a écrit :Devant l'université d'été du Medef, Nicolas Sarkozy lance le débat sur le droit de grève
LE MONDE | 01.09.06 | 12h48 • Mis à jour le 01.09.06 | 17h15
Il a choisi son public, celui des patrons réunis à l'université d'été du Medef, à Jouy-en-Josas (Yvelines), lors de la séance de clôture, jeudi 31 août. Nicolas Sarkozy a aussi choisi son thème, le droit de grève : "Lorsqu'il y a un conflit et une grève, dans une entreprise, une université ou une administration, la loi doit prévoir que, dans les huit jours, soit organisé un vote à bulletins secrets pour en finir avec la dictature de certaines minorités", a-t-il déclaré.
Ce n'est pas la première fois que le ministre de l'intérieur lance cette idée. Il l'avait fait une première fois, cet hiver, lors d'une convention de son parti consacrée au "droit au travail". Elle est en général assortie d'une refonte des règles de la représentation syndicale, héritée de l'après-guerre. Il l'a reprise régulièrement devant les assemblées de nouveaux militants, s'attirant les applaudissements de son public, tout comme lorsqu'il fustige la grève dans les établissements scolaires.
VERS SON AILE DROITE
A l'heure où le débat se focalise autour de lui entre les libéraux et les sociaux de l'UMP - les premiers reprochant à M. Sarkozy de trop céder aux seconds -, le futur candidat, qui élabore son programme, semble faire, en réitérant cette proposition, un pas vers son aile droite. Il ne lui déplaît pas non plus d'être le seul, ou presque, à avancer sur un terrain délicat où, pense-t-il, même Ségolène Royal aura du mal à le suivre.
Avec cette proposition refaite, jeudi, devant un auditoire acquis à ses thèses - au point que le premier secrétaire du PS, François Hollande, a qualifié le numéro un de l'UMP de "président du Medef" -, M. Sarkozy avance en terrain miné et devra préciser le contenu de cette déclaration de tribune : modifier les règles du droit de grève en inscrivant dans la loi le vote à bulletins secrets "au bout de huit jours".
"Ce projet, aussi vague soit-il, est une atteinte au droit constitutionnel de grève", fait ainsi valoir Arnaud Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat. Ce droit constitutionnel est "individuel", précise le magistrat, et la proposition de M. Sarkozy en ferait un droit collectif en le soumettant à la décision de la majorité. Pour M. Lyon-Caen, "cela signifierait qu'une minorité, les gens les plus exploités dans une entreprise, ne pourraient pas se mettre en grève".
Philippe Brun, avocat du droit du travail, renchérit : "Fondamentalement en France, à la différence des pays anglo-saxons, le droit de grève n'est pas un droit syndical, c'est une liberté individuelle." Dans la fonction publique seulement, la grève doit être déclarée par les syndicats, assortie d'un préavis. L'avocat, spécialiste des conflits, s'interroge : "Le vote à la majorité, cela veut-il dire que l'on pourrait bloquer une entreprise, les trains par exemple, si on vote la grève à la majorité ? : M. Sarkozy serait révolutionnaire !", s'amuse-t-il.
SYNDICALISME STIGMATISÉ
Derrière la proposition du ministre de l'intérieur, on trouve la volonté de refléter l'impatience d'une partie de l'opinion publique lorsque les conflits touchent les transports en commun ou l'école. Mais, prévient M. Lyon-Caen, "le problème du service minimum, c'est autre chose".
Des dispositifs comme le droit d'alerte à la RATP et à la SNCF ou la continuité du service dans les hôpitaux fonctionnent déjà. Alors, s'inquiète Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT, "M. Sarkozy stigmatise le syndicalisme, tout en professant qu'il veut le renforcer". Certes, "il arrive qu'il y ait des conflits où les relations entre syndicats sont dures et que les règles ne sont pas respectées", reconnaît le syndicaliste, en évoquant le long conflit de la Régie des transports marseillais (RTM) à l'automne 2005.
Lors de son congrès, en juin 2006, à Grenoble (Isère), la confédération de François Chérèque avait abordé le problème. La résolution, tout en réaffirmant le caractère intangible du droit de grève, proposait qu'il y ait une recherche systématique des "modes d'action les moins pénalisant possible pour les usagers", formule qui avait été débattue par les congressistes. Enfin, critique M. Grignard, "M. Sarkozy propose que la loi règle le problème avant même que les partenaires sociaux n'en débattent", et ce en plein débat sur l'amélioration du dialogue social.
Rémi Barroux et Philippe Ridet