Le jazz, "art prolétarien" ?

Message par Matrok » 27 Mai 2008, 20:37

Allez, j'ouvre un nouveau fil car ça nous écarte de l'"art et la critique sociale".

Résumé des épisodes précédents : titillé par la thèse défendue par Trotsky dans "Littérature et Révolution", j'ai proposé le jazz comme contre exemple : le jazz serait-il un "art prolétarien" ?

Je répond à la réponse de Vérié, dans le désordre, ça me semble plus pratique...
(Vérié @ mardi 27 mai 2008 à 14:49 a écrit :De toute manière, l'art, par nature dépasse et transcende la conditions immédiate de l'artiste. C'est pour cela qu'il est universel et peut souvent être compris et apprécié par des catégories, classes sociales, nationalités différentes. Pas toujours, car un certain degré de sophistication peut aussi parfois en barrer l'accès aux non initiés. (...)
Bref, il faut complètement laisser de côté ces théories staliniennes stupides d'art prolétarien et d'art bourgeois. (Ce qui ne veut pas dire évidemment que toute idéologie est absente des oeuvres artistiques.)

En fait je suis tout à fait d'accord avec toi là dessus. Et aussi quand tu écris en réponse au convive qu'un tract ça n'est pas une œuvre d'art. En fait cette histoire d'art bourgeois vs art prolétarien me semble aussi peu pertinent que la distinction des nazis entre art arien et art dégénéré. C'est la suggestion du convive de faire un "musée des horreurs" avec les œuvres qu'il sauvera de l'autodafé qui m'y a fait penser... Pourtant, quelques remarques :

Comme tu le reconnais, toute idéologie n'est pas absente des œuvres artistiques. En ce sens cette distinction entre art bourgeois et art prolétarien, pour peu pertinente qu'elle est, l'est quand même plus qu'entre "science bourgeoise" et "science prolétarienne", puisque la science tente de s'abstraire de l'idéologie alors que l'art, assez souvent, tente de la justifier par ses propres moyens.
La recherche d'un "art prolétarien" par opposition avec l'"art bourgeois" n'a pas commencé avec le stalinisme. De même que le "réalisme socialiste" qui aujourd'hui évoque systématiquement l'art officiel russe ou chinois : c'est en fait le résultat d'une perversion d'un courant artistique plus complexe et plus riche avant Staline qu'après.
Trotsky a consacré tout un bouquin à défendre l'idée qu'il ne saurait y avoir d'art prolétarien parce que le prolétariat n'a pas le temps de développer sa propre culture... j'y reviendrais plus bas, il me semble qu'on doit d'abord comme tu l'as dit se méfier de cette distinction trompeuse entre "art bourgeois" et "art prolétarien", mais qu'on doit aussi chercher à voir s'il n'y a pas réellement un art prolétarien malgré tout !


Appartée sur ce que j'ai coupé :
a écrit :Mais cette sophistication n'est pas non plus une barrière de classe, une caractéristique "élitiste" bourgeoisie : le tango et le flamenco qui se sont eux aussi dévelopés dans des milieux populaires étaient déjà très sophistiqués, avec leurs propres règles très complexes,  avant de gagner les salons de la bourgeoisie.

Tu pointes là exactement ce que je m'apprétais à répondre sur le jazz : il ne s'agit en rien d'une imitation maladroite d'un art de la haute société bourgeoise ou aristocratique mais bien d'un art qui a développé ses propres règles. Lesquelles n'ont par ailleurs aucun caractère de classe en elles-mêmes, bien sûr.

Revenons au jazz :
a écrit :
(Matrok @ lundi 26 mai 2008 à 14:59 a écrit : Le jazz et son cousin le blues sont nés au début du vingtième siècle chez les ouvriers et les ouvriers agricoles noirs du Sud des Etats-Unis (ex-esclaves), et toute l'histoire du jazz nous montre qu'il s'est d'abord diffusé en suivant les mouvements de cette population vers les centres industriels du Nord, Chicago notamment... c'est d'ailleurs là qu'apparaissent les premiers musiciens de jazz blancs, issus eux aussi de la classe ouvrière (cf. "Really the Blues" de Milton Mezz Mezrow).

Qu'une forme d'expression artistique trouve naissance dans les classes populaires ne permet pas de dire qu'il s'agit d'un "art prolétarien". De même que les écrivains d'origine populaire, meme quand ils parlent du peuple et du prolétariat, ne sont pas pour autant des auteurs de "littérature prolétarienne".

Pourquoi ? Tout simplement parce que, pour commencer, le prolétariat est soumis à l'idéologie, aux goûts et canons artistiques dominants. Dans tous les domaines. Tu remarqueras par exemple que, dans les meetings, manifs etc du 19èpme siècle et même plus tard, on voit par exemple toujours des ouvriers en costume-cravate, c'est à dire habillés "en bourgeois".

Quand un prolétaire prend sa guitare ou sa plume pour écrire une chanson, il est généralement influencé par l'idéologie dominante, meme quand il veut exprimer sa souffrance, son désespoir, sa révolte etc. S'il écrit un livre pour parler de sa vie ou meme de ses luttes, il va utiliser les techniques littéraires de son époque, qui n'ont pas elles-mêmes un caractère de classe, mais se sont développées dans l'intelligentsia bourgeoise etc.

Que les musiciens de jazz aient subi l'influence de l'idéologie dominante, évidemment c'est vrai. Qu'ils aient utilisés certaines techniques "de leur époque" qui se seraient développées "dans l'intelligentsia bourgeoise", c'est vrai aussi : par exemple l'harmonie tonale, excusez du peu ! Mais cette influence, ces emprunts, cette base générale, ce n'est absolument pas ce qui fait la spécificité du jazz. La notion d'improvisation dans les limites de l'harmonie, le swing (cette particularité rythmique qui défie la description par le solfège classique), certaines techniques de jeu, etc... ce sont bien des inventions du jazz, qui ne doivent pas grand chose à l'"art bourgeois".

a écrit :Et il existe aussi des sentiments qui n'appartiennent à aucune classe sociale : l'amour, la douleur, la nostalgie, les sensations suscitées par des sons, des couleurs, des formes harmonieuses etc.

Que l'art d'un groupe social auquel rien ou presque ne nous rattache puisse nous toucher, certes, c'est vrai. Pour autant (je ne sais pas si c'est ce que tu prétends), je me méfie des explications "naturelles" du sentiment esthétique. D'abord par expérience : le premier contact avec une œuvre d'une esthétique particulière ou bien d'un courant particulier qu'on ignorait jusque là est toujours difficile. Il faut un certain temps d'apprentissage, une certaine acclimatation pour commencer à percevoir l'intérêt proprement artistique de ce qui nous est étranger. Ce qui me semble confirmer que le sentiment esthétique est bien pour l'essentiel quelque chose de culturel ! Par ailleurs, certains aspects de l'harmonie tonale, en musique, s'expliquent par la physique et par les phénomènes de résonance. Mais même là, la culture est passée par là et a construit à partir de ces phénomènes naturels, plusieurs harmonies différentes. Pour revenir au jazz, l'essentiel de l'harmonie du jazz se base sur l'harmonie tonale, mais il existe (je n'entre pas dans les détails) une notion nouvelle, étrangère à l'harmonie tonale "classique" (même si elle y est rentrée depuis) : c'est la "blue note". Et il est très difficile de lui trouver une justification naturelle ! Ce qui est même étonnant car souvent les spécificités harmoniques des musiques traditionnelles s'expliquent par les résonances. Pas pour le blues et le jazz.
Matrok
 
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Message par charpital » 01 Juin 2008, 19:31

Enfin, pour le jazz c'est un peu compliqué. "Le jazz" n'a pas seulement créé une musique "jazz" qui se définit comme une "contre culture" (vis a vis de la musique occidentale) et qui se veut aussi complexe, aussi riche, aussi artistique que la "grande" musique (et qui l'est, alors que Carlos Gardel ou Piazzola sont jste de la "bonne" variété) Il ne faut pas oublier non plus toutes les variétés populaires qui sont une adaptation commerciale du jazz : swing, rythm ans blues, soul music, rap, etc.

Le fond du probléme c'est que je ne rangerais pas le jazz comme une musique prolétaire, c'est que c'est une musique qui RESTE raciale, pour moi le jazz (américain) est principalement noir. Les prolo blanc n'écoutent ni du jazz, ni une sous variété du jazz (genre R&B, rap) , ils écoutent du country, musique typiquement blanche. Donc le jazz c'est (éventuelement) la musique des prolo noirs. Pas des prolo tous courts.
charpital
 
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Message par Matrok » 01 Juin 2008, 20:13

(charpital @ dimanche 1 juin 2008 à 19:31 a écrit : Enfin, pour le jazz c'est un peu compliqué. "Le jazz" n'a pas seulement créé une musique "jazz" qui se définit comme une "contre culture" (vis a vis de la musique occidentale) et qui se veut aussi complexe, aussi riche, aussi artistique que la "grande" musique (et qui l'est...
Hum. Ce but était il là à l'origine ? J'en doute. C'est plutôt à partir du bebop, soit après la deuxième guerre mondiale, que la prétention de faire une musique savante est clairement affichée.

a écrit :... alors que Carlos Gardel ou Piazzola sont jste de la "bonne" variété) Il ne faut pas oublier non plus toutes les variétés populaires qui sont une adaptation commerciale du jazz : swing, rythm ans blues, soul music, rap, etc.

En fait toute la musique populaire doit quelque chose au blues et au jazz, y compris le rock ou la chanson française ! Et même dans la musique classique, Ravel, Gershwin, etc...

a écrit :Le fond du probléme c'est que je ne rangerais pas le jazz comme une musique prolétaire, c'est que c'est une musique qui RESTE raciale, pour moi le jazz (américain) est principalement noir. Les prolo blanc n'écoutent ni du jazz, ni une sous variété du jazz (genre R&B, rap) , ils écoutent du country, musique typiquement blanche.  Donc le jazz c'est (éventuelement) la musique des prolo noirs. Pas des prolo tous courts.

J'étais juste interloqué par cette thèse de Trotsky qui semblait impliquer qu'aucune forme d'art ne serait issu de la classe ouvrière et il me semble bien que le jazz reste quand même un bon contre exemple, et le fait que ce soit une musique noire n'y change pas grand chose.

Par ailleurs, dire que les prolos blancs n'écoutent pas de jazz, c'est simplificateur. Lire à ce sujet le bouquin de Milton Mezz Mezrow "Really the Blues" (traduit sous le titre "la fureur de vivre", c'est paradoxalement une bonne traduction sauf pour le titre), un musicien de jazz et pourtant blanc, comme il y en aura tant d'autres, Benny Goodman, Gene Krupa, Red Rodney, Stan Getz, Bill Evans, etc... Qui tous ont compris que cette musique était aussi la leur !
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Message par charpital » 01 Juin 2008, 20:24

a écrit :c'est ne pas connaitre l'histoire du tango que de ne pas voir l'influence des classes sociales.


Ouais, le jazz c'est pareil : c'est l'influence des classes sociales, de la lutte de classe, et particuliérement de son versant "négre". Le "Swing" et le Be bop, le hard bop et le cool, le free jazz, etc Mais attention a ne pas instrumentaliser outre mesure (en faisant par exemple du hard bop la matrice du "black power"; et du "cool" du jazz "petit bourgeois"... )

a écrit :C'est plutôt à partir du bebop, soit après la deuxième guerre mondiale, que la prétention de faire une musique savante est clairement affichée.


Oui. Et ça correspond aussi a une prise de conscience POLITIQUE du prolétariat noir. Mais bon, il ne faut pas faire ça de façon mécanique, mais pour moi c'est sur qu'il y a un rapport...

D'ailleurs, c'est aussi un peu discutable. J'ai revu récemment "le chanteur de Jazz", le (faux) premier film "parlant". Assez mauvais cinématographiquement, mais passionnant sur ce qu'il apprend des usa... Et le "héro" juge la "musique noire" aussi pleine de noblesse et de profondeur qu'un chant religieux. Autre chose qu'un amusement de "blackface"

a écrit :un musicien de jazz et pourtant blanc, comme il y en aura tant d'autres, Benny Goodman, Gene Krupa, Red Rodney, Stan Getz, Bill Evans, etc... Qui tous ont compris que cette musique était aussi la leur !

Oui, mais d'un autre coté, le "négre blanc" est une figure réguliére de la culture des usa, de la guerre de scécession a Jack Kerrouak...
charpital
 
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Message par Matrok » 01 Juin 2008, 21:27

(charpital @ dimanche 1 juin 2008 à 20:24 a écrit :
a écrit :C'est plutôt à partir du bebop, soit après la deuxième guerre mondiale, que la prétention de faire une musique savante est clairement affichée.

...c'est aussi un peu discutable. J'ai revu récemment "le chanteur de Jazz", le (faux) premier film "parlant". Assez mauvais cinématographiquement, mais passionnant sur ce qu'il apprend des usa... Et le "héro" juge la "musique noire" aussi pleine de noblesse et de profondeur qu'un chant religieux. Autre chose qu'un amusement de "blackface"

Je n'ai jamais vu ce film, mais tu as raison. En fait assez vite il y a eu des musiciens "savants" pour reconnaître la valeur artistique de la musique noire américaine. Ça commence avant même que le jazz soit vraiment né puisque le compositeur tchèque Antonin Dvorak dit s'être beaucoup inspiré de la musique des noirs quand il a composé ses oeuvres de la période américaine ("Symphonie du Nouveau Monde", "Quatuor Américain", "Concerto pour violoncelle"...) Il faut dire que Dvorak était un de ces musiciens de la fin du XIXème siècle qui ont beaucoup puisé dans les musiques traditionnelles, pour des raisons nationalistes. Ensuite il y a évidemment Gershwin, et Ravel qui ne cachait pas son admiration pour Duke Ellington notamment. Il faut dire que Gershwin était un "liberal" (c'est à dire un homme de gauche aux Etats-Unis) comme en témoignent les sujets de certaines de ses comédies musicales, et Ravel était un anti-colonialiste comme en témoignent ses "chansons madécasses"... Et puis après il y a eu Stravinsky et d'autres, mais c'est à une période où les musiciens classiques cherchent à renouer avec la musique populaire, déjà influencée par le jazz, et ça ne va pas forcément sans un peu de mépris de classe ou de racisme.

Ce qui est nouveau avec le bebop, c'est que ce sont des musiciens de jazz qui déclarent vouloir "faire une musique que les blancs ne pourront pas copier", ce qu'il ne faut pas comprendre d'une façon raciste (même si ça n'en est pas complètement dénué) puisqu'un musicien comme Red Rodney a très vite fait partie du mouvement bebop... sous le surnom de "Albino Red" c'est vrai ! En fait ça veut dire surtout qu'ils savent parfaitement à ce moment qu'ils font une musique qui est déjà savante et n'ont pas à se justifier auprès de l'establishment blanc, ni à paraître comme des amuseurs.
Matrok
 
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Message par charpital » 01 Juin 2008, 22:08

Oui, mais ce gout des musiciens classiques (Stravinsky, Ravel, Dvorak) était surtout pour une certaine forme de "primitivisme" : les "négres" étaient surtout tantot "de joyeux drilles" tantot les gardiens "d'un art immémorial". Et il y avait des musiciens classiques qui haissaient le jazz, surtout en europe. CF l'école dodécaphonique (sauf Berg), et Adorno qui détestait cette musique.
Ce qu'indique le film est tout autre chose. C'est la reconnaissance (a une époque (1927), ou ça n'avait rien d'évident, du jazz comme "seule grande musique américaine"
charpital
 
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Message par Vérié » 02 Juin 2008, 08:56

a écrit :
Et encore aujourd'hui dans certaines parties du globe, le jazz – souvent mâtiné de traditions musicales locales – n'est pas une musique pour riches initiés : Etats-Unis "d'en bas", Amérique Latine (la musique d'Astor Piazzolla, est-ce du tango, du jazz ou un peu les deux ?), Afrique.


Juste une petite remarque : à part en Argentine, où le tango reste populaire dans toutes les classes sociales (ou du moins une fraction de chaque classe sociale) et les régions andines (surtout Pérou et Bolivie) où la musique du meme nom reste populaire en raison notamment de la faible intégration des paysans qui vivent sur les haut plateaux, les musiques les plus populaires en Amérique latine sont de plus en plus... la soupe pop nord américaine accomodée ou non à la sauce locale. Ce qui montre d'ailleurs la domination culturelle de l'impérialisme américain. Idem : les grandes vedettes sont les stars nord-américaines et, dans les librairies, on trouve bien davantage de best sellers nord américains que d'auteurs locaux (réservés à une élite à quelques exceptions près, et qui ont souvent du mal à se faire éditer vu leur lectorat limité à part quelques "grands noms" ).

Quant au jazz, il est encore une musique relativement populaire en Angleterre, mais aux Etats unis - sauf si on classe dans la catégorie jazz ses derniers succédanés comme le rap -, c'est tout de meme devenu une musique essentiellement apprécié par la petite bourgeoisie intellectuelle blanche. Et en France aussi de toute évidence. (La vente des disques, quasi confidentielle à coté de celle de la pop/variétés, ou meme du classique, en atteste.)

Je ne sais pas comment il faut interpreter ce double mouvement de récupération par les classes dominantes/désinteret des classes dominés. Peut-etre par le fait que les classes dominés - ou une partie de ces classes, car les gouts de la majorité d'entre elles sont modelés par les grands médias - éprouvent le besoin de s'identifier dans des musiques et des modes différentes. (Il n'y a pas très longtemps des jeunes d'un groupe de rap de mon quartier m'ont sorti : "Le rock'n roll, Elvis, c'est une musique de vieux bourges..." (sic)

Autre remarque (à l'adresse de Matrok je crois) : le style qui a précédé le black power, c'est le free et non le bop...

Enfin, en ce qui concerne les influences idéologiques, vous remarquerez que les artistes de jazz noirs participaient des dès les années 30-40 à des revues de Music hall immitant celles des fameuses Ziegfried folies, avec les hommes en queue de pie, girls etc. Ce qui correspond d'ailleurs à la volonté, dès ces années-là, de la petite bourgeoisie noire de singer la bourgeoisie blanche.
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Message par Matrok » 02 Juin 2008, 19:35

Suite aux interrogations de jeug sur le fil "sabar, mbalax , Qu'en dit le "solfège classique" ?", je vais tenter d'expliquer ça :

(moi au début du fil a écrit :le swing (cette particularité rythmique qui défie la description par le solfège classique)


"To swing", en anglais, c'est balancer. C'est le nom qu'ont donné les musiciens de jazz à l'ensemble des particularités rythmiques du jazz, et plus particulièrement à la manière de diviser les temps. Pour simplifier, je ne parlerais que de cet aspect. C'est pas évident à expliquer du tout, selon la citation attribuée à Louis Armstrong :

« - Monsieur Armstrong, qu'est-ce que le swing ?
- Madame, si vous avez à le demander, vous ne le saurez jamais ! »

Un petit détour par le solfège classique s'impose. La musique classique est une musique écrite, et tout est codifié par le système d'écriture, le solfège. En musique classique le temps est divisé en temps d'égale durée, eux-mêmes regroupés en mesures qui comportent un nombre fixe de temps. Il existe des mesures à temps binaires encore appelée mesures binaires, où les temps sont divisés en deux demi-temps égaux. Le cas le plus fréquent est la mesure 4/4, qui contient 4 temps représentés par des noires, eux-mêmes divisés en deux croches d'égale durée. Il existe aussi des mesures ternaires où les temps sont divisés par trois : par exemple, la mesure 6/8, qui contient deux temps représentés par des noires pointées, elles-mêmes divisibles en trois croches.

Dans le jazz, on a affaire à des mesures où les temps sont certes égaux, mais pas divisés en fractions simples, genre deux ou trois croches d'égale durée. C'est le swing, enfin sa principale caractéristique. La manière dont les musiciens classiques tentent de l'expliquer par le solfège, c'est de dire que les musiciens de jazz transforment systématiquement les mesures binaires en mesures ternaires, et à la place de deux croches jouent la succession "noire croche" en ternaire. Pourtant... Je ne résiste pas à citer ce paragraphe tiré de l'article de Wikipedia sur le swing :

a écrit :Cependant, cette explication est une simplification ; en effet, d'après le chercheur Anders Friberg, le taux de modification du rapport entre deux croches (ou swing ratio) varie selon le tempo : si le rapport est bien comparable à celui d'un triolet autour d'un tempo de 200 noires par minute, il devient de plus en plus binaire à un tempo plus élevé. De même, lorsque le tempo est plus bas, le rapport ressemble davantage à celui d'une croche pointée suivie d'une double croche.

Ref. : Anders Friberg, « Jazz Drummers' Swing Ratio in Relation to Tempo », 1999, Acoustical Society of America ASA/EAA/DAGA '99


En fait ce paragraphe montre surtout la difficulté des musiciens classiques à appréhender le swing. Et il passe sous silence le fait que tous les musiciens de jazz importants ont un swing particulier, qui leur est propre et qui est reconnaissable. Lequel ne se résume pas au swing ratio mais aussi aux autres aspects essentiels du swing que je n'ai pas abordés, comme notamment quels sont les temps forts et les temps faibles dans la mesure, y-a-t-til un décalage rythmique entre mélodie et accompagnement, etc...
Matrok
 
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