Quand un PDG tire profit de sa position pour vendre au mieux ses stocks options, c'est-à-dire au moment où la valeur de l’action est au plus haut, on examine s’il y a délit d’initié.
Le délit d’initié, c’est l’utilisation « d’informations privilégiées » pour réaliser des « opérations fructueuses en l'absence totale d'aléas », « faussant ainsi la confiance dans l'égalité des investisseurs sur le marché » (extraits Wiki).
En formulant la contraposée, ça veut dire qu'un fonctionnement "propre" (correct) de la bourse ce serait (assez ahurissant comme formule mais c’est pourtant ce qu’on en conclut) :
Ne pas chercher particulièrement à réaliser des opérations fructueuses, n’utiliser que les informations connues de tout le monde, et donc dans le strict respect de l’égalité des chances sur le marché.
Ca veut dire 2 choses :
- Soit on ne cherche pas particulièrement à réaliser des opérations fructueuses avec la bourse (ben voyons).
- Soit ça doit se faire sans utiliser d’informations privilégiées (sauf que si tout le monde a les info, il est bien connu qu’il n’y aura pas d’opérations très fructueuses)
Ne soyons pas dupes : si l’information est la même pour tous, la bourse n’est plus la bourse, finies les bonnes opérations. Qui peut penser que le gros actionnaire n'aura un jour pas plus d'information que ce qu'on appelle les petits porteurs ?
Pour éviter les risques de délit d’initié par des cadres dirigeants, on entend émerger des propositions, comme celle de ne pas pouvoir vendre ses stocks options tant qu’on est dans l’entreprise.
Et que prévoit-on lorsqu’il ne s’agit pas des dirigeants de l’entreprise (comme Forgeard) mais de gros actionnaires (comme Lagardère) ? Et qu’il ne s’agit pas de stocks options généreusement concédées pour bons et loyaux services mais du capital en actions qui constitue tout simplement une part de la fortune d’une famille riche ?
Rien
Un semblant de moralisation :
La Commissions des Opérations de Bourse vient d’interroger Lagardère pour lui demander des comptes sur les fuites en 2006 autour des déboires d’Airbus qui lui auraient permis de gagner 1 milliard d’euros.
Et si la COB se prête à cette mise en scène, ce n’est pas seulement parce que ce scandale heurte à juste titre les sensibilités :
- 2 milliards d’euros de bénéfices pour les 2 gros actionnaires, 90 millions de dividendes pour les autres, 8,5 millions de plus-value grâce à ce délit d’initié pour le PDG et quelques millions pour d’autres cadres dirigeants),
- 10 000 suppressions d’emplois, 4,9 euros (!) de prime (ou 2,9 je ne sais plus) pour les autres salariés.
C’est aussi et surtout à mon avis pour que puisse continuer de vivre ce système, pourtant si injuste.
Parce que le vrai scandale, il n’est pas dans le « délit d’initié ». Il est dans « l’initié ».
Ils arriveront peut-être à réformer le système d’échanges d’actions des grandes entreprises de façon à limiter les scandales (scandale au sens où ils l’entendent eux, du genre délit d’initié).
Mais ils n’arriveront ni à la transparence, ni à l’équité, ni à mettre fin aux opérations juteuses.
A ce que l’on entend ou ce que l’on lit au travers de la presse, selon qu’il y a ou non respect de la loi, une opération en bourse juteuse serait juste ou non.
Ce qui choquerait, ce ne serait pas que Lagardère touche un milliard de plus-value sans travailler quand les employés d’EADS sont exploités, ce serait que ça ne ce serait pas fait « en conformité avec la loi » (cette fois-ci).
Lagardère doit bien se demander pour quelles raisons il est dans le bureau d’un juge. Parce que sur le fond, tout ça doit lui paraître bien surnaturel. Il est tout de même en première ligne pour avoir toutes les info du groupe EADS et il serait bien bête de ne pas s’en servir. Et c’est certainement ce qu’il fait à chaque opération en bourse. Et comme tous les gros actionnaires. Qui peut croire qu’ils vendent leurs actions aux hasard ?
Mais surtout, qu’on n’aille pas nous faire croire que cette enquête sur ce « délit d’initié » représente la justice. La justice ce serait que ce ne soit plus possible. Tant qu’existera la bourse et des gros actionnaires pour s’en servir, ils ne s’en serviront pas autrement.
Pour reprendre la définition de délit d’initié :
- « L’information privilégiée » concernant l’économie des entreprises, c’est un phénomène tout à fait général. C’est tout simplement la maîtrise des gros actionnaires et des cadres dirigeants sur ces informations économiques de l’entreprise.
- « L’égalité des chances en bourse » ça n’existe pas. C’est pas comme au tiercé. En bourse, plus tu joues, plus tu gagnes.
- Quant aux « opérations juteuses », imaginez en peu une loi qui indexerait les plus values en bourse sur le coût de la vie !
Alors, assez de poudre aux yeux. Le délit d’initié, ça n’existe pas.
Le vrai délit, c’est la possibilité de jouer en bourse avec l’argent qui devrait revenir aux salariés (Salariés à qui on recommande de jouer au tiercé ou au loto, sauf qu’à ces jeux-là, on ne gagne pas à tous les coups).