Arlette et le pot au lait
On n’est pas ridicule quand on fait 5%. Mais en comparaison des objectifs affirmés, de la belle arrogance qu’affichaient les dirigeants de la Ligue communiste révolutionnaire, l’automne dernier, au lancement de leur alliance avec Lutte ouvrière, le résultat du premier tour des régionales est profondément humiliant. La Ligue s’est vue trop belle et trop maligne. Elle a chanté trop tôt et trop haut. Avec la formule magique «Arlette et le postier», les trot-skistes allaient inventer le pendant d’extrême-gauche au Front national, plastronnait Alain Krivine! A l’arrivée, les tontons flingueurs de l’extrême-gauche se retrouvent au bal des prétentieux. Le couple Besancenot-Laguiller est humilié par la tant méprisée Marie-George Buffet en Ile-de-France.
Les trotskistes sont laminés par les communistes dans le Nord-Pas-de-Calais, dépassés par la gauche alternative en Midi-Pyrénées. Et, partout, largués par ces socialistes qui restent le vote naturel d’opposition à la droite. «Le lien entre le peuple de gauche et les partis traditionnels est plus fort que ne le croyaient mes camarades», commente sobrement Christian Picquet, chef de file de la minorité de la LCR et opposant farouche à l’alliance avec LO. Picquet connaît la réalité électorale: 58% des électeurs des listes LO-LCR souhaitent l’union avec le PS et ses alliés (selon un sondage CSA-«le Nouvel Observateur»)! Contre son propre parti, Picquet a lancé un ap-pel au désistement à gauche. Manière de rappeler l’appartenance de son courant à l’ensemble de la gauche.
Cette alliance semblait naturelle aux théoriciens de la rupture. Elle était, en fait, profondément contre-nature, entre un parti pessimiste - LO - arc-bouté sur ses cellules d’entreprise, tirant sa force des défaites en série de la classe ouvrière, et une formation vibrionnante - la LCR - pressentant la révolution à chaque mouvement social. Dans cette affaire, les amis de Besancenot ont gaspillé leur succès du 21 avril 2002 - l’espoir d’une gauche à la fois radicale et ouverte - et se sont piégés dans leurs contradictions. Attisant les mouvements sociaux, proclamant la profonde malignité du gouvernement Raffarin d’un côté. Mais refusant d’offrir une perspective politique crédible à une opinion de gauche travaillée par l’urgence. «Nous construisons le parti de la grève», lançait Olivier Besancenot au printemps dernier. La Ligue invitait le peuple au bal sans fin des mouvements sociaux, et fabriquait avec Arlette un front du refus électoral. Le peuple a choisi la réalité.
Claude Askolovitch
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