QUI A VU CE FILM ?
Interview 20 MINUTES
«Retrouver une conscience collective dans les quartiers»
Lundi 05 janvier 2004
Que pensez-vous de la manière dont les médias et le cinéma montrent les cités ?
L’image est souvent sombre et négative mais, vu la réalité sociale dans laquelle sont plongées les populations de ces quartiers, il est difficile de faire autrement. Pour Wesh Wesh, notre regard était nourri par notre expérience et des études en anthropologie. Ce qui est plus gênant, c’est cette volonté délibérée de faire de la cité une zone dangereuse. Car la population qui y vit est considérée comme dangereuse pour la classe dominante. Le phénomène n’est pas nouveau. Casque d’or était déjà un film de banlieue avec des histoires de voyous qui ne sont que les ancêtres de la « caillera » actuelle. Avec Wesh Wesh, on a cherché à être le plus juste possible. A ne faire preuve de complaisance ni envers les forces de l’ordre ni envers les lascars, qui sont des capitalistes sauvages.
Qu’entendez-vous par là ?
Les délinquants ne sont pas des révolutionnaires, mais au contraire des gars très conformistes. Ils pensent d’abord à s’intégrer dans le modèle économique ultralibéral. Le trafic de shit leur permet de se normaliser, de s’habiller avec des marques et de participer à la société de consommation. Ils ne cherchent pas à revendiquer quoi que ce soit ou à changer ce qui leur semble injuste, mais à préserver leur dignité en plongeant dans une spirale délinquante : car plus on est assisté, plus on perd sa dignité. Même si la délinquance est une forme de mépris de l’ordre établi, elle n’est qu’une étape primitive dans la contestation sociale. Si l’on compare les anciens de la diaspora maghrébine qui ont participé à tous les mouvements ouvriers du XXe siècle à certains jeunes beurs d’aujourd’hui, il y a un gouffre, une véritable régression.
On voit aussi des mouvements associatifs se développer, avec difficulté…
Dès que les pouvoirs publics sentent trop de subversion potentielle, ils essayent de la cadenasser. Il y a tout juste vingt ans, on a connu la marche des beurs pour l’égalité des droits. Mais le pouvoir socialiste a préféré encadrer tout ça en fondant SOS Racisme, et les mecs sont devenus invisibles. Si les choses s’étaient passées autrement, cela aurait peut-être permis à des centaines de lascars de s’inscrire dans une voie politique.
Comment expliquer la déliquescence de certains quartiers ?
Dans les quartiers populaires, on a tout fait pour éviter qu’il y ait des lieux de réunion, des espaces où les habitants aient la possibilité de se transformer en citoyens. On les a toujours déresponsabilisés. Payez les loyers et taisez-vous ! Et l’on s’étonne que les quartiers se dégradent. Les gens s’enferment chez eux. Toutes les décisions sont prises en haut lieu. Il faut retrouver une certaine conscience collective. Pas mal de familles maghrébines se sont aussi fait piéger par le mythe du retour au pays. Elles ont investi leur épargne dans une maison au bled habitée par des fantômes, mais eux sont paralysés dans la cité.
Que faudrait-il changer ?
Il faut se remémorer la fonction sociale des ensembles urbains, qui est de transformer des personnes étrangères d’origine rurale en une population française citadine. Pour cela, il faudrait prendre en compte les différences de cha-que minorité et chercher à les mettre en valeur. Si les programmes scolaires, par exemple, en plus d’évoquer l’histoire de « nos ancêtres les Gaulois », pensaient à parler aussi des cultures arabe, africaine ou asiatique, les gens se sentiraient moins désemparés.
Propos recueillis par Grégory Magne
Il y a un peu plus d’un an, le public découvrait Wesh Wesh ( Qu’est-ce qui se passe ?), premier film de Rabah Ameur Zaïmeche.
Une plongée dans la cité des Bosquets, à Montfermeil, entre trafic de drogue et clandestinité.
Un long métrage salué par la critique, mais boudé par les patrons de multiplexes, qui craignaient d’attirer les jeunes de banlieue.
Vingt ans après la marche des beurs pour l’égalité des droits, le film vient de sortir en DVD chez Arte vidéo.