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Message Publié : 26 Fév 2011, 23:19
par com_71
dans LO :
a écrit :Martinique - la mort d'Édouard Glissant

L'écrivain martiniquais Édouard Glissant est mort le 3 février 2011, dans sa 83e année. C'est avec le roman La Lézarde qu'il obtint le prix Renaudot en 1958. Mais Glissant fut aussi poète, dramaturge, essayiste. Sa jeunesse fut marquée par des prises de position qui lui ont fait dénoncer le colonialisme et le racisme.

En 1956, il participa à Paris, avec Aimé Césaire et Frantz Fanon, au premier congrès des écrivains et artistes noirs, qui fut aussi une protestation multiforme contre la ségrégation raciale aux États-Unis, l'oppression coloniale en Algérie, aux Antilles et en Afrique.

En 1960, il signa, avec entre autres Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Daniel Guérin, Laurent Schwartz, André Breton, le Manifeste des 121 contre la guerre d'Algérie.

Il fut expulsé de la Guadeloupe en 1961, où il résidait alors, pour avoir été l'un des fondateurs du Front antillo-guyanais pour l'autonomie. Ce fut aussi le sort de bien d'autres fonctionnaires antillais, victimes de l'ordonnance d'octobre 1960 qui assignait à résidence en France ceux d'entre eux qui, aux yeux du pouvoir colonial, « troublaient l'ordre public ». Fin 1962, il milita dans la branche parisienne de l'OJAM (Organisation de la jeunesse anticolonialiste martiniquaise). En 1967, il fonda l'Institut martiniquais d'études à Fort-de-France.

Édouard Glissant poursuivit une carrière littéraire qui lui valut une réputation internationale. C'est au cours de ses recherches et dans ses nombreux ouvrages, qu'il élabora sa théorie de la « créolisation » et du « tout monde », qui pourrait se résumer dans la citation suivante : « La créolisation, c'est un métissage d'arts ou de langages qui produit de l'inattendu. C'est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. C'est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le désordre, l'interférence deviennent créateurs. C'est la création d'une culture ouverte et inextricable, qui bouscule l'uniformisation par les grandes centrales médiatiques et artistiques. Elle se fait dans tous les domaines, musiques, arts plastiques, littérature, cinéma, cuisine, à une allure vertigineuse... »

Écrivain talentueux, certes, Édouard Glissant a abordé et ressenti les problèmes des limites culturelles imposées partout aux populations pauvres. Mais il n'en a pas tiré la conclusion qu'il fallait à ces couches pauvres un programme de bouleversement social profond. Il n'est pas le seul. Aimé Césaire et bien d'autres, bien que fustigeant « le colonialisme », se sont finalement accommodés de l'ordre social inique sous lequel nous vivons. Les prises de position politiques de Glissant attestent bien ce fait : en 2002 il ne trouva rien de mieux que de soutenir une notable de gauche modérée, Christiane Taubira, du Parti Radical de Gauche, qui elle-même soutenait le gouvernement Jospin. Cette prise de position mettait Édouard Glissant dans le camp politique d'une petite bourgeoisie de gauche modérée. Le rôle de ses leaders n'est ni plus ni moins celui de faire admettre la crise, le chômage, les privations aux travailleurs et aux couches pauvres de la population. Glissant fera même signer un avant-propos à son livre Mémoires des esclavages par... Dominique de Villepin, ancien Premier ministre de droite et membre, s'il en est, du personnel politique de la bourgeoisie française.

Ce n'est pas là le moindre des paradoxes de bon nombre d'écrivains et d'intellectuels brillants. Se mettre exclusivement sous le drapeau de la libération des exploités reste, hélas, le choix d'une minorité d'entre eux.

Pierre JEAN-CHRISTOPHE


Dans France-Antilles 24/02/2011 d'un dirigeant du GRS :
a écrit :Edouard Glissant, continuer nos combats et le débat !

La foule présente aux céré­monies pour celui qui s'en va, les présences offi­cielles du pouvoir sont une nouvelle preuve des change­ments de la situation politique aux Antilles. Derrière l'écume des évé­nements en surface, le pays conti­nue de bouger. Le combat pas­sionné d'Edouard Glissant et de tant d'autres, celui du peuple, tout simplement n'est pas vain. Devant sa dépouille prenons l'engage­ment de poursuivre les combats et de continuer à interroger ? Œuvre !

Notre attachement à Edouard Glissant ne résulte pas d'un accord avec tous ses actes, tous ses écrits dont aucun parmi nous n'a lu ni discuté l'intégralité. Pen­seur infatigable, écrivain puissant, il laisse une oeuvre multiple dont l'exploration doit continuer. D'au­tant que même devant des désac­cords évidents, une complexité ' fascinante et unè opacité irritante, il nous oblige à penser, avec notre propre tète. A penser et à rêver aux cotés des personnages de ses romans qui sont souvent l'illustra­tion étonnante d'une théorie, d'u­ne vision historique. Ainsi pour son idée du peuple martiniquais, synthèse de "l'humus sauvage" des Longoué et du "terreau domes­tique" des Beluse, synthèse dont l'épaisseur et la richesse comptent autant que les événements emblé­matiques de notre histoire. Le 22 mai 1848 n'est ainsi évoqué que par une ligne dans "le quatrième siècle" (moins encore donc que dans "Frères Volcans" de notre regretté Vincent Placoly) Edouard Glissant est un poète des profon­deurs et son anticolonialisme s'en ressent.

Anticolonialiste et internationaliste

Des les débuts ces deux principes sont fondamentaux chez Glissant. Ses démêlés célèbres avec le colo­nialisme (interdiction de séjour dans son propre pays !) sont liés aux balbutiements du mouve­ment national, à l'époque du Front Antillo-Guyanais pour l'Autonomie où on ne plaisantait pas avec «l'atteinte à' la sureté de l'Etat» de la «France une et indi­visible». Edouard Glissant a accompagné le passage à l'indé­pendantisme des courants les plus radicaux et a maintenu jusqu'à sa mort cette position de principe en y ajoutant une double originalité : d'abord une tendance à accorder plus d'importance aux dynamiques profondes, au mou­vement réel et multiple qu'aux définitions institutionnelles préci­ses. ensuite une conviction que l'indépendance n'exclue pas l'in­terdépendance, affirmée comme le destin de tout pays, à l'ère du 'Tout Monde"
Cette position soulignée plus sou­vent sur le tard renoue avec l'in­ternationalisme assumé des sa jeunesse militante. Même si nul ne le dit (lui-même ne le criait pas sur tous les toits sans pour autant le cacher comme un certain Jospin !) Edouard Glissant a par­tagé le combat de la Quatrième Internationale dans les années cinquante, aux cotés de Pierre. Frank qui nous en parla lors de la création du GRS, prés de deux décennies phis tard. La préoccu­pation du monde, la vision straté­gique mondiale, le souci obsédant du dialogue des civilisations n'est donc pas chez lui une conversion tardive accompagnant la mode du discours sur la mondialisation. Il est évident que cette façon de lier un anticolonialisme fonda­mental et un internationalisme de fait, quelque soient les noms don­nés aux choses nous plait singu­lièrement.
Une vision ouverte des cultures et des identités.
C'est au contraire ce qui rend mal à l'aise un certain nationalisme face à Edouard Glissant. Ce nationalisme là, colérique et d'autant plus ombrageux qu'il se sen­tait trahi, s'est mis à guetter les moindres bévues, lorgner les moindres éventuelles contradic­tions linguistiques. Facile alors de s'en donner à cœur joie quand justement Edouard Glissant se refusait d'écarter la contradiction, amoureux même d'une certaine façon d'égarer celles et ceux qui voudraient s'en faire de simples affidé-e-s.
Toujours est-il que son refus de l'i­dentité-racine unique, sa fascina­tion pour les origines multiples, pour l'enrichissement par la rela­tion, son combat contre l'essen­tialisme, pour la prise en compte de l'histoire (ce qu'au fond il dési­gnait par l'expression de «créoli­sation») sont des valeurs précieu­ses face aux théories haineuses du «choc des civilisations». Une tri­ste actualité nous apprend qu'An-gela Merkel l'Allemande et David Cameron le Britannique dénon­cent avec virulence le multicultu­ralisme.

Engagement et littérature

Chez nous moins qu'ailleurs le lien entre la production intellec­tuelle et le militantisme quotidien dans le camp prolétarien n'est une chose facile. Quelques êtres d'exception dans l'histoire l'ont réussi , non sans lacunes et erreurs parfois lourdes de consé­quences : les Marx, Lenine, Rosa Luxembourg, Trotski, Fanon, Che ne sont pas légion. Edouard Glissant a évidemment penché du coté de la réflexion distanciée mais jusqu'à la fin il a refusé la tour d'ivoire. Son dernier écrit connu sur la question sociale en Martinique faisait suite à sa puis­sante dénonciation de la sale invention sarkosienne d'un minis­tère associant de façon perverse les notions d'immigration et d'i­dentité nationale (française évi­demment).
Personne ici ne s'étonnera que nous retenions sa charge puissan­te contre le capitalisme et sa mal­faisance, même si nous avons d'autres idées sur la façon de met­tre par terre ce système mortifère. Sur ce point comme sur beau­coup d'autre la tache des amou­reux de ce gigantesque poète n'est pas le suivisme béat et la vaine recherche de recettes toutes faites mais bien l'étude critique assidue et renouvelée d'une œuvre qui a encore beaucoup à nous dire. Oui, car nous sommes toujours à la recherche des « armes miracu­leuses ».

Merci , Edouard Glissant.

Philippe Pierre-Charles

Message Publié : 27 Fév 2011, 09:58
par artza
Parle-t-on du même homme? :roll: