« Je reste un révolutionnaire »

« Sud Ouest ».
Vingt ans après votre arrestation, vous considérez-vous toujours comme un « prisonnier politique » ?
Jean-Marc Rouillan.
Qui peut sérieusement en douter ? Nous avons été condamnés pour notre participation à des actions révolutionnaires. Nous avons pris le maximum de la peine encourue parce que nous refusions de faire amende honorable devant les juridictions spéciales. Et aujourd'hui, alors que nous avons accompli nos peines, les magistrats refusent nos libérations conditionnelles au prétexte que nous ne condamnons pas notre passé ! Nous sommes donc maintenus en prison à cause de nos idées politiques.
Vous situez-vous toujours à l'extrême gauche ?
Bien évidemment, je demeure communiste révolutionnaire. L'isolement carcéral, les transformations de ces deux dernières décennies, les pressions pour me faire renoncer... ne m'ont aucunement persuadé que le régime bourgeois soit le meilleur qui soit et même le « moins pire ». Et qu'il faille l'accepter et le supporter tant bien que mal. Au contraire ! La précarité grandissante des travailleurs face aux profits et à l'arrogance des patrons, les difficultés de survie dans les quartiers populaires, tout cela et le reste ont consolidé ma détermination révolutionnaire. Et que dire de la situation internationale ? Où que je regarde, je constate les dérives désastreuses du capitalisme.
Votre position sur la lutte armée a-t-elle évolué ?
Sans les armes, les opprimés resteront des opprimés. La lutte armée est profondément liée à leur lutte d'émancipation. Mais la violence est également une affaire de moment historique. Les militants qui, comme nous, ont pratiqué la lutte armée après 68 l'ont menée dans des conditions historiquement déterminées, dominées par la guerre froide et les conflits néocoloniaux, comme la guerre du Vietnam, le conflit Irak-Iran, la guerre du Liban... Il est impossible de séparer notre action de son époque.
Et votre regard sur les assassinats que vous avez commis ?
Dans le combat politique, des hommes meurent des deux côtés. Pour leurs proches, c'est bien évidemment un drame, j'en conviens. Mais pour ma part, je ne mettrai jamais sur un plan d'égalité la violence des opprimés et la violence des oppresseurs. Bien que cela ne s'appelle pas assassinat, des hommes meurent également dans la lutte de classes quotidienne. Un ouvrier est tué sur un chantier parce que son patron a réalisé des économies de sécurité. Des affamés se noient en essayant de franchir le détroit de Gibraltar sur une embarcation de fortune... parce qu'ils ne peuvent plus survivre dans leur pays. Il n'y a pas de fatalité dans ces crimes.
Qu'auriez-vous à dire aux enfants de Georges Besse et de René Audran ?
Selon le credo de la pensée unique, le remords et le repentir devraient toujours incomber aux faibles, et jamais aux forts et aux puissants. Pour notre part, nous avons assumé nos choix et nos déterminations. Nous avons tenu à être responsables jusqu'au bout. Vingt ans après, nous le sommes encore.
Espérez-vous une libération prochaine ?
Judiciairement, elle est possible depuis deux ans. Depuis la fin de nos peines incompressibles. Et comme mes camarades, je remplis les critères d'accession à la libération conditionnelle. J'ai un travail régulier, un lieu de résidence, etc. Mais je ne suis pas libre parce que le pouvoir n'accepte pas de nous voir libres à nouveau. Il a fait de nous des exemples. C'est encore et toujours une question politique... Depuis le début de notre détention, la dureté des conditions n'a eu qu'un seul but : obtenir notre repentir. Le fait que nous, militants d'Action directe, ceux ayant été le plus loin dans la lutte de libération, affirmions que tout ce qui s'est fait dans ce combat depuis 68 a été une série d'erreurs aurait une importance symbolique pour l'Etat. Si nous nous repentions, nous permettrions la criminalisation complète et totale de l'expérience armée après 68.
Quel métier envisagez-vous si vous sortez ?
Même si un juge prenait la décision de me sortir de centrale, je devrais encore effectuer une longue période de semi-liberté... (travailler la journée et revenir le soir à la prison). Ainsi, ma « libération » passera toujours et encore par la case prison. Heureusement, au cours de ces années, je n'ai jamais perdu le contact avec les réalités extérieures. Et depuis longtemps, je travaille avec la maison d'édition Agone, qui a édité mes livres et a promis de m'engager dès l'instant où les tribunaux le permettront.
En cas de libération, poursuivriez-vous votre engagement ?
Mes condamnations « infamantes » m'interdisent à vie de participer à la moindre activité politique. Mais je reste un révolutionnaire.
« Je ne mettrai jamais sur un plan d'égalité la violence des opprimés et la violence des oppresseurs »
MARCELLE ROUILLAN. -- Elle dit comprendre le combat de son fils, mais réprouve la méthode. Pour elle, aujourd'hui, 20 ans de prison, « ça suffit »
« Mère de terroriste ? J'assume »
: A Auch, Philippe Motta
Marcelle Rouillan
« Ce n'est pas mon histoire, c'est devenu mon destin. En revanche, c'est mon fils. Et là, j'assume tout. » A 78 ans, Marcelle Rouillan a une vivacité que lui imposent peut-être les circonstances, mais jamais elle ne s'est laissé soumettre aux renoncements suggérés par les regards qui, un temps, l'ont fuie. « Il est évident que j'avais imaginé autre chose, que j'avais bercé mes rêves avec d'autres projets. Mais les faits s'imposent, et je fais face. » « Mère de terroriste », elle le dit aujourd'hui, mais on sent que les mots ont été longs à venir. Derrière la formule, il y a tout le chemin parcouru par cette dame à l'oeil malicieux, qui lit la presse tous les jours, écoute la radio et ne laisse rien passer des fausses évidences d'une société qui a évolué comme ne le voulait pas son fils, Jean-Marc. Elle dit « comprendre » le combat qu'il a mené, où il voulait en venir. En revanche, elle réprouve « la méthode » : « Action directe était dans une logique qu'ils n'ont pas su arrêter, ils n'ont pas vu que l'époque passait car leur fidélité à eux-mêmes était plus forte que l'histoire qui changeait. »
Elle s'interdit de juger. « A trop parler de Jean-Marc, on oublie le groupe. Ils ont partagé un rêve en créant, à leur façon, une société. Ensemble, ils ont amené leurs idées de justice et d'égalité si loin qu'ils ont basculé dans une mystique et sont passés hors de la réalité. »
Elle s'est toujours interdit de juger. Ce n'est donc pas aujourd'hui qu'elle le fera. « Il était fraternellement ami avec Puig Antich (1). La mort de cet homme a été pour Jean-Marc le point de basculement. Il aurait eu cinq ans de moins ou cinq ans de plus, je suis persuadée que les conséquences auraient été différentes. » Un avocat en quête de circonstances atténuantes parlerait de traumatisme. Le mot est à peu près exact, mais il n'entre pas dans le vocabulaire de la situation. Car Marcelle Rouillan ne consent pas à parler au regard de ce qui aurait pu ou dû être fait. Elle s'en tient aux constats et prend acte : « Vous voulez quoi, que je me flagelle, ou que je le renie ? C'est non. Ce qui m'intéresse, c'est ce qu'il va devenir. »
Aujourd'hui, vingt ans de prison, « c'est assez », dit-elle. « Je dis que ça suffit, non pas parce que c'est mon fils, je le dirais pour n'importe quel homme. » Elle a la certitude que le terroriste Jean-Marc Rouillan n'est plus un activiste. « Il reste un intellectuel, il a une conscience très concrète du monde tel qu'il est devenu. Il a choisi d'écrire (2). Et puis, qui le suivrait ? »
(1) Salvador Puig Antich, anti-franquiste espagnol, pris dans une fusillade en 1972 à Barcelone, à laquelle Jean-Marc Rouillan échappe miraculeusement. (2) Dernier roman (une métaphore autobiographique) : « La Part des loups », Ed. Agone.
ACTION DIRECTE. -- Retour en arrière sur l'histoire du groupuscule terroriste d'extrême gauche
Le pouvoir au bout du fusil
: Dominique Richard
Vitry-aux-Loges (Loiret). C'est dans une ferme que le quatuor est arrêté le 21 février 1987
L'assassinat, en 1985, à La Celle-Saint-Cloud, du général René Audran, alors directeur des affaires internationales au ministère de la Défense; celui, en 1986, à Paris, de Georges Besse, le PDG de Renault, n'ont pas laissé dans la mémoire collective l'effroi et la peur panique que répandent aujourd'hui les bombes aveugles des extrémistes islamistes. Les terroristes d'Action directe ne pratiquaient que des actions ciblées. Le temps et l'escalade dans l'échelle de l'horreur ont atténué le souvenir de la violence de ces éliminations au colt 11.43 et le haut-le-coeur de tout un pays devant la vision du drap blanc recouvrant sur un trottoir le corps sanguinolent de Georges Besse.
Couple fondateur. A l'époque, les portraits de Jean-Marc Rouillan, Georges Cipriani, Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon étaient placardés dans la France entière. Ce quatuor improbable était le fruit d'une histoire débutée quinze ans plus tôt dans les milieux d'extrême gauche, où se croisaient militants communistes révolutionnaires et clandestins engagés dans le combat contre la dictature du général Franco en Espagne.
Né à Auch et fils d'un fonctionnaire de la Jeunesse et des Sports, Jean-Marc Rouillan avait rejoint très jeune les rangs de la mouvance anarchiste espagnole de la région toulousaine. Avant de monter à Paris et de réunir autour de lui quelques enfants déboussolés de Mai 68, rencontrés dans les squats et les manifs.
C'est là qu'il tombe amoureux de Nathalie Ménigon, une employée de banque issue d'une famille d'ouvriers. Elle ne le quittera plus. Le photographe d'art Georges Cipriani et l'activiste de bonne famille Joëlle Aubron ne les rejoindront que bien plus tard.
La dérive libertaire et les plasticages bénins du début cèdent progressivement la place à des mitraillages en règle comme celui du siège du patronat. Le couple fonde Action directe (AD) en 1979, peu avant la première arrestation à laquelle Nathalie Ménignon tente d'échapper en ouvrant le feu sur les forces de l'ordre. En 1981, l'arrivée de la gauche au pouvoir permet au duo de bénéficier de la large amnistie décrétée par François Mitterrand. Loin de tourner la page, le couple s'enfonce alors dans la clandestinité.
Personnes à abattre. Au sein de la nébuleuse AD, un noyau dur émerge progressivement. A l'image des terroristes allemands de la Fraction armée rouge, Jean-Marc Rouillan et ses proches divisent le monde en deux camps : « le prolétariat international » et « la bourgeoisie impérialiste ».
Après une vague d'attentats de plus en plus violents contre des immeubles, le quatuor, qui vit en vase clos, opte pour la lutte armée. Plusieurs dizaines de personnalités considérées comme des rouages-clés du complexe militaro-industriel figurent parmi les gens à abattre. Si deux échappent aux balles, Georges Besse et René Audran tombent. Pour ralentir « la marche de la recomposition bourgeoise et aggraver ses contradictions internes ».
Les services de renseignement, qui avaient cru à la disparition d'Action directe, mettront des années à repérer la ferme de Vitry-aux-Loges, dans le Loiret, où le quatuor s'était retranché depuis 1984 pour planifier ses assassinats et les hold-up nécessaires à leur financement. Vingt ans après leur arrestation, le 21 février 1987, nul ne sait si les terroristes sont tombés après avoir été dénoncés par un voisin à un fonctionnaire de la Direction de la surveillance du territoire (DST), ou si c'est la passion pour les hamsters de Nathalie Ménigon, bien connue des policiers, qui les a perdus. La jeune femme se rendait fréquemment chez un commerçant du cru pour acheter les graines destinées à la ribambelle de rongeurs qu'elle élevait avec amour.
ALAIN MARSAUD. --Ex-chef du service antiterroriste de Paris, il a interrogé Rouillan après l'assaut
« Je m'attendais à des regrets »
:Recueilli par Dominique Richard
« Ce soir-là, nous ne savions pas si c'était bien eux. Ils avaient changé de physionomie. Les photos prises discrètement par les Renseignements généraux ne correspondaient pas à celles qui étaient affichées dans toute la France. C'est après l'assaut de la ferme, vers minuit, que nous avons eu la certitude de ne pas nous être trompés. Il faisait un temps épouvantable avec beaucoup de neige. Un vrai décor sibérien. Les gens d'Action directe avaient été pris par surprise. Pour éviter qu'ils ne puissent se saisir d'armes, les policiers du Raid avaient arrosé un peu partout. Jean-Marc Rouillan boitait. Il avait reçu un éclat dans la fesse. Il réclamait un médecin. Je lui ai dit que "pour une balle dans le cul, il n'allait pas nous...". Tout de suite, nous avons trouvé des armes, la sacoche de Georges Besse, un dictionnaire allemand qui leur permettait de traduire les textes de la Fraction armée rouge. Dans une pièce, à 1 mètre d'une cloison, ils avaient construit un mur en parpaings. Ils appelaient cela le tribunal du peuple. C'est là qu'ils voulaient séquestrer et juger le numéro 2 du Commissariat à l'énergie atomique. Une fois le choc passé, ils ont repris un peu de vigueur. Aussi bien dans la ferme que lors de leur garde à vue, ils ont tout nié. Même lorsqu'ils ont été confrontés à un paysan du village où Georges Besse avait une résidence secondaire. L'agriculteur les avait aidés alors qu'ils s'étaient embourbés, un jour où ils étaient venus en repérage. »
« Pas de risque de récidive ».
« Le temps a passé. Je n'ai pas suivi l'instruction ni même le procès. En France, la réclusion à perpétuité n'existe pas. On est libérable une fois la peine de sûreté purgée. C'est leur cas. Mais ce n'est pas un droit. Songez à ce qu'a vécu la veuve de Georges Besse. Un mois et demi avant l'assassinat de son mari, elle avait été témoin de l'attentat meurtrier de la rue de Rennes. J'ai certaines scènes en mémoire. Le jour où Georges Besse a été assassiné, le gouvernement était au plus mal. Je sais que l'obligation de repentance n'est pas prévue par la loi. Mais quand même...
Je m'attendais à ce qu'ils manifestent des regrets. En France, la justice a souvent tendance à pardonner par procuration. Mais qui peut lui donner procuration si ce n'est la famille ? Pour être honnête, je ne crois pas qu'il y ait, sur le fond, un risque de réitération ou de récidive. Ils ne sont pas en état de repartir à l'action. On aura tout au plus quelques déclarations livresques. Action directe, cela représentait rien... pas grand-chose... 30 personnes tout au plus. Cela n'existe plus. Ce n'est pas comme les Brigades rouges, qui comprenaient près de 3 000 membres et qui se réveillent aujourd'hui en Italie. »
Alain Marsaud est aujourd'hui député UMP de la Haute-Vienne.
Pourquoi Rouillan ne sort pas
Alors que l'Allemagne libère les derniers terroristes de la Fraction armée rouge et que l'Italie a élargi depuis très longtemps les assassins du président du Conseil Aldo Moro, la justice française maintient toujours derrière les barreaux les anciens d'Action directe. Seule Joëlle Aubron, atteinte d'une tumeur au cerveau, est sortie de détention en 2004 pour des raisons médicales, deux ans avant son décès. Pourtant, depuis février 2005, Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon et Georges Cipriani peuvent prétendre à une libération conditionnelle. Ecroués depuis 1987, ils sont arrivés au bout de la peine de sûreté de 18 ans que la cour d'assises de Paris avait prononcée en les condamnant à perpétuité . Jusqu'à présent, leurs demandes de remise en liberté ont été rejetées.
Malades. Les leaders d'Action directe ne sont pas sortis indemnes de l'isolement total dans lequel ils ont été plongés pendant leurs sept premières années de détention. Georges Cipriani a basculé à un moment donné dans la folie, Nathalie Ménigon est aujourd'hui diminuée à la suite de deux accidents vasculaires cérébraux. Jean-Marc Rouillan est sans doute celui qui a le mieux surmonté cette nuit carcérale. Réfugié dans l'écriture, il a signé plusieurs livres.
L'octroi de la conditionnelle requiert les avis favorables des experts psychiatres et des services pénitentiaires. Mais il asse avant tout par les garanties de réinsertion offertes par le détenu
Repentance. La loi ne fait pas obligation aux anciens adeptes de la lutte armée de renier leur passé. Début 2006, la chambre de l'application des peines de Pau affirmait n'avoir trouvé chez Jean-Marc Rouillan "ni peuves ni indices d'une réelle détermination à abandonner définitivement toute possibilité d'un nouvel engagement dans des actions analogues à celles pour lesquelles il fut condamné.
Jean-Marc Rouillan ne se repentira pas. Pour des raisons guère éloignées sans doute de celles qu'exprimait Régis Schleicher un autre ancien d'Action directe. "Il n'y aura pas de regrets, de contrition, de critiques publiques de ma part parce que cela relève de la société du spectacle. J'appartiensà une histoire qui dépasse ma personne, où il y a eu des moments terribles, morts d'hommes des deux côtés. Croyez-vous un seul instant que la souffrancedes gens, la douleur de l'absence s'efface avec quelques mots pour solde de tout compte ?"
: D.R.