touchées dans leur chair. »
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François Roger est satisfait
Il a retrouvé la rue Bernadette. 63 ans.
«Le jour de l'explosion, ma femme et moi on n'était pas à la maison. Donc, on n'a pas été traumatisés. On pense à AZF quand on entend parler de gens pour qui ce n'est pas terminé. Nous, ce n'est pas le cas. On avait une bonne assurance. L'entreprise qui a refait tout l'intérieur et le toit a bien travaillé. Il faut dire que les travaux ont duré un an et que j'ai fait le forcing pour être présent, toutes les fins de semaine, à la réunion de chantier.»
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Jean-Loup Monlaur veut tourner la page
Il a repris le travail à la SNPE en avril 2003. 49 ans.
«Je vais avoir 50 ans en décembre. Ça va me permettre de partir en préretraite en janvier grâce aux accords. J'ai perdu beaucoup d'endurance, autant physique que psychologique. Je fais ce que je peux, mais je n'arrive pas à m'y faire. Le 21 septembre, en une fraction de seconde j'ai perdu 8 dixièmes à un œil et 4 à l'autre avec les éclats de verre. Ce jour-là, j'ai été opéré une première fois des deux yeux et j'ai eu une chirurgie plastique dans la foulée pour recoudre tout le visage. Les chirurgiens ont fait un travail formidable et je les remercie. Mais après, j'ai bien vu qu'avec la commotion cérébrale je n'étais plus tout à fait moi-même. J'ai fait vivre des choses très dures à ma famille. Après 15 mois, j'ai pris un traitement antidépresseur un peu plus fort. C'est là que l'organisme a lâché. La reprise du travail m'a aidé à me resocialiser. Depuis, j'ai intériorisé ma douleur. Je n'ai pas envie de me confesser à ma femme que je sais traumatisée... à mes enfants non plus. Alors, j'avale. C'est pour ça que je vois arriver ma préretraite avec soulagement. Ça sera comme fermer un livre et en ouvrir un autre. Côtoyer peut-être d'autres personnes, même si j'ai beaucoup de plaisir à être avec mes collègues. Et surtout ne plus apparaître comme la victime d'AZF. Je crois que je n'en parlerai quasiment plus, car le traumatisme a déclenché un phénomène qui fait que je me suis trouvé psychologiquement nu. Les essais d'explosifs qu'ils viennent de faire à AZF ont été terribles pour moi. Je ne me souviens plus du 21 septembre 2001, mais mon organisme a mémorisé ce qui s'est passé. Et c'est remonté avec les vibrations qui m'ont amené au bord des larmes, l'autre jour. J'ai eu une véritable sensation de mal-être. Le traumatisme est gravé en moi.»
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Anne-Marthe Ramondenc : «On n'est pas courageux tout seul »
Cadre infirmier à Rangueil. 47 ans.
« Quand on voit que les gens avec qui on travaille font face, on n'a pas le temps de s'apitoyer sur son sort, même si, je dois l'avouer, ce jour-là on a tous eu peur que l'hôpital s'effondre sur nous. Pendant une heure, j'ai été convaincu qu'on allait tous mourir. Aujourd'hui, j'en retire une chose, c'est qu'on n'est pas courageux tout seul. Nous avons tous été courageux. Collectivement, on est tous très fiers de la façon dont on a réagi. Il n'y avait pas de petites fonctions, simplement des gens qui ont admirablement rempli leur mission. Après cette catastrophe, l'hôpital était délabré, mais je l'ai trouvé plus beau humainement. Ça nous a rendus proche les uns des autres. Malheureusement, de ce point de vue, le quotidien a repris le dessus. Moi, je suis passée au pôle cardiovasculaire et métabolique, dans une fonction plus éloignée du terrain. Mais je peux dire que, dans cette histoire, chacun a révélé ce qu'il avait de plus grand, de plus noble… en tout cas aux urgences. Ailleurs, je ne sais pas. »
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Georgette Giraud encore sinistrée
Au tribunal car sa maison n'a pas bougé d'un pouce depuis 3 ans. Retraitée.
«J'en ai ras-le-bol ! J'ai l'habitude de faire face à tout, mais là ça devient pénible. Trois ans qu'AZF a explosé, et ma maison est comme au premier jour, rue Bacquié. Les assureurs voulaient me donner une bricole pour raccommoder. Mais moi, j'ai fait faire plusieurs sondages qui ont montré que le sol était trop friable pour reconstruire. Je ne veux pas raccommoder sur un sol qui bouge ! Je l'ai bien vu chez les voisins. La plupart se sont contentés de colmater les brèches, mais beaucoup ont vu les fissures revenir. Une voisine, aussi, qui avait changé son parquet. Tout a bougé, elle a dû tout refaire. Donc moi, je veux tout raser pour tout reconstruire. J'ai porté plainte contre Total pour ça. Et on a fini par me donner raison. Fin juillet, ils ont envoyé un chèque. Au bout de trois ans, vous vous rendez compte ! Ça fait plus que beaucoup, surtout qu'on me demande d'attendre la fin du mois de septembre, maintenant, pour avoir le permis de démolition et le permis de construire. J'espère qu'ils vont se dépêcher parce que mon propriétaire a prévu de vendre en 2005 et le temps que je reconstruise… Ah, que de soucis ! En étant à la retraite, je pensais mourir tranquillement chez moi. Là, j'ai peur de ne pas avoir suffisamment d'argent avec le chèque global que j'ai reçu, surtout que l'architecte a monté le projet hors taxe. Mais je ne baisserai pas les bras tant que je n'aurai pas ma maison. J'y suis pour rien, moi, dans ce qui s'est passé.»
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Le programme des commémorations
À l'usine AZF
Les familles endeuillées ne seront plus éclatées sur deux sites, cette année, avec des familles au rond-point du 21-Septembre, et d'autres à l'usine AZF. A 8 h 45, toutes se recueilleront au sein de l'usine AZF, avant la commémoration des salariés, la section «familles endeuillées» de l'association des sinistrés du 21 ayant choisi de prendre son indépendance.
Les familles endeuillées n'ont pas pour autant «basculé dans l'autre camp» compte tenu des combats juridique à venir contre Total.
Les anciens salariés du pôle chimique auront donc leur propre minute de silence à part, à 10 h 17, devant la stèle érigée en souvenir des victimes.
Rond-point du 21-Septembre
A 10h15, Jean Diebold, le maire du quartier, déposera une gerbe au nom de la municipalité. Les associations de sinistrés feront la même chose à 10 h 17 avant que toutes les personnes présentes observent une minute de silence.
A l'église de Croix-de-Pierre Monseigneur Marcus, l'évêque de Toulouse, donnera une messe à 10 h 30 à l'église Saint- François-Xavier, en présence de Jean-Luc Moudenc, des élus et de tous les Toulousains qui le souhaitent.