(Le Monde @ 16 mars 2004 a écrit : Dans le Nord - Pas-de-Calais, la liste LO-LCR tente de récupérer l'électorat perdu du PCF
Dans cette région sinistrée par les plans sociaux, ancien bastion communiste, Arlette Laguiller et Olivier Besancenot espèrent franchir la barre des 10 %.
Lille de notre envoyée spéciale
Pas de doute. Pour l'extrême gauche, s'il est une région test de son audience, c'est bien celle-là. Le Nord - Pas-de-Calais, avec son cortège de plans sociaux, sa place à part dans l'histoire du mouvement ouvrier dont il est, en France, le berceau, nourrit les espoirs et, parfois, les fantasmes, côté Ligue communiste (LCR) et Lutte ouvrière (LO). Là, la barre des 10 % des suffrages exprimés, qui permet de se maintenir au second tour paraît à portée."Ici, on verra grandeur nature quelle est la crise de la social-démocratie", affirme un militant lillois de la LCR. Lundi 8 mars, à Lille, le meeting d'Arlette Laguiller et d'Olivier Besancenot a fait se déplacer plus de 1 500 personnes. Du jamais vu dans la région.
De fait, la thématique nationale de la campagne LO-LCR semble avoir été dessinée sur mesure pour cette région. L'interdiction des licenciements dans les entreprises, " à commencer par celles qui font des profits", l'arrêt des subventions publiques aux grands groupes font mouche dans les milieux ouvriers où les fermetures de sites industriels - Metaleurop à Noyelles-Godault, Coventry, ex-Lever, à Haubourdin et désormais Altadis à Lille - nourrissent une rage froide. "On a l'impression de toucher les gens avec lesquels on discute. Ils nous disent : "Vous faites ce que les anciens socialistes ou communistes faisaient avant"", rapporte Nicole Baudrin, une des sept conseillers régionaux LO sortants et qui mène la liste avec la "Ligue". Roubaisien, militant de la LCR, Christian anime "C'est l'heur d'leur mettre", une émission consacrée aux luttes sociales sur Radio Campus, radio lilloise. Lui aussi trouve que l'accueil a changé. "Avant quand je racontais hors micros que j'étais à la Ligue, on me regardait comme une bête curieuse. Maintenant on me dit : "Tu feras la bise à Olivier"", rapporte-t-il. La bise à Olivier et la bise à Arlette. Un peu comme on disait ici la bise à Maurice (Thorez). Car, ici plus qu'ailleurs, LO et la LCR s'adressent aux milieux jadis influencés par le Parti communiste. En retard dans sa construction par rapport à LO qui, outre ses élus régionaux, s'appuie sur une dizaine de conseillers municipaux à Liévin, Sin-le-Noble, Villeneuve-d'Ascq ou Wattrelos, la LCR a puisé dans ce qui reste de vivier communiste.
A 70 ans, Marcel Verpoest était une figure du PCF local : des dizaines d'années de syndicalisme à Pechiney, 37 de parti dont 10 comme permanent à la fédération du Nord. Bon pied, bon œil, toujours à la présidence du football-club de Lomme, dans la banlieue de Lille, "Marcel" a rompu lors des municipales de 2001. Sur un accord d'union au premier tour avec le PS. Lui qui fut le chauffeur d'Alain Bocquet, le président du groupe communiste de l'Assemblée nationale, figure désormais sur la liste LO-LCR, en concurrence avec celle menée par son ancien patron. Même si LO, qui renvoie droite et gauche dos à dos, lui "pose problème". Et la consigne de vote au second tour l'inquiète. "Dans la cité cheminote, les retraités, on sent qu'ils vont voter FN", raconte-t-il. Avant de s'étrangler : "Y'a des fils de mineurs, leurs pères osaient faire grève en 1942 devant les Boches !" " Je souhaite aussi que Bocquet fasse un bon résultat, vaut mieux le PC que le PS", grommelle Marcel.
"ILS SONT DANS NOTRE CAMP"
A Guesnain, près de Douai, Mohamed Lahsen, 49 ans, est lui aussi passé par le PCF. Cet ouvrier des travaux publics, responsable CGT, est également venu à la LCR en 2001. Et, à l'inverse de Marcel Verpoest, il se sent à l'aise dans l'accord avec LO."Cela montre aux gens qu'on est sérieux, qu'on veut faire quelque chose." Régis Debliqui, ancien travailleur social devenu ouvrier cariste, aujourd'hui conseiller régional de LO, animait il y a trois ans encore la bagarre des "Lever", avant la reprise temporaire du site par Coventry qui a mis la clef sous la porte. C'est lui qui accueille M. Besancenot quand ce dernier vient rendre visite aux ex-salariés dont certains sont actuellement poursuivis pour détournement de matériel dans cette usine ouverte à tous les vents depuis sa fermeture.
Il s'intronise porte-parole des "Coventry en lutte" et insiste sur la nécessité " pour changer les choses" de voter LCR-LO. : "Y'a des ouvriers un peu partout en bagarre, séparément. Et personne pour proposer l'unité. On compte sur toi et Arlette pour impulser un mouvement d'ensemble." La cinquantaine d'anciens salariés réunis devant les portes de l'usine opinent. "Régis et Olivier, ils sont dans notre camp", clame un ouvrier. "Mais où on va ? On est un peuple de moutons. Les patrons ils sont au bord de leur piscine. Et nous ?", s'indigne un autre. "Les Verts et une partie de la gauche, ils nous parlent d'économie des services. On va pas torcher les vieux !", ajoute un troisième. " Faut garder espoir, les gens commencent à relever la tête", répond M. Besancenot.
Alain, agent de maîtrise, 49 ans, en est à son cinquième plan social, il avoue en avoir gros sur le cœur. "J'ai été dix ans sans voter, après la fermeture de Massey-Ferguson", raconte-t-il. "Au premier tour de la présidentielle, je devrais pas le dire, mais j'ai voté FN. Je suis fatigué, madame", explique-t-il. Il ajoute : "Au second tour, j'ai quand même voté blanc." Cette fois, confie-t-il, il "essaiera" LCR-LO. "Enfin, sans doute. Eux, ils sont comme nous."
Quelques kilomètres plus loin, devant le piquet de grève qui garde l'usine Altadis, dont la fermeture est confirmée au même moment à Paris, Michel est lui aussi venu voir "Olivier". Il vote "socialiste parce qu'il faut être majoritaire", ce qui lui vaut les quolibets d'un de ses copains, communiste. Michel rêve d'une alliance "de tout le monde" PS-PCF-LO-LCR. Cette perspective arrache un sourire à son pote.
Caroline Monnot