
Est-ce autre chose qu’un hasard de la rentrée littéraire ? Toujours est-il qu’outre un essai de Benoît Rayski, L’affiche rouge (Denoël), et le film de Robert Guédiguian qui sort ces jours-ci en salle, L’armée du crime, deux romans de cette rentrée tournent autour de figures de la tristement célèbre affiche : Le tombeau de Tommy de Alain Blottière (Gallimard), et Missak de Didier Daenninckx (Perrin).
Le roman de Alain Blottière se présente sous la forme d’un récit où le narrateur, cinéaste, raconte la réalisation d’un film sur Thomas Elek, dit Tommy, Juif hongrois fusillé à 19 ans avec les hommes du “groupe Manouchian”, le 21 février 1944. On suit ainsi le réalisateur dans ses recherches et réflexions historiques autour du scénario comme dans ses relations avec son jeune acteur, un skateur croisé par hasard au Trocadéro et que va métamorphoser sa rencontre posthume avec un Tommy dont jusqu’alors il ignorait même l’existence – le récit étant entrecoupé par le script du film. La richesse du roman fera pardonner à son auteur une fin qui laisse le lecteur étrangement en suspens. Pour cerner son héros, le narrateur, sous la plume de Alain Blottière, revient en effet sans pathos sur l’engagement, la vie et le combat de ces jeunes partisans des FTP-MOI (et de leur famille quand ils en avaient encore une), au travers notamment de pages oubliées comme La mémoire d’Hélène, souvenirs de la mère de Thomas Elek que François Maspero publia en 1977. L’auteur a par ailleurs réuni sur un site Internet (www.letombeaudetommy.net) divers documents (photos, vidéos, références) mentionnés dans le roman.
« Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus ». Cette phrase de Missak Manouchian, dans la lettre fameuse qu’il adressa à sa femme Mélinée quelques heures avant son exécution, a longtemps disparu des citations – lesquelles, dans l’après-guerre, étaient surtout le fait du PCF. Or, début 1955, la mairie du XXe arrondissement de Paris décide de rebaptiser une rue “Groupe Manouchian” en l’honneur des fusillés de 1944. Pour cette occasion – « onze ans déjà, que cela passe vite, onze ans » –, le PCF commande à Louis Aragon un poème : ce sera Strophes pour se souvenir, inspiré de la lettre de Missak à Mélinée et que Léo Ferré mettra en musique sous le titre L’affiche rouge (à écouter par exemple ici).
Ici se nouent le fil de l’Histoire et la trame romanesque du livre de Didier Daenninckx : anticipant l’intérêt que l’inauguration de la rue pourrait susciter envers des aspects occultés de l’histoire des FTP-MOI parisiens que dirigeait Missak Manouchian, la direction du PCF charge un jeune journaliste de L’Humanité de préparer un dossier en menant l’enquête auprès des survivants. Cette enquête va le mener, au gré des rencontres – Willy Ronis (qui vient de disparaître), Louis Aragon, Roland Fillâtre, Charles Tillon, Henri Krasucki… – à découvrir une Histoire moins simple que celle que lui enseignaient ses certitudes de militant stalinien, fier de l’URSS, du “Petit père des peuples” (on est avant le XXe Congrès du PCUS mais après les procès de Prague et de Sofia) et du “Parti des fusillés”. Ainsi lorsqu’il est conduit à s’interroger sur les nouvelles venant d’Arménie soviétique, où est provisoirement retournée Mélinée Manouchian après la guerre. Ou lorsqu’il apprend par Roland Fillâtre la véritable identité de l’un des 22 fusillés : Arben Abramovitch Dav’Tian, entré en France et exécuté sous la fausse identité de Armenak Manoukian, militant bolchevique en 1917, soldat puis officier de l’Armée rouge dans le Caucase, exclu du parti et emprisonné pour “trotskysme”, proche de l’Opposition de gauche en URSS puis en France où il rejoint un temps le “groupe russe” autour de Sedov sous le nom de Tarov (nom sous lequel le désigne Trotsky dans un texte de septembre 1935, La terreur de l’auto-conservation bureaucratique – cf. marxists.org).
Chacun à sa manière, Alain Blottière et Didier Daenninckx font revivre ces personnages en en respectant l’histoire, donc la mémoire. On ne peut malheureusement pas en dire autant du film de Robert Guédiguian !
Quelques sources intéressantes sur la question :
* Livres :
Le sang de l'étranger – Stéphane Courtois, Denis Peschanski & Adam Rayski (Fayard, 1989)
Testament – Boris Holban (Calmann-Lévy, 1989)
* Vidéo :
La traque de l'Affiche rouge – Jorge Amat & Denis Peschanski (Compagnie des Phares et Balises ; également visible en 4 parties sur DailyMotion)
Le roman de Alain Blottière se présente sous la forme d’un récit où le narrateur, cinéaste, raconte la réalisation d’un film sur Thomas Elek, dit Tommy, Juif hongrois fusillé à 19 ans avec les hommes du “groupe Manouchian”, le 21 février 1944. On suit ainsi le réalisateur dans ses recherches et réflexions historiques autour du scénario comme dans ses relations avec son jeune acteur, un skateur croisé par hasard au Trocadéro et que va métamorphoser sa rencontre posthume avec un Tommy dont jusqu’alors il ignorait même l’existence – le récit étant entrecoupé par le script du film. La richesse du roman fera pardonner à son auteur une fin qui laisse le lecteur étrangement en suspens. Pour cerner son héros, le narrateur, sous la plume de Alain Blottière, revient en effet sans pathos sur l’engagement, la vie et le combat de ces jeunes partisans des FTP-MOI (et de leur famille quand ils en avaient encore une), au travers notamment de pages oubliées comme La mémoire d’Hélène, souvenirs de la mère de Thomas Elek que François Maspero publia en 1977. L’auteur a par ailleurs réuni sur un site Internet (www.letombeaudetommy.net) divers documents (photos, vidéos, références) mentionnés dans le roman.
« Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus ». Cette phrase de Missak Manouchian, dans la lettre fameuse qu’il adressa à sa femme Mélinée quelques heures avant son exécution, a longtemps disparu des citations – lesquelles, dans l’après-guerre, étaient surtout le fait du PCF. Or, début 1955, la mairie du XXe arrondissement de Paris décide de rebaptiser une rue “Groupe Manouchian” en l’honneur des fusillés de 1944. Pour cette occasion – « onze ans déjà, que cela passe vite, onze ans » –, le PCF commande à Louis Aragon un poème : ce sera Strophes pour se souvenir, inspiré de la lettre de Missak à Mélinée et que Léo Ferré mettra en musique sous le titre L’affiche rouge (à écouter par exemple ici).
Ici se nouent le fil de l’Histoire et la trame romanesque du livre de Didier Daenninckx : anticipant l’intérêt que l’inauguration de la rue pourrait susciter envers des aspects occultés de l’histoire des FTP-MOI parisiens que dirigeait Missak Manouchian, la direction du PCF charge un jeune journaliste de L’Humanité de préparer un dossier en menant l’enquête auprès des survivants. Cette enquête va le mener, au gré des rencontres – Willy Ronis (qui vient de disparaître), Louis Aragon, Roland Fillâtre, Charles Tillon, Henri Krasucki… – à découvrir une Histoire moins simple que celle que lui enseignaient ses certitudes de militant stalinien, fier de l’URSS, du “Petit père des peuples” (on est avant le XXe Congrès du PCUS mais après les procès de Prague et de Sofia) et du “Parti des fusillés”. Ainsi lorsqu’il est conduit à s’interroger sur les nouvelles venant d’Arménie soviétique, où est provisoirement retournée Mélinée Manouchian après la guerre. Ou lorsqu’il apprend par Roland Fillâtre la véritable identité de l’un des 22 fusillés : Arben Abramovitch Dav’Tian, entré en France et exécuté sous la fausse identité de Armenak Manoukian, militant bolchevique en 1917, soldat puis officier de l’Armée rouge dans le Caucase, exclu du parti et emprisonné pour “trotskysme”, proche de l’Opposition de gauche en URSS puis en France où il rejoint un temps le “groupe russe” autour de Sedov sous le nom de Tarov (nom sous lequel le désigne Trotsky dans un texte de septembre 1935, La terreur de l’auto-conservation bureaucratique – cf. marxists.org).
Chacun à sa manière, Alain Blottière et Didier Daenninckx font revivre ces personnages en en respectant l’histoire, donc la mémoire. On ne peut malheureusement pas en dire autant du film de Robert Guédiguian !
Quelques sources intéressantes sur la question :
* Livres :
Le sang de l'étranger – Stéphane Courtois, Denis Peschanski & Adam Rayski (Fayard, 1989)
Testament – Boris Holban (Calmann-Lévy, 1989)
* Vidéo :
La traque de l'Affiche rouge – Jorge Amat & Denis Peschanski (Compagnie des Phares et Balises ; également visible en 4 parties sur DailyMotion)