a écrit :MONIQUE GEORGES
C’était le colonel Fabien
Rouge n° 2283, 22/01/2009 Née en 1940, Monique Georges n’a quasiment pas connu son père, le colonel Fabien, figure de la Résistance communiste, dirigeant des Francs-tireurs partisans français (FTPF). Enfant, elle est cachée dans différentes familles d’accueil pour échapper aux recherches. Elle ne revoit sa mère, arrêtée et déportée à Ravensbrück, qu’en 1945. Professeur d’histoire à Louviers (Eure), elle eut Olivier Besancenot comme élève. Elle publie « Le colonel Fabien était mon père » (Mille et Une nuits, 320 pages, 18 euros, préface de Gilles Perrault, postface d’Olivier Besancenot).
Le colonel Fabien, qui s’en souvient ? Et pourtant, beaucoup ont entendu ce nom. Il évoque une place de Paris où se dresse, depuis le début des années 1970, le siège du Parti communiste français. Certains habitent peut-être une rue, une avenue, voire un immeuble HLM qui porte son nom, toujours dans une municipalité communiste et un quartier populaire. Mais, sauf pour les plus anciens, ce Fabien est un colonel, donc un militaire, sans doute mort à la guerre comme cela peut arriver dans cette profession – même si ce sont généralement les troufions qui y meurent, beaucoup plus rarement les officiers.
Bien peu savent que ce « colonel » n’a jamais été reconnu dans son grade par l’armée de métier, qui le considérait comme un officier d’occasion, un simple FFI parmi tant d’autres. À tel point qu’une demande en ce sens, adressée en 2005 à la ministre de la Défense, est restée sans réponse ! Fabien avait pourtant regroupé 3 000 volontaires bien décidés à repousser l’occupant nazi hors des frontières. Leur ardeur patriotique antifasciste fut reconnue par le général de Lattre, qui leur confia la tâche redoutable de franchir le Rhin les premiers, en mars 1945. Ils le firent en pensant à leur jeune colonel et ami mort quelques mois plus tôt en Alsace et, depuis, chaque année, les survivants se recueillent sur sa tombe, loin des flonflons officiels.
Drôle de colonel ! Il ne l’a d’ailleurs été que pendant les cinq derniers mois de sa vie. Jusque-là, il n’était que Pierrot, un titi parisien, fils d’un ouvrier boulanger, un copain débrouillard toujours prêt à aider ceux qui, dans son quartier de Belleville, subissaient les effets de la crise économique des années 1930, en particulier les jeunes immigrés d’Europe centrale, sans-papiers pourchassés par la police.
Très tôt, Pierre Georges, Pierrot donc, milita au Parti communiste, ainsi que ses frères, sa sœur et son père. Tous mettaient leurs espoirs d’une vie meilleure dans ce parti né de la Révolution d’Octobre ; « les lendemains qui chantent », ils y croyaient ! Ils crurent même qu’ils allaient y arriver, pendant les journées exaltantes de Mai-Juin 36, mais le gouvernement du Front populaire tergiversa, et les forces conservatrices veillaient, campées sur leurs privilèges. Puis, ce fut le coup de force de Franco contre le Frente popular. Pierrot en bout d’indignation, il n’a que 17 ans, mais il se débrouille pour rejoindre les Brigades internationales en Espagne, fin octobre, malgré les interdictions du parti et de son père. Il est communiste, donc internationaliste. Il se doit d’être aux côtés d’un peuple qui se bat pour ses droits et sa liberté, car sa défaite serait celle des autres peuples européens, Franco étant soutenu par Hitler et Mussolini. On connaît la suite.
Tout de suite repéré par Marty, le chef des Brigades, qui prend ce jeunot sous sa protection et en fait un temps son garde du corps, Pierrot rentra en France après un an et demi de combats, grièvement blessé sur le front d’Aragon. Après une courte embellie au cours de laquelle il tombe amoureux et se marie, il est de nouveau entraîné dans les tourbillons de la politique internationale : le gouvernement Daladier met à profit le Pacte germano-soviétique pour se débarrasser de ces « moscoutaires » pourvoyeurs de grèves et d’agitation sociale. Des milliers de communistes sont emprisonnés, sans jugement, pendant des mois, parmi lesquels tous les jeunes de la famille Georges. Ce qui ne fait que renforcer en eux le sentiment d’injustice et la volonté de se battre contre le régime de Vichy et sa bourgeoisie triomphante, et contre l’occupant nazi.
Dès l’été 1940 et pendant toute la période de l’Occupation, Pierrot, évadé, ne cesse plus de se battre. Les tournants brusques de la ligne du PCF, imposés par Moscou, sont le moindre de ses soucis. Alors que Duclos tente encore d’obtenir la parution légale de l’Humanité, il prépare, dans le Sud-Est, les jeunes communistes à la lutte clandestine. À Paris, le 21 août 1941, pour venger deux camarades et amis fusillés deux jours plus tôt à la suite d’une manifestation interdite, il donne le signal de la lutte armée en abattant un officier allemand à la station de métro Barbès-Rochechouart. Cette action d’éclat est aussitôt condamnée par Vichy et entraîne une aggravation de la répression. C’est le début de la lutte armée, qui suscite bien des controverses, jusqu’à l’intérieur du Parti communiste, où certains la jugent contre-productive, car elle entraîne l’exécution d’otages et tétanise la population. Mais fallait-il subir passivement les privations, les humiliations, en attendant un débarquement allié bien hypothétique, en 1941 ? Pour Pierre, il n’est pas question que l’occupant nazi jouisse en toute quiétude de la soumission des vaincus. Il poursuit son combat dans les rangs des FTP en Franche-Comté, en Bretagne. Il paie au prix fort cette exigence de dignité : arrêté, torturé, évadé, il voit tomber autour de lui ses camarades de lutte, les membres de sa famille, fusillés, déportés, mais il demeure animé par une volonté qui ne se relâche jamais et lui fait prendre une part active à la libération de Paris, en août 1944, sous le nom de colonel Fabien.
À ce moment, alors que certains ne pensaient déjà plus qu’à prendre le pouvoir, il décide, avec d’autres résistants volontaires, de continuer à se battre aux côtés des Alliés pour chasser l’occupant du territoire. Cependant, le gouvernement provisoire, dirigé par le général de Gaulle, voit d’un très mauvais œil ces éléments de la résistance populaire qui refusent de lui faire allégeance, qui espèrent après la guerre jouer un rôle dans la société et dans l’armée à la mesure de leur engagement dans la Résistance. Rejeté par l’armée française, Fabien met sa brigade au service de la IIIe Armée américaine en Lorraine, avant qu’elle ne soit finalement intégrée à la Ière Armée française par le général de Lattre de Tassigny. Pierre Georges meurt le 21 décembre 1944, dans des circonstances demeurées inexpliquées. Il a 25 ans. ■