
Dans Rouge cette semaine, la critique du bouquin de Picquet:
a écrit :"La République dans la tourmente. Essai pour une gauche à gauche, Christian Picquet, Syllepse, 226 pages, 16,50 euros.
L'actuelle littérature politique se déploie le plus souvent selon deux lignes de fuite : l'analyse sectorielle et conjoncturelle, non sans danger de dispersion, et la théorisation spéculative, menacée de perdre prise avec le concret. Le grand mérite du livre de Christian Picquet est de résister à cette double attraction. Pour travailler à une synthèse ambitieuse des données de la période, orientée selon une perspective militante : la nécessité d'un projet alternatif à la droite réactionnaire et aux impasses du social-libéralisme. A cette fin est indispensable une problématique suffisamment intégratrice pour articuler les divers champs étudiés, et ceux-ci à la dynamique transformatrice revendiquée. Christian Picquet propose celle de la République , "non en ses formes instituées mais dans ses principes aussi prometteurs que jamais aboutis". Et c'est en cela qu'il risque d'essuyer bien des reproches, au risque que se trouvent relativisées, voire oubliées, bien des questions soulevées par le livre qui appellent réflexion et débat.
Et d'abord la question du Front national. Si généralement tout à chacun y va de son explication, aussi définitive que peu étayée, l'auteur souligne au contraire une "indéniable difficulté à identifier" l'objet. Constat à partir duquel il devient possible de contester les facilités de la notion de "populisme", et de prendre l'exacte mesure de cette force politique qui prône la "préférence nationale" : un fascisme.
Des analyses, avivées par les enseignements du 21 Avril, sont proposées des diverses crises que nous traversons: de la société française, de la droite, des institutions, du mouvement ouvrier... Elles conduisent à une réflexion largement partagée quant à la nécessité de dégager une issue à la crise de la gauche. "Comment changer la donne globale à gauche ?" Telle est bien, en effet, la question qui domine notre présent militant et qui est au coeur du livre.
Le souci de rechercher, non un "modeste rééquilibrage", mais un "changement du centre de gravité de la gauche", conduit légitimement à embrasser celle-ci dans sa totalité, avec toutes ses contradictions, et à proposer une orientation radicale, renouant le "fil rouge de la lutte des classes". L'ambition d'en appeler à une "convergence des forces anticapitalistes et antilibérales" implique de ne pas se borner au rassemblement de la seule extrême gauche. Elle amène aussi à soulever des problèmes de portée stratégique : la nécessité d'occuper "tout l'espace de la transformation sociale, celui de la “réforme” autant que celui de la “révolution”", les questions de la démocratie, placée "au coeur des moyens et des objectifs du changement social" et de l'autogestion...
Autant de questions qui, souvent débattues sinon unanimement partagées, nourrissent ce riche Essai pour une gauche à gauche. En revanche, la problématique républicaine, qui donne son titre à l'ouvrage, apparaît originale, et par là plus contestable. Elle vise à fournir, sous l'autorité de Blanqui, la cohérence d'une continuité historique entre les origines de notre combat et son avenir: l'exigence de la souveraineté du peuple. On admettra également volontiers qu'elle éclaire des passions politiques toujours bien vivantes. Et toujours promptes à précipiter dans la rue le peuple de gauche : lorsque la liberté et la justice apparaissent menacées, les mobilisations citoyennes ne manquent pas, qui viennent périodiquement confirmer la puissance de ce ressort. Mais la question à débattre est de savoir si, face aux surdéterminations d'un capitalisme mondialisé, et lorsque pèse le poids écrasant des catastrophes auxquelles ont conduit les expériences prétendument socialistes, ce "singulier rapport qu'entretient dans ce pays le peuple de gauche avec la République", pour incontestable qu'il fût, représente la clé d'une refondation du projet d'émancipation.
Francis Sitel