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Rapublique
par Gilles Médioni
Soutien aux partis, critiques des hommes politiques... d'Akhenaton à Diam's ou à Doc Gynéco, les rappeurs entrent en campagne, à un an de la présidentielle. Et usent de tous les moyens pour inciter leurs fans à se rendre aux urnes. Enquête
L'engagement bleu-blanc-rap
Un peu plus d'un an avant la présidentielle, le rap entre en campagne. Doc Gynéco, mais aussi Joey Starr, Diam's, Akhenaton, notamment, ont l'intention d'amener leurs fans aux urnes. Et la voix des rappeurs porte. Depuis le début de l'année, Diam's, Fonky Family, Booba ont classé leurs albums en tête du Top 50. C'est l'effet «émeutes».
«Moi, je suis un rappeur, donc un militant de base, pas un homme de parti», précise Bruno Beausir, alias Doc Gynéco, en rappelant que sa famille possédait un journal engagé: Le Progrès social. «Je soutiens ceux qui sont à l'écoute de la société», affirme-t-il. Son récent tube, Le Bon, la Brute et le Truand, dresse la radiographie du quinquennat à travers trois leaders politiques: Lionel Jospin, Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac. «Le temps presse», tranche cet accro de la Chaîne parlementaire, très regardée par la planète rap.
Même urgence du côté de Diam's, la rappeuse des Ulis (Essonne), récompensée par une victoire de la musique en 2004. C'est elle qui a coécrit Ma philosophie, l'hymne des lycées chanté par Amel Bent. «Je refuse d'endosser un rôle quelconque, souligne Diam's. Je ne suis qu'une artiste, mais je me devais d'écrire des textes comme Ma France à moi ou Marine (Le Pen) pour alimenter le débat. Il faut dire les choses en amont. Avec cet album, je prends vraiment conscience du poids des mots.» Car Diam's «pèse». Les forums de son site Internet sont «infiltrés, assure-t-elle, par des membres du Front national qui cherchent à détourner les fans». Et, lorsque Diam's a lâché «Fuck Sarkozy!» lors d'une «impro» dans une émission de radio, passage repris en boucle par le zapping de Canal +, «des pro-Sarkozy ont investi le site». Bienvenue dans la Rapublique.
Le hip-hop a connu plusieurs vies depuis plus de vingt ans, glissant du constat social (NTM, IAM), voire du crachat subversif (Ministère Amer), au rap «à la cool» (MC Solaar) ou yé-yé (Alliance Ethnik). Donné pour mort à la fin des années 1990, le mouvement a rebondi au rythme des collisions du monde - 11 septembre 2001, 21 avril 2002, novembre 2005 - et a vu naître le rap «conscient» (qui apporte une réflexion). «Les événements de Clichy-sous-Bois sont un élément structurant», assure Mark Gore, directeur du pôle de musique actuelle Canal 93, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), qui lance dans le 9-3, et jusqu'à la présidentielle de 2007, une série de manifestations musicales sous le nom de code Politiks. «2005, ajoute-t-il, sera une année zéro pour le rap, comme le premier concert des Sex Pistols l'a été pour le punk.» C'est qu'on n'a jamais vu autant de rappeurs sur les plateaux de télévision et aux JT que cet hiver. Leurs chansons étaient prémonitoires. Pourront-ils éteindre un éventuel autre incendie? Pas sûr. Car une tendance du rap se durcit.
«Le rap est violent, car l'exclusion, la pauvreté, le racisme sont violents», analyse Hamé, de La Rumeur, groupe qui fait l'objet d'une plainte du ministère de l'Intérieur. D'autres rappeurs sont, eux, dans la ligne de mire des croisades antirap menées par l'UMP, notamment Monsieur R, qui «pisse sur Napoléon et le général de Gaulle» dans ses chansons - Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR, fait une apparition sur son dernier album. Inversement, la tête de turc du hip-hop reste le ministre de l'Intérieur. Le dernier provocateur en date, Alibi Montana, issu de la cité des 4 000, à La Courneuve, interpelle Nicolas Sarkozy d'une phrase sidérante: «Continue le bras de fer et tu vas te faire buter!» scande dans un morceau la vedette du label Menace Records. En quelques années, la cible du rap s'est ainsi déplacée de Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen, puis à Nicolas Sarkozy, ce dernier - auteur de l'étincelle «racaille» - étant en position de présidentiable.
«L'aspect politique du rap suit des courbes, commente Arnaud Fraisse, rédacteur en chef du magazine Groove, qui fête son 100e numéro. Les déclarations de Nicolas Sarkozy ont donné un coup de fouet, c'est vrai.» Pour Akhenaton (lire l'entretien), «on vit la fin de la séparation entre artiste engagé et artiste politisé, au sens carriériste du terme. Il est temps de passer à un autre stade: par exemple, inciter à participer à la vie sociale aux côtés des assos.» Ce qu'il fait. «La position politique du hip-hop se retrouve surtout dans des associations, confirme Sylvia Faure, coauteur de Culture hip-hop, jeunes des cités et politiques publiques (éd. La Dispute). Pour l'instant, elle est plus citoyenne que politique.»
Le rap peut influencer les électeurs hésitants, d'où ces flirts poussés entre les partis politiques et les leaders du rap. La LCR et Monsieur R ou Joey Starr. Les Verts et Akhenaton. L'UMP et Doc Gynéco. Le PS et Disiz la Peste. «J'ai une sensibilité de gauche, mais ma place n'est pas dans un parti», se défend Disiz. Idem du côté du collectif de Joey Starr, Devoirs de mémoires, qui compte parmi ses fondateurs Olivier Besancenot et Jean-Claude Félix-Tchicaya, adjoint au maire de Bagneux (Hauts-de-Seine). «Nous ne roulons pour aucun parti, précise Leila Dixmier, présidente du collectif. Et nous ne donnons aucune consigne de vote. Nous n'avons pas la prétention d'interférer avec l'élection présidentielle, mais peut-être avec les municipales.» Doc Gynéco, quant à lui, déplore ce déficit de consigne de vote: «Du coup, horreur! Le Pen est envisageable... Sarkozy et moi, c'est une amitié d'hommes, juge-t-il. Je note simplement qu'il suffit aujourd'hui de se déclarer anti-Sarko pour être applaudi. C'est un truc de rebelle sans cause. Mieux vaut aller distribuer des tracts à la sortie des meetings du Front national ou à la tribune des Boulogne Boys [hooligans du Paris-Saint-Germain]. Si je devais suivre un parti politique, j'en prendrais un de droite, qui a les moyens d'aller au combat. Ce n'est pas une époque où la gauche a sa place.»
Internet ne jouera pas les seconds rôles dans la présidentielle de 2007. Le rap y a trouvé une tribune. Ouvert au moment de la campagne pour le référendum, en avril 2005, le site WU-M-P propose les mix de discours de l'UMP façon Wu-Tang Clan, groupe de rap new-yorkais. WU-M-P fait école chez les rappeurs et sur le Net - Polémix a connu un tabac avec son remix Sarko Skankin'. «Notre approche est différente de celle de la musique, de la radio et même du blog, explique 808, l'un des membres de ce collectif fantôme. Notre rôle est de commenter, digérer et réinterpréter les interventions de l'UMP, un parti politique en abus de position dominante. Le flow, la manière de scander les discours des ministres, colle bien aux musiques de rap. C'est une parodie sonore qui tient du croquis de presse», analyse-t-il. Les stars du site WU-M-P se nomment Masta Killah Sarko, Old Dirty Cheerak ou RZAffarin... «En 2024, pronostique Disiz la Peste dans son titre Inspecteur Disiz, le rap aura pris la place de la politique.» La France de la VIIIe République aura voté pour le président... Joey Starr.
Doc Gynéco. A écouter: Un homme nature et Doc Gynéco enregistre au quartier (Exclaim/Warner).
A lire: Un homme nature, par Doc Gynéco et Gilles Verlant (éd. du Rocher).
Diam's: Dans ma bulle (Capitol/EMI).
Disiz la Peste: Les Histoires extraordinaires d'un jeune de banlieue (Barclay/Universal)
Deux liens pour mieux suivre l'engagement rap:
http://wu-m-p.org. et
http://polemixetlavoixoff.com