Un jour ou deux après la clôture du Second Congrès, John Reed me demanda de passer le voir. « J’ai un peu de bois, me dit-il, et devinez quoi : des pommes de terre que j’ai rapportées de ma dernière tournée. Je les ferai cuire pour vous. »
Angelica désire repartir de Russie maintenant. Elle en parle à Lénine. Attention, c'est le seul endroit de son bouquin où elle parle (brièvement) de Staline en ne se contentant pas de citer son nom.
– [Lénine] Qu’est-ce qui vous oblige à partir ?
– Vous le savez très bien. La Russie ne semble pas avoir besoin de gens comme moi.
– Mais nous, si. Nous sommes si peu. »
Lénine prononça ces mots avec une telle gravité, que chaque fois que je me les rappelle, j’ai l’impression qu’il pressentait ce qui allait arriver à la Révolution. Il méprisait certains de ses collaborateurs, mais il ne le montrait jamais aussi longtemps qu’il avait besoin de leurs services.
C’est ainsi qu’avant la Révolution, Zinoviev avait été son plus proche compagnon ; mais lorsque arriva le moment où Lénine décida qu’il fallait prendre le pouvoir, comme Zinoviev hésitait et doutait, Lénine le désavoua aussitôt et déclara qu’il avait toujours considéré Zinoviev comme un lâche. Il méprisait Radek pour son absence de caractère et son inconsistance, mais il encouragea ces penchants lorsqu’il estima qu’ils pouvaient lui être utiles. Il n’aimait pas Trotsky, parce que ce dernier l’avait combattu pendant des années et que certains traits de son caractère lui déplaisaient. Mais quand il comprit les services que Trotsky pouvait rendre à la Révolution, il ne vit plus en lui que le révolutionnaire et l’éleva aux plus hautes fonctions.
Quant à son attitude à l’égard de Staline, je dirai simplement que personne en 1920 ne semblait avoir « d’attitude » à son égard, parce que dans la vie politique du mouvement, Staline n’avait aucune importance. C’est seulement plus tard que Lénine se préoccupa de Staline – dans la dernière année de sa vie.