Angélica part d'abord étudier à l'Université Nouvelle en Belgique. Elle y rencontre Elisée Reclus qui avait participé à la création de cette Université :
Reclus était un révolutionnaire, mais aussi un des plus éminents savants de son temps ; il avait pris part à la Commune de Paris, et ses opinions anarchistes lui avaient valu d’être expulsé de France. Il incarnait le type même de l’intellectuel anarchiste de l’époque. Sa vie offrait un exemple quotidien de ses principes. Toutes les victimes de l’inégalité, qu’elles fussent innocentes ou coupables, honorables ou non, en appelaient à sa générosité et à son courage. Sa femme ne lui accordait que quelques centimes d’argent de poche par jour, sachant bien qu’il était capable de donner tout ce qu’il avait, et bien souvent à des gens qui abusaient de sa confiance et de sa bonté.
Par un ami qui travaillait en liaison étroite avec Reclus, j’appris que j’étais son étudiante préférée. Je n’ai toujours pas compris pourquoi. Je ne connaissais pratiquement rien à la matière qu’il enseignait. Mais il faut dire qu’il n’avait aucun moyen de le vérifier. Les formalités universitaires l’agaçaient au plus haut point, et il n’interrogeait jamais ses étudiants. […]
Autant la personnalité de Reclus m’impressionnait, autant ses cours me laissaient sur ma faim. Ils étaient intéressants et instructifs, mais sa philosophie sociale manquait de ce principe que je recherchais avec passion : la causalité. J’en vins rapidement à la conclusion que je n’étais pas et ne serais jamais une anarchiste, en dépit de mon admiration pour les anarchistes individualistes, l’esprit de sacrifice et l’idéalisme élevé qu’ils apportaient au mouvement.
Y'a aussi des étudiants russes :
Mes compatriotes, les étudiants russes, étaient très au fait des théories radicales. Un grand nombre d’entre eux avaient fait partie du mouvement clandestin en Russie, et ils n’avaient pas grand-chose en commun avec les étudiants inorganisés des autres pays, non plus qu’avec des personnes comme moi qui, bien que parlant la même langue, venaient d’un milieu protégé, authentiquement bourgeois. J’admirais ces Russes qui pouvaient discuter durant des heures de Marx et de Bakounine et qui avaient participé à des manifestations ainsi qu’à d’autres activités révolutionnaires. Comparés à ceux d’entre nous qui n’avaient jamais rien fait pour la Cause, qui n’avaient jamais eu à connaître la répression ni le terrorisme policier, ils faisaient figures de héros. Comme je craignais de leur paraître indiscrète ou de leur découvrir ma naïveté, je me contentais de les vénérer de loin.
Elle va écouter Emile Vandervelde à la Maison du Peuple :
Vandervelde devait accéder plus tard à la présidence de l’Internationale ouvrière et socialiste – au Comité exécutif de laquelle j’allais le retrouver. En 1914, il devint ministre d’Etat du gouvernement belge et, en 1925, ministre des Affaires étrangères. A cette époque, il était considéré comme l’un des socialistes européens les plus ardents et les plus talentueux, une autorité en matière de questions économiques et financières. Il était riche, aimable, physiquement attirant, et passait pour un excellent orateur. En fait, il possédait toutes les qualités propres à assurer son prestige auprès des idéalistes romantiques, y compris la majorité du corps étudiant. Les jeunes filles, surtout, l’adoraient.
Elle flotte, elle hésite, elle apprend :
Même si je ne me sentais pas encore attirée par le principal courant du mouvement ouvrier, j’assistais cependant à un nombre incalculable de conférences sur l’histoire de la classe ouvrière. J’étais arrivée à Bruxelles avec une âme de révoltée plus qu’avec une conscience de révolutionnaire, et, en assistant aux meetings de la Maison du Peuple comme en écoutant les discussions des ouvriers venus là après une longue journée de travail, je commençais à entrevoir le nombre de choses qu’il me restait à apprendre. J’avais drapé mes aspirations personnelles d’abstractions telles que le Savoir, la Vérité, la Justice et la Liberté, et je me rendais maintenant compte que la simple passion pour la justice sociale ne suffisait pas à faire une révolutionnaire. Les brillantes idées libertaires de Reclus avaient soulevé mon enthousiasme en même temps qu’elles avaient manqué à satisfaire ma curiosité intellectuelle. […]
En Belgique comme dans les autres pays occidentaux, la démocratie s’assortissait de la plus abjecte pauvreté. Les révolutions du passé, menées au nom de ces belles abstractions, avaient laissé la classe ouvrière dans ses chaînes. Seule une nouvelle révolution sociale, un nouveau système économique pourraient l’en sortir. Mais comment devait-on s’y prendre ?
Eh bien, le choc arrive...