L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

[Cyrano]

«Si tu nous dis ce que contiennent les tomes 4 et 5, et qu'un autre regarde le Tome 3, on aura un idée globale... sans dépenser un sou !»
Qui qu'a dit ça?!.. Ah, c'est… Bon, OK, bon, je veux bien dire en quelques lignes… Mais tu y seras d'une bière de qualité honorable.

D'abord, que contiennent ces volumes? Du papier, beaucoup de papier, sous une couverture brochée. Mais encore?

Le volume 4, intitulé "De Cronstadt à la NEP (1921-1923)" offre 360 pages de discours, rapports ou articles. C'est précédé d'un avant-propos de Léon Trotsky de 6 pages daté d'octobre 1924. Justement? C'est donc l'année de la brochure "Leçon d'octobre" qui mettra le feu aux poudres.
Y'a bien sûr un index thématique et un «index nominal». Parmi les nominés (et y'en a, y'en a! 17 pages), y'a même des noms qui ne renvoient pas à une page quelconque? Mais le ci-devant Anatole France compense : il est nominé environ 300 fois. Et «Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes», on a 7 cartes reproduites en une décevante mauvaise qualité, avec des parties de texte illisibles.

Le volume 5, "Construction et théorie militaire", nous propose encore discours, rapports, articles sur 300 pages. On a un index thématique qui renvoie aux volumes 1 à 5. L'index thématique inclut l'index nominal, mais ça n'empêche pas la table des matières de le mentionner à part (sic!). Et trop riche: on a deux fois la table des matières du volume 5. Et même 3 fois, puisque elle est aussi incluse dans le rappel des tables des matières des volumes 1 à? à? oui, à 5, vous suivez. Et après la table des matières, c'est pas fini, on a des Annexes des traducteurs, il reste encore 100 pages dans le bouquin: dans l'ordre, une bibliographie de… 40 pages (bon appétit!); une filmographie de 6 pages; courage! on a un index d'études thématiques; Et oh?! je l'ai découvert en voulant rédiger mon message de ce soir: un petit commentaire de quelques pages sur le train de Trotsky.

Et tout ça, avec zéro photo, bien dommage, aucune image, à part des cartes floues. Pour un volume à 41€ et un autre à 45€, ça fait radin. L'édition des Carnets de Soukhanov, 894 et 864 pages, nous coûtait 32€ chaque volume, avec des index soignés, une riche iconographie. Bin, je trouve que l'édition de ces Ecrits militaires ne fait pas vraiment top-niveau avec ses pages qui se répètent, et ses index fourre-tout. Les notes sont présentes. J'en aurais trouvées plus, ça m'aurait assez plu. Je suppose que c'était un gros boulot.

Sinon, comment résumer? Eh! Ma dernière phrase au dessus, je remarque: c'est un alexandrin. Oui, je résume...
Ça, c'est facile, j'ai retenu une chose: ne pas croire Trotsky sur parole. Il dit «Camarades, vous avez exigé un rapport sur l'Armée rouge. Je serai très bref.» Très… et on a 12 pages de lecture. Ou bien, dans un discours, après une première partie d'une heure, il poursuit: «Je vais essayer de faire en sorte que la deuxième partie soit aussi brève que possible.» et on est parti pour 9 pages à lire, et c'est dense.

Voilà. Ho! y'aurait certainement d'autres choses à dire. Sur le moment, je ne vois pas, et puis, comme avec Gayraud, on avait fait allusion au Journal de Jules Renard, je l'ai ressorti et je le relis au lit et en piquant du nez dessus, le rouquin me pardonnerait.

A demain, si vous le voulez bien.

[Gayraud de Mazars]

Salut camarade Cyrano,

Comme avec Gayraud, on avait fait allusion au Journal de Jules Renard, je l'ai ressorti et je le relis au lit et en piquant du nez dessus, le rouquin me pardonnerait.

Le rouquin comme tu dis tendrement, soit Jules Renard, qui écrivait pour l'Humanité de Jaurès avant sa mort en 1910, une autre époque, une autre Humanité, celle des socialistes unis avant la faillite d'août 1914, en t'aurais pardonné, tant il était aimant de ses frères farouches, des contours de Corbigny ou Chitry dans la Nièvre, frères farouches comme toi Cyrano.

D'ailleurs avec ma compagne inspirés par le Journal dont son mémoire avait été publié par l'Académie du Morvan, sur le Nivernais dans le Journal comme je te le disais, on avait photographié tout ses coins de vie au brave Jules Renard, la maison de Chaumont, les vues de la Gloriette, le château de Chitry, jusqu'à la gare de Chaumont-Chitry désaffectée !

Puis il y a eu le Colloque sur Jules Renard à Nevers que présidait François Mitterrand, en 1990, avec ma compagne comme participante, un bon moment en fait... Où nous avons pu rencontrer les descendants du grand Jules Renard !

Fraternellement,
GdM

[Ottokar]

Bon, on a des discours de LT, au moins on n'est pas volés, vu le titre... Mais qui disent quoi ? Les deux premiers tomes, j'ai donné des thèmes et quelques indications. Quand tu auras réussi à pénétrer, ce serait sympa d'en dire quelques mots

[Ottokar]

Une iconographie soignée coûte cher. Et un index utile, c'est du boulot. Pour s'y retrouver dans les événements, il y a Wikipedia, l'article guerre civile russe, et dans cette page je crois, les liens vers les différents fronts qui permettent de comprendre le contexte des articles, les appels à l'offensive, à quel moment il crée la cavalerie et pourquoi, la bataille de Petrograd (évoquée dans Ville conquise de Victor Serge) alors qu'ils envisagent de se battre dans la ville, maison par maison ou même de perdre la ville, etc

[Cyrano]

Dans les volumes 4 et 5, couvrant 1921 à 1923, la guerre civile est terminée – et gagnée. Mais la situation économique de la Russie est désastreuse. Il y aura d'ailleurs une famine dont il sera question dans certains discours. Il reste encore quelques points critiques, par exemple, reprendre Vladivostok aux japonais, etc. Et puis, il y aura ... Cronstadt. Trotsky en parle en des termes qui aujourd'hui seraient fautifs, maintenant que les historiens ont écrit là-desssus.

Les deux volumes sont une compilation de divers discours et quelques articles parus concernant l'aspect militaire. Des discours prononcés lors de divers congrès des soviets ou de congrès du parti bolchévique, ou tout simplement devant un soviet local. Ou bien de nombreux discours prononcés devant les cadres militaires, ou devant les cadets d'une école militaire, etc.
D'un discours l'autre, on a donc forcément des redites: j'peux vous dire que j'ai compris qu'il fallait graisser ses bottes, sinon elles étaient foutues. Et j'ai compris qu'il fallait s'assurer qu'un ordre militaire soit bien transmis et qu'il fallait donc faire gaffe aux pétrolettes à deux roues qui tombaient en panne. Il faut faire attention aux détails.

Le problème qui se pose est arithmétiquement simple: passer d'une armée de guerre civile de 5 millions d'hommes, plus ou moins chaotique à une armée de 800.000 hommes composée uniquement de deux classes d'âge. C'est un leitmotiv qui revient dans les discours de Trotsky.
Il y a évidemment des discussions: une milice comme en Suisse ou une armée régulière? Quelle "doctrine"? (Trotsky n'aime pas vraiment le mot). Cette armée doit-elle être offensive (comme les armées de la révolution française et les armées napoléoniennes) ? En attendant, pour faire un bon soldat, il faut élever le niveau culturel du soldat avec la géopolitique et que ce soldat ne crache pas partout.
Trotsky insiste à plusieurs reprises: là, le marxisme ne fournit plus de réponse, car ce n'est plus son domaine d'étude. Va falloir avancer vers une histoire inconnue, se tromper, reculer, refaire.

On a aussi quelques rares interviews. Trotsky doit répondre sans cesse: pourquoi maintenir 700 ou 800.000 hommes si vous êtes pacifique? Alors que… la France avait une armée équivalente avec une population bien moindre. Et sans cesse aussi: allez-vous rendre les entreprises à leurs propriétaires?

Tout ceci est passionnant: comment un chef révolutionnaire doit se résoudre à vivre, organiser, maintenir la flamme, sans révolution immédiate. Il y a certes la révolution allemande qui peut être possible mais Trotsky semble douter de la capacité du parti communiste allemand à vouloir être déterminé jusqu'au bout.
Il semble bien qu'il va falloir vivre momentanément avec un environnement complètement capitaliste, il va falloir commercer, etc. et redresser une économie qui est bien loin d'avoir atteint son niveau d'avant 1914. On lance des appels aux capitaux étranger – et particulièrement des appels aux capitaux américains pour qu'ils viennent investir en Russie.

Trotsky dit qu'il n'y a eu jusqu'ici que deux vraies révolutions: la Grande révolution française et la révolution russe. Il a une connaissance de la révolution française jusque dans les détails et aussi il semble bien connaître les campagnes napoléoniennes: on trouve une allusion à la foudroyante campagne de Prusse de 1806.

C'est plein de petites péripéties, de petits à-coté qu'on ne savait pas forcément et qui peuvent être étonnants. Je pense surtout à une histoire de russes blancs, à des articles écrits par ces militaires russes blancs dans leur presse d'exil, qui vont permettre à Léon Trotsky de faire une présentation subtile du patriotisme et de l'image que donne la Russie – et son armée rouge. Ça vaut le coup d'être lu, ces réactions. Je vous laisse découvrir ça.

D'ailleurs, je vous laisse découvrir le reste. Vous ne serez pas dépaysés: on a parfois un proverbe français cité par Trotsky.

[com_71]

À propos des Écrits militaires, deux liens :
https://www.persee.fr/doc/homso_0018-43 ... m_8_1_3124
http://revueperiode.net/pour-une-doctri ... e-1920-21/

Et un autre à propos de la parution à l'Herne, en 1975, d'un autre ouvrage, L’art de la guerre et le marxisme-théorie et stratégie :
https://www.defnat.com/e-RDN/vue-articl ... icle=18055
J'apprécie bien cette mention :
Après avoir énuméré toutes les menues besognes qui jalonnent la vie du soldat et qu’il faut avant tout lui apprendre à bien faire, il affirme : « En un jour de fête, celui qui appellera doctrine militaire ce programme pratique ne sera pas puni »
Reste que ce second ouvrage de l'Herne, malheureusement enfoui dans ma bibliothèque - mais où ?, on ne sait toujours pas s'il correspond à une étape dans les 5 tomes publiés par J.J. Marie et Cie.

[Cyrano]

"L’art de la guerre et le marxisme", rien que ce titre aurait énervé Trotsky - qui semble bien loin du dogmatisme.
Toutes ces discussions sont présentes dans les tomes 4 et 5. C'est pour ça que j'ai acheté les tomes 4 et 5, pour avoir, la guerre civile terminée, le bilan des réflexions sur la guerre, l'armée, le capitalisme qui a survécu en Europe et en Amérique. Finalement, j'avais peu de lectures sur ces années apaisées. Et là, on est à chaud, c'est sans filet.

[artza]

...Cronstadt , Trotsky en parle en des termes qui aujourd'hui seraient fautifs, maintenant que les historiens ont écrit là-dessus.

Voilà qui de bon matin dans la moiteur d'une nuit caniculaire alerte tous vos sens.

Je ne sais de quels historiens (historiens= chiens qui se chamaillent dans les poubelles?) il s'agit .

Trotsky sur Cronstadt n'a jamais varié de point de vue . Il eut à maintes reprises à s'en expliquer le plus souvent face à des critiques qui dans le même temps couvraient, justifiaient, relativisaient les crimes des staliniens et/ou soutenaient les trahisons de leurs amis (Emma Godmann).

[jamesdan]

Quant à Trotsky lui-même, il n'a pas dirigé personnellement la répression de Cronstadt mais en était bien sûr solidaire politiquement , et pour cause!

Que dit Paul Avrich, professeur à l'université de Columbia : "dans le cas de Cronstadt, l'histoire peut se permettre d'affirmer que sa sympathie va aux rebelles tout en concédant que la répression bolchevique fut justifiée".

P. Avrich n'est ni bolchevik, ni trotskyste. "Les bolcheviks… demeuraient le plus sûr rempart contre le retour des blancs et l'effondrement de la révolution".

Avrich apporte un document qu'il a trouvé dans les archives du comité national russe, une organisation d'émigrés, intitulé "le Mémorandum", inconnu et pour cause à l'époque par les dirigeants bolcheviques ; ce "Mémorandum" a été écrit quelques semaines avant Cronstadt, et son authenticité n'est mise en doute par personne. Il prouve qu'il y avait un complot en préparation, avec un plan politique, militaire et financier. Mais la rébellion sur laquelle voulaient s'appuyer les comploteurs a éclaté trop tôt. Les dirigeants bolcheviques savaient que le temps leur était compté : "lorsque la fonte des glaces se serait produite, Cronstadt allait recevoir l'aide de la contre-révolution mondiale. La NEP n'aurait pas le temps de produire ses effets. Les oscillations de la paysannerie pourraient les mettre en conflit avec la classe ouvrière. D'où leur décision d'intervenir et de réduire la rébellion aussi rapidement que possible".

Pourtant les bolcheviques ont négocié avec les révoltés…, ont posé un ultimatum… avant de réprimer.

Qu'auraient dû faire, qu'auraient pu faire les dirigeants bolcheviques, sinon abandonner le pouvoir aux capitalistes et aux forces blanches ? Ce fut une tragique nécessité.
Rappelons que Trotsky, à la tête de l'Armée rouge, dut faire face à 14 armées étrangères, excusez du peu !

[jamesdan]

Quant à la responsabilité personnelle de Trotsky: "La vérité dans cette affaire, c'est que je n'ai pas pris personnellement la moindre part à l'écrasement de la rébellion de Cronstadt, ni aux répressions qui l'ont suivie. A mes yeux, ce fait même n'a aucune importance politique. J'étais membre du gouvernement, je considérais nécessaire d'étouffer la rébellion et je porte donc la responsabilité de la pacification… La décision d'écraser militairement la rébellion, si on ne pouvait amener la forteresse à la reddition, d'abord par des négociations de paix, puis par un ultimatum…, fut adoptée avec ma participation directe… Mais une fois la décision prise, j'ai continué à demeurer à Moscou et n'ai pris part, ni directement ou indirectement, aux opérations militaires. Quant aux répressions qui ont suivi, elles ont été l'affaire exclusive de la Tcheka. C'est Dzerjinsky qui en eut la responsabilité personnelle et il ne tolérait, à juste titre, aucune ingérence dans ses fonctions… Mais, je suis prêt à reconnaître que la guerre civile n'est pas une école d'humanisme. Les idéalistes et les pacifistes ont toujours accusé la révolution « d'excès ». Mais le point essentiel, c'est que les « excès  découlent de la nature même de la révolution qui, en elle-même n'est qu'un « excès » de l'histoire…".