Noam Chomsky

Message par Gaby » 30 Nov 2007, 14:30

Une interview bien à l'image du personnage, Daniel Mermet questionne Noam Chomsky. D'abord au sujet de l'idéologie dominante et des médias, puis son idée du socialisme, de la démocratie, de l'anarchie, des soviets et de leur prétendue mise au pas par Lénine et Trotsky.

http://www.monde-diplomatique.fr/2007/08/CHOMSKY/14992

(Itw Noam Chomsky @ monde Diplo d'aout a écrit :Plus efficace encore que les dictatures
Le lavage de cerveaux en liberté

Rachats de grands journaux – le « Wall Street Journal » aux Etats-Unis, « Les Echos » en France – par des hommes fortunés habitués à plier la vérité au gré de leurs intérêts (lire aussi, dans ce numéro, « Prédateurs de presse et marchands d’influence », par Marie Bénilde), médiatisation outrancière de M. Nicolas Sarkozy, cannibalisation de l’information par les sports, la météo et les faits divers, le tout dans une débauche de publicités : la « communication » constitue l’instrument de gouvernement permanent des régimes démocratiques. Elle est, pour eux, ce que la propagande est aux dictatures. Dans un entretien accordé au journaliste de France Inter Daniel Mermet, l’intellectuel américain Noam Chomsky analyse ces mécanismes de domination et les replace dans leur contexte historique. Il rappelle, par exemple, que les régimes totalitaires se sont appuyés sur les ressorts de la communication publicitaire perfectionnés aux Etats-Unis au lendemain de la première guerre mondiale. Au-delà, il évoque les perspectives de transformation sociale dans le monde actuel, et ce à quoi pourrait ressembler l’utopie pour ceux qui, malgré la pédagogie de l’impuissance martelée par les médias, n’ont pas renoncé à changer le monde.
Par Noam Chomsky

Commençons par la question des médias. En France, en mai 2005, lors du référendum sur le traité de Constitution européenne, la plupart des organes de presse étaient partisans du « oui », et cependant 55 % des Français ont voté « non ». La puissance de manipulation des médias ne semble donc pas absolue. Ce vote des citoyens représentait-il aussi un « non » aux médias ?

Le travail sur la manipulation médiatique ou la fabrique du consentement fait par Edward Herman et moi n’aborde pas la question des effets des médias sur le public (1). C’est un sujet compliqué, mais les quelques recherches en profondeur menées sur ce thème suggèrent que, en réalité, l’influence des médias est plus importante sur la fraction de la population la plus éduquée. La masse de l’opinion publique paraît, elle, moins tributaire du discours des médias.

Prenons, par exemple, l’éventualité d’une guerre contre l’Iran : 75 % des Américains estiment que les Etats-Unis devraient mettre un terme à leurs menaces militaires et privilégier la recherche d’un accord par voie diplomatique. Des enquêtes conduites par des instituts occidentaux suggèrent que l’opinion publique iranienne et celle des Etats-Unis convergent aussi sur certains aspects de la question nucléaire : l’écrasante majorité de la population des deux pays estime que la zone s’étendant d’Israël à l’Iran devrait être entièrement débarrassée des engins de guerre nucléaires, y compris ceux que détiennent les troupes américaines de la région. Or, pour trouver ce genre d’information dans les médias, il faut chercher longtemps.

Quant aux principaux partis politiques des deux pays, aucun ne défend ce point de vue. Si l’Iran et les Etats-Unis étaient d’authentiques démocraties à l’intérieur desquelles la majorité détermine réellement les politiques publiques, le différend actuel sur le nucléaire serait sans doute déjà résolu. Il y a d’autres cas de ce genre.

Concernant, par exemple, le budget fédéral des Etats-Unis, la plupart des Américains souhaitent une réduction des dépenses militaires et une augmentation, en revanche, des dépenses sociales, des crédits versés aux Nations unies, de l’aide économique et humanitaire internationale, et enfin l’annulation des baisses d’impôts décidées par le président George W. Bush en faveur des contribuables les plus riches.

Sur tous ces sujets-là, la politique de la Maison Blanche est totalement contraire aux réclamations de l’opinion publique. Mais les enquêtes qui relèvent cette opposition publique persistante sont rarement publiées dans les médias. Si bien que les citoyens sont non seulement écartés des centres de décision politique, mais également tenus dans l’ignorance de l’état réel de cette même opinion publique.

Il existe une inquiétude internationale relative à l’abyssal « double déficit » des Etats-Unis : le déficit commercial et le déficit budgétaire. Or ceux-ci n’existent qu’en relation étroite avec un troisième déficit : le déficit démocratique, qui ne cesse de se creuser, non seulement aux Etats-Unis, mais plus généralement dans l’ensemble du monde occidental.

Chaque fois qu’on demande à un journaliste vedette ou à un présentateur d’un grand journal télévisé s’il subit des pressions, s’il lui arrive d’être censuré, il réplique qu’il est entièrement libre, qu’il exprime ses propres convictions. Comment fonctionne le contrôle de la pensée dans une société démocratique ? En ce qui concerne les dictatures, nous le savons.

Quand des journalistes sont mis en cause, ils répondent aussitôt : « Nul n’a fait pression sur moi, j’écris ce que je veux. » C’est vrai. Seulement, s’ils prenaient des positions contraires à la norme dominante, ils n’écriraient plus leurs éditoriaux. La règle n’est pas absolue, bien sûr ; il m’arrive moi-même d’être publié dans la presse américaine, les Etats-Unis ne sont pas un pays totalitaire non plus. Mais quiconque ne satisfait pas certaines exigences minimales n’a aucune chance d’être pressenti pour accéder au rang de commentateur ayant pignon sur rue.

C’est d’ailleurs l’une des grandes différences entre le système de propagande d’un Etat totalitaire et la manière de procéder dans des sociétés démocratiques. En exagérant un peu, dans les pays totalitaires, l’Etat décide de la ligne à suivre et chacun doit ensuite s’y conformer. Les sociétés démocratiques opèrent autrement. La « ligne » n’est jamais énoncée comme telle, elle est sous-entendue. On procède, en quelque sorte, au « lavage de cerveaux en liberté ». Et même les débats « passionnés » dans les grands médias se situent dans le cadre des paramètres implicites consentis, lesquels tiennent en lisière nombre de points de vue contraires.

Le système de contrôle des sociétés démocratiques est fort efficace ; il instille la ligne directrice comme l’air qu’on respire. On ne s’en aperçoit pas, et on s’imagine parfois être en présence d’un débat particulièrement vigoureux. Au fond, c’est infiniment plus performant que les systèmes totalitaires.

Prenons, par exemple, le cas de l’Allemagne au début des années 1930. On a eu tendance à l’oublier, mais c’était alors le pays le plus avancé d’Europe, à la pointe en matière d’art, de sciences, de techniques, de littérature, de philosophie. Puis, en très peu de temps, un retournement complet est intervenu, et l’Allemagne est devenue l’Etat le plus meurtrier, le plus barbare de l’histoire humaine.

Tout cela s’est accompli en distillant de la peur : celle des bolcheviks, des Juifs, des Américains, des Tziganes, bref, de tous ceux qui, selon les nazis, menaçaient le cœur de la civilisation européenne, c’est-à-dire les « héritiers directs de la civilisation grecque ». En tout cas, c’est ce qu’écrivait le philosophe Martin Heidegger en 1935. Or la plupart des médias allemands qui ont bombardé la population avec des messages de ce genre ont repris les techniques de marketing mises au point... par des publicitaires américains.

N’oublions pas comment s’impose toujours une idéologie. Pour dominer, la violence ne suffit pas, il faut une justification d’une autre nature. Ainsi, lorsqu’une personne exerce son pouvoir sur une autre – que ce soit un dictateur, un colon, un bureaucrate, un mari ou un patron –, elle a besoin d’une idéologie justificatrice, toujours la même : cette domination est faite « pour le bien » du dominé. En d’autres termes, le pouvoir se présente toujours comme altruiste, désintéressé, généreux.
Quand la violence d’Etat ne suffit plus

Dans les années 1930, les règles de la propagande nazie consistaient, par exemple, à choisir des mots simples, à les répéter sans relâche, et à les associer à des émotions, des sentiments, des craintes. Quand Hitler a envahi les Sudètes [en 1938], ce fut en invoquant les objectifs les plus nobles et charitables, la nécessité d’une « intervention humanitaire » pour empêcher le « nettoyage ethnique » subi par les germanophones, et pour permettre que chacun puisse vivre sous l’« aile protectrice » de l’Allemagne, avec le soutien de la puissance la plus en avance du monde dans le domaine des arts et de la culture.

En matière de propagande, si d’une certaine manière rien n’a changé depuis Athènes, il y a quand même eu aussi nombre de perfectionnements. Les instruments se sont beaucoup affinés, en particulier et paradoxalement dans les pays les plus libres du monde : le Royaume-Uni et les Etats-Unis. C’est là, et pas ailleurs, que l’industrie moderne des relations publiques, autant dire la fabrique de l’opinion, ou la propagande, est née dans les années 1920.

Ces deux pays avaient en effet progressé en matière de droits démocratiques (vote des femmes, liberté d’expression, etc.) à tel point que l’aspiration à la liberté ne pouvait plus être contenue par la seule violence d’Etat. On s’est donc tourné vers les technologies de la « fabrique du consentement ». L’industrie des relations publiques produit, au sens propre du terme, du consentement, de l’acceptation, de la soumission. Elle contrôle les idées, les pensées, les esprits. Par rapport au totalitarisme, c’est un grand progrès : il est beaucoup plus agréable de subir une publicité que de se retrouver dans une salle de torture.

Aux Etats-Unis, la liberté d’expression est protégée à un degré que je crois inconnu dans tout autre pays du monde. C’est assez récent. Dans les années 1960, la Cour suprême a placé la barre très haut en matière de respect de la liberté de parole, ce qui exprimait, à mon avis, un principe fondamental établi dès le XVIIIe siècle par les valeurs des Lumières. La position de la Cour fut que la parole était libre, avec pour seule limite la participation à un acte criminel. Si, par exemple, quand je rentre dans un magasin pour le dévaliser, un de mes complices tient une arme et que je lui dis : « Tire ! », ce propos n’est pas protégé par la Constitution. Pour le reste, le motif doit être particulièrement grave avant que la liberté d’expression soit mise en cause. La Cour suprême a même réaffirmé ce principe en faveur de membres du Ku Klux Klan.

En France, au Royaume-Uni et, me semble-t-il, dans le reste de l’Europe, la liberté d’expression est définie de manière très restrictive. A mes yeux, la question essentielle est : l’Etat a-t-il le droit de déterminer ce qu’est la vérité historique, et celui de punir qui s’en écarte ? Le penser revient à s’accommoder d’une pratique proprement stalinienne.

Des intellectuels français ont du mal à admettre que c’est bien là leur inclination. Pourtant, le refus d’une telle approche ne doit pas souffrir d’exception. L’Etat ne devrait avoir aucun moyen de punir quiconque prétendrait que le Soleil tourne autour de la Terre. Le principe de la liberté d’expression a quelque chose de très élémentaire : ou on le défend dans le cas d’opinions qu’on déteste, ou on ne le défend pas du tout. Même Hitler et Staline admettaient la liberté d’expression de ceux qui partagaient leur point de vue...

J’ajoute qu’il y a quelque chose d’affligeant et même de scandaleux à devoir débattre de ces questions deux siècles après Voltaire, qui, comme on le sait, déclarait : « Je défendrai mes opinions jusqu’à ma mort, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez défendre les vôtres. » Et c’est rendre un bien triste service à la mémoire des victimes de l’Holocauste que d’adopter une des doctrines fondamentales de leurs bourreaux.

Dans un de vos livres, vous commentez la phrase de Milton Friedman : « Faire des profits est l’essence même de la démocratie »...

A vrai dire, les deux choses sont tellement contraires qu’il n’y a même pas de commentaire possible... La finalité de la démocratie, c’est que les gens puissent décider de leur propre vie et des choix politiques qui les concernent. La réalisation de profits est une pathologie de nos sociétés, adossée à des structures particulières. Dans une société décente, éthique, ce souci du profit serait marginal. Prenez mon département universitaire [au Massachusetts Institute of Technology] : quelques scientifiques travaillent dur pour gagner beaucoup d’argent, mais on les considère un peu comme des marginaux, des gens perturbés, presque des cas pathologiques. L’esprit qui anime la communauté académique, c’est plutôt d’essayer de faire des découvertes, à la fois par intérêt intellectuel et pour le bien de tous.

Dans l’ouvrage qui vous est consacré aux éditions de L’Herne, Jean Ziegler écrit : « Il y a eu trois totalitarismes : le totalitarisme stalinien, nazi et maintenant c’est Tina (2). » Compareriez-vous ces trois totalitarismes ?

Je ne les mettrais pas sur le même plan. Se battre contre « Tina », c’est affronter une emprise intellectuelle qu’on ne peut pas assimiler aux camps de concentration ni au goulag. Et, de fait, la politique des Etats-Unis suscite une opposition massive à l’échelle de la planète. L’Argentine et le Venezuela ont jeté le Fonds monétaire international (FMI) dehors. Les Etats-Unis ont dû renoncer à ce qui était encore la norme il y a vingt ou trente ans : le coup d’Etat militaire en Amérique latine. Le programme économique néolibéral, qui a été imposé de force à toute l’Amérique latine dans les années 1980 et 1990, est aujourd’hui rejeté dans l’ensemble du continent. Et on retrouve cette même opposition contre la globalisation économique à l’échelle mondiale.

Le mouvement pour la justice, qui est sous les feux des projecteurs médiatiques lors de chaque Forum social mondial, travaille en réalité toute l’année. C’est un phénomène très nouveau dans l’histoire, qui marque peut-être le début d’une vraie Internationale. Or son principal cheval de bataille porte sur l’existence d’une solution de rechange. D’ailleurs, quel meilleur exemple de globalisation différente que le Forum social mondial ? Les médias hostiles appellent ceux qui s’opposent à la globalisation néolibérale les « antimondialistes », alors qu’ils se battent pour une autre mondialisation, la mondialisation des peuples.

On peut observer le contraste entre les uns et les autres, parce que, au même moment, a lieu, à Davos, le Forum économique mondial, qui travaille à l’intégration économique planétaire, mais dans le seul intérêt des financiers, des banques et des fonds de pension. Puissances qui contrôlent aussi les médias. C’est leur conception de l’intégration globale, mais au service des investisseurs. Les médias dominants considèrent que cette intégration est la seule qui mérite, en quelque sorte, l’appellation officielle de mondialisation.

Voilà un bel exemple du fonctionnement de la propagande idéologique dans les sociétés démocratiques. A ce point efficace que même des participants au Forum social mondial acceptent parfois le qualificatif malintentionné d’« antimondialistes ». A Porto Alegre, je suis intervenu dans le cadre du Forum, et j’ai participé à la Conférence mondiale des paysans. Ils représentent à eux seuls la majorité de la population de la planète...

On vous range dans la catégorie des anarchistes ou des socialistes libertaires. Dans la démocratie telle que vous la concevez, quelle serait la place de l’Etat ?

On vit dans ce monde, pas dans un univers imaginaire. Dans ce monde, il existe des institutions tyranniques, ce sont les grandes entreprises. C’est ce qu’il y a de plus proche des institutions totalitaires. Elles n’ont, pour ainsi dire, aucun compte à rendre au public, à la société ; elles agissent à la manière de prédateurs dont d’autres entreprises seraient les proies. Pour s’en défendre, les populations ne disposent que d’un seul instrument : l’Etat. Or ce n’est pas un bouclier très efficace, car il est, en général, étroitement lié aux prédateurs. A une différence, non négligeable, près : alors que, par exemple, General Electric n’a aucun compte à rendre, l’Etat doit parfois s’expliquer auprès de la population.

Quand la démocratie se sera élargie au point que les citoyens contrôleront les moyens de production et d’échange, qu’ils participeront au fonctionnement et à la direction du cadre général dans lequel ils vivent, alors l’Etat pourra disparaître petit à petit. Il sera remplacé par des associations volontaires situées sur les lieux de travail et là où les gens vivent.

Est-ce les soviets ?

C’étaient les soviets. Mais la première chose que Lénine et Trotski ont détruit, sitôt après la révolution d’Octobre, ce sont les soviets, les conseils ouvriers et toutes les institutions démocratiques. Lénine et Trotski ont été à cet égard les pires ennemis du socialisme au XXe siècle. En tant que marxistes orthodoxes, ils ont estimé qu’une société retardataire comme la Russie de leur époque ne pouvait pas passer directement au socialisme avant d’être précipitée de force dans l’industrialisation.

En 1989, au moment de l’effondrement du système communiste, j’ai pensé que cet effondrement représentait, paradoxalement, une victoire pour le socialisme. Car le socialisme tel que je le conçois implique, au minimum, je le répète, le contrôle démocratique de la production, des échanges et des autres dimensions de l’existence humaine.

Toutefois, les deux principaux systèmes de propagande se sont accordés pour dire que le système tyrannique institué par Lénine et Trotski, puis transformé en monstruosité politique par Staline, était le « socialisme ». Les dirigeants occidentaux ne pouvaient qu’être enchantés par cet usage absurde et scandaleux du terme, qui leur a permis pendant des décennies de diffamer le socialisme authentique.

Avec un enthousiasme identique, mais de sens contraire, le système de propagande soviétique a tenté d’exploiter à son profit la sympathie et l’engagement que suscitaient pour beaucoup de travailleurs les idéaux socialistes authentiques.

N’est-il pas vrai que toutes les formes d’auto-organisation selon les principes anarchistes se sont finalement effondrées ?

Il n’y a pas de « principes anarchistes » fixes, une sorte de catéchisme libertaire auquel il faudrait prêter allégeance. L’anarchisme, du moins tel que je le comprends, est un mouvement de la pensée et de l’action humaines qui cherche à identifier les structures d’autorité et de domination, à leur demander de se justifier et, dès qu’elles en sont incapables, ce qui arrive fréquemment, à tenter de les dépasser.

Loin de s’être « effondré », l’anarchisme, la pensée libertaire, se porte très bien. Il est à la source de nombreux progrès réels. Des formes d’oppression et d’injustice qui étaient à peine reconnues, et encore moins combattues, ne sont plus admises. C’est une réussite, une avancée pour l’ensemble du genre humain, pas un échec.

(Propos recueillis par Daniel Mermet, revus et corrigés par l’auteur.)
Noam Chomsky.


Il est meilleur en tant que linguiste.
Gaby
 
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Message par canardos » 04 Sep 2008, 13:54

dans son livre "Darwin est-il dangereux" dont je recommande la lecture Daniel Dennett un philosophe darwinien et specialiste de la cognition consacre tout un chapitre au refus de Chomsky de considerer que le language humain ait pu etre le produit de l'évolution, d'une evolution darwinienne et range Chomsky dans les anti-évolutionnistes.

voila un extrait d'une entretien avec Daniel Dennet paru dans une revue sceptique du Quebec:

a écrit :

....

MÉDIANE — L’idée centrale de cette trajectoire serait sans doute qu’on peut aboutir à quelque chose qui soit porteur de sens par des mécanismes qui ne sont eux-mêmes ni intelligents, ni porteurs de sens.

DANIEL DENNETT — C’est cela qui est véritablement révolutionnaire. Darwin a compris comment accomplir une inversion fondamentale – un de ses critiques parlera d’une «étrange inversion du raisonnement». Il a montré qu’il n’est pas nécessaire d’avoir de l’intelligence pour construire une belle machine, qu’un processus qui n’est pas lui-même intelligent et qui ne se fixe pas de but peut générer quelque chose qui est intelligent, créatif, conscient; que la conscience, loin d’être l’origine de toute création, en est en fait la résultante, et même une résultante récente. Bien entendu, dès lors que nous avons la conscience, celle-ci devient la cause d’autres effets. [b]Mais une telle inversion est à ce point saisissante que plusieurs personnes réagissent en disant : « Tout cela vaut pour la biologie, mais pas dans mon territoire! »

MÉDIANE — Ce serait un peu, selon vous, et pour prendre un exemple, ce que dit Chomsky à propos du langage.

DANIEL DENNETT —Exactement. Il dit : «Ne touchez pas au langage». Et d’autres reprennent: «Ne touchez pas à l’art», «Ne touchez pas à la conscience».

....


MÉDIANE —Si vous le voulez, parlons à présent de certaines de ces résistances inattendues au darwinisme que vous évoquez dans votre livre. L’une des plus étonnantes me paraît être celle de Noam Chomsky et concerne le langage. Vous semblez soutenir qu’il reste en Chomsky, qui par ailleurs est pourtant, d’un point de vue épistémologique, si près des sciences naturelles, des relents d’un certain humanisme qui expliqueraient ses résistances.

DANIEL DENNETT —Je pense en effet que c’est le cas. Chomsky soutient qu’une part substantielle de notre faculté langagière est innée; mais il répugne à l’idée qu’elle ait pu être bricolée et peu à peu engendré par l’évolution. À ses yeux, cela la déprécierait de manière inacceptable, la réduirait à une sorte de sac à malices. La position de Chomsky à ce sujet m’a toujours paru étrange.




A noter que Stephen J Gould n'est pas loin de Noam Chomsky

Pour Gould l’espèce humaine telle que nous la connaissons est née d’une improbable modification génétique survenue il y a environ 200 000 ans. Cette réorganisation de certains de nos circuits cérébraux serait à l’origine de notre « instinct du langage » qui aurait ensuite ouvert la voie à l’explosion de toutes les capacités cognitives apportées par ce précieux moyen de communication. Dans cette optique le langage a une composante innée, d’où la possibilité d’établir une « grammaire universelle ». Et la difficulté de concevoir une forme intermédiaire de langage qui fonctionnerait sans toutes les structures grammaticales que l’on retrouve dans les langues d’aujourd’hui.


Gould pense que le langage humain est si différent de tout autre chose dans le règne animal qu’il ne voit pas comment il aurait pu se développer à partir de cris ou de gestes ancestraux .

il invoque donc le seul hasard et non une selection naturelle continue.

à noter que cette explication qui situe l'apparition du language il y a 200 000 ans avec l'apparition de homo sapiens va à l'encontre des données paléontologiques qui montre une evolution continue des capacités craniennes du genre homo sur 2 500 000 d'années ainsi qu'une evolution continue des techniques et des outils, taille de la pierre, feu (ily a 800 000ans) ...l'homme aurait donc inventé tout ça et transmis ses connaissances simplement par signaux et grognements...

et puis il y a 200 000 ans une improbable macromutation aurait imprimé dans le cerveau une grammaire innée qui pendant 100 000 ans ne lui aurait pas servi à grand chose puisque c'est seulement il y a quelques dizaines de milliers d'années que homo sapiens invente de nouvelles techniques et quitte l'afrique pour remplacer erectus et neandertal en asie et en europe.

ça ne tient pas la route, mais cela prouve simplement le refus d'une approche materialiste et la volonté de tracer une limite infranchissable entre l'homme et les autres grands singes.
canardos
 
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Message par charpital » 04 Sep 2008, 14:13

a écrit :dans une revue sceptique du Quebec:


C'est quoi une revue "sceptique" ? Et tu pourrait nous donner le nom de la revue ?

D'autre part l'auteur que tu cite dit :

a écrit : Chomsky soutient qu’une part substantielle de notre faculté langagière est innée; mais il répugne à l’idée qu’elle ait pu être bricolée et peu à peu engendré par l’évolution. À ses yeux, cela la déprécierait de manière inacceptable, la réduirait à une sorte de sac à malices. La position de Chomsky à ce sujet m’a toujours paru étrange.


Qu'est ce qui permet dans l'oeuvre de Chomsky de permettre de dire cela ? Connais tu l'oeuvre scientifique de Chomsky ? L'as tu lu ? Je précise que moi je ne l'ai pas lu (ça me parrait illisible) mais bon, je ne me permettrais pas d'émettre un jugement sur quelque chose que je ne connais pas du tout...
charpital
 
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Message par canardos » 04 Sep 2008, 14:32

je n'ai pas lu l'oeuvre de chomsky en entier bien sur et sur le peu que j'ai lu il y avait bien la présentation du caractere inné de la grammaire dans le cerveau humain, mais rien sur son evolution.

cela dit Daniel Dennet lui consacre un chapitre entier et apporte des preuves indiscutables de ce refus de Chomsky de considerer que le cerveau humain ait pu acquerir progressivement cette grammaire innée qui caracterise le language par selection naturelle.

probleme, le bouqin de Dennett est epuisé, il faut que j'aille le rechercher à ma bibliotheque que je scanne les pages.

cela dit l'argument de la complexité pour refuser l'évolution (complexité de l'oeil, de la plume, du scarabée bombardier, du language etc) est en general le principal argument des tenants du dessein intelligent...trop de mutations doivent intervenir à la fois pour que tel organe ait pu se constituer et fonctionner par accumulation de mutation aleatoire car les étapes intermédiaires n'auraient pas été fonctionnelles.

les livres de Dawkins et de Dennet refutent bien cette these des antievolutionnistes et donnent de nombreux exemples.

l'opposition que Dennet fait entre grues et crochets celestes est particulierement interessante. Il montre que Chomsky est bien un partisan des "crochets celestes", meme si cela n'enleve rien à la validité de son travail scientifique sur le catactere inné et précablé dans le cerveau de la syntaxe des languages humains.

critiquer Chomsky sur ce point ce n'est bien sur ni remettre en cause son oeuvre scientifique, ni remettre en cause ses combats politiques!

mais Chomsky est un linguiste et que son refus d'admettre que le précablage d'une syntaxe innée dans le cerveau humain soit le produit d'une evolution darwinienne n'a rien à voir avec ses travaux eux-meme. Il n'a pas fait la demonstration de ses affirmations. C'est une consideration à posteriori de l'interessé qui doit etre examinée à la lumiere des travaux des geneticiens, des neurocogniticiens, et des paleontogues.

Quand à Gould, j'ai lu une partie non negligeable de son oeuvre et plus je la lisais plus je suis passé disons d'enthousiaste inconditionnel à réticent et critique, et j'ai trouvé que Dawkins et Dennet dans leurs bouquins beaucoup de choses que je pensais plus ou moins confusement. Je le classe comme un materialiste et un evolutionniste mais certainement plus comme un evolutionniste darwinien et je trouve que ses théories tiennent tres mal la route et vieillissent mal.
canardos
 
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Message par canardos » 04 Sep 2008, 15:36

(charpital @ jeudi 4 septembre 2008 à 15:13 a écrit :
a écrit :dans une revue sceptique du Quebec:


C'est quoi une revue "sceptique" ? Et tu pourrait nous donner le nom de la revue ?


en fait c'est une revue de philosophie quebecoise...pas une revue sceptique...

et son nom était dans l'entretien: "Médiane"

MEDIANE
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Message par Ottokar » 04 Sep 2008, 15:54

Bref une fausse sceptique ... !



(trop facile)
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Message par charpital » 04 Sep 2008, 17:04

a écrit :trop de mutations doivent intervenir à la fois pour que tel organe ait pu se constituer et fonctionner par accumulation de mutation aleatoire car les étapes intermédiaires n'auraient pas été fonctionnelles.


Enfin,là on ne parle pas d'un "organe", mais de la "culture" (dont fait partie la grammaire, comme composante essentielle du langage) Et autant je ne vois rien a redire a Darwin, autant je trouve dangereux de l'appliquer a la "culture"... Les tentatives jusque là n'ont guére été satisfaisante ni d'un point de vue scientifique, ni d'un point de vue politique...
charpital
 
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Message par canardos » 04 Sep 2008, 18:27

alors, la, charpital, tu ne connais pas du tout la théorie de de Chomsky.

parce que justement Chomsky a demontré que tous les languages et toutes les grammaires humaines étaient fondés sur une grammaire innée, une sorte de précablage du cerveau. Ce précablage n'est pas culturel mais physique et les nourrisson sont prédisposés génétiquement à assimiler un language humain.

et c'est ce précablage physique que chomsky considere comme trop complexe pour etre le produit d'une evolution darwinienne.

les darwiniens considerent eux au contraire que l'avantage representé par des protolanguages permettant de transmettre une culture de plus en plus riche a entrainé l'evolution progressive du cerveau humain et la mise en place d'un cablage de plus en plus en plus sophistiqué en utilsant des parties du cortex servant à d'autres taches et qui ont progressivement servi à manipuler des concepts et ont amélioré leurs connexions.

l'etude de l'intelligence des grands singes montre que ces fonctions existaient deja à l'état embryonnaire.

Pour un darwinien c'est la culture qui a façonné le cerveau humain et mis en place sur des centaines de milliers d'années ce précablage.

Mais ce précablage ne cree que des potentialités. Apres la culture vit sa propre vie. Il y a des milliers de language des milliers de cultures differentes....meme si notre syntaxe innée nous permet d'apprendre un autre language.

Mais cette idée que la culture n'est pas seulement le produit d'un cablage inné comme le présente chomsky mais que c'est elle qui a progressivement mis en place ce cablage dans une interaction dialectique c'est quand meme une vision qui donne une place plus importante à la culture, non?

faut pas caricaturer le darwinisme!
canardos
 
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Message par canardos » 05 Sep 2008, 09:31

(canardos @ jeudi 4 septembre 2008 à 15:32 a écrit :

l'opposition que Dennet fait entre grues et crochets celestes est particulierement interessante. Il montre que Chomsky est bien un partisan des "crochets celestes", meme si cela n'enleve rien à la validité de son travail scientifique sur le catactere inné et précablé dans le cerveau de la syntaxe des languages humains.


je me rend compte que je n'ai pas expliqué le sens que Daniel Dennet donne à "grue" et "crochet celeste" (skyhook) ce qui rend mon explication incompréhensible. Voila la definition de Dennet qui separe bien les theories de l'evolution idealistes des theories materialistes et qui en plus presente l'interaction cerveau culture pour expliquer l'évolution de celui-ci:

a écrit :

MÉDIANE — C’est à ce point précis que vous introduisez le joli concept de « Skyhook ». Pouvez-vous nous l’expliquer? Et en passant : comment l’a-t-on traduit en français?

DANIEL DENNETT — Ils l’ont traduit par: «crochet céleste». Il faut bien entendu distinguer un tel crochet d’une grue. Une grue est quelque chose de remarquable, mais elle n’est pas miraculeuse — à la différence d’un crochet céleste qui pend du ciel rattaché à rien et par quoi on soustrait le langage, l’art, la conscience et ainsi de suite au monde naturel. Pensez à toutes sortes de choses merveilleuses qui nous semblent résulter d’un dessein intelligent — un poème, l’amour, un animal magnifique, une belle personne — toutes ces choses présentent des caractéristiques qui sont trop improbables pour être accidentelles. Toutes ces caractéristiques semblent être le résultat d’un dessein et, sur ce point, je suis en accord avec les prémisses des promoteurs du dessein intelligent : nous avons devant nous, partout, des manifestations d’un dessein et cela appelle une explication. Ce que Darwin a montré, c’est que ce dessein a un prix et, pour le dire dans un vocabulaire contemporain, qu’il nécessite de la Recherche et du Développement, lesquels coûtent très chers et demandent du temps. D’où vient tout ce travail? La réponse de Darwin est que tout cela commence de manière très modeste et avec les reproducteurs les plus simples, comme des micro-organismes unicellulaires; peu à peu, ceux-ci évoluent et deviennent des reproducteurs plus complexes; de temps en temps, il se produit une transition, qui n’est pas elle-même miraculeuse, mais qui produit une nouvelle sorte de choses merveilleuses, plus efficientes. Arrive ensuite la reproduction sexuée, qui augmente encore la vitesse et l’efficience des entités. Aujourd’hui, nous avons à notre disposition l’ingénierie génétique, qui nous permet de produire, disons, une plante qui brille dans le noir parce qu’on lui a incorporé des gènes de luciole. Devrons-nous ici parler d’un miracle? Non. Pour y arriver, l’évolution a d’abord dû produire des êtres humains; puis il a fallu que la culture apparaisse; ensuite la science et, parmi elles, la biologie; et alors on a pu comprendre comment arriver à ce résultat et le réaliser. Mais il n’est qu’un fruit de plus sur l’arbre de la vie. Peut-on parler ici d’un miracle? Bien sûr que non. Le design cumulatif comprend toute la culture humaine. Il comprend la religion, l’art, la musique et ainsi de suite. Toutes ces choses sont les résultantes de processus et c’est une cascade ininterrompue de tels processus, de plus en plus complexes, qui produit des systèmes de plus en plus complexes. Qu’est-ce qu’un cerveau de ce point de vue? Un système de contrôle qui peut s’auto-programmer (self redesigning control system). Vous naissez avec lui et, à votre naissance, il est déjà un système au programme extraordinaire : mais il a été programmé pour s’autoprogrammer, ce qui est la définition même de ce que signifie apprendre. Apprendre, en ce sens, c’est ajuster son programme, sa propre configuration, selon divers intrants et le faire dans une direction souhaitable – puisqu’à l’évidence se démanteler ce n’est pas apprendre. Apprendre, au fond, c’est de la Recherche et Développement qui présente une dimension améliorative. La perspective darwinienne permet de comprendre et d’unifier tout cela. Elle ne nie pas la présence ou l’existence de la créativité, mais elle nous permet de comprendre ce qu’est la créativité et comment elle évolue, et comment et pourquoi elle n’est pas un processus miraculeux. La bonne métaphore n’est donc pas celle d’un crochet céleste, mais bel et bien celle d’une grue, très haut dans le ciel, et qui repose sur une grue, qui repose sur une grue…

canardos
 
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Message par charpital » 06 Sep 2008, 12:55

Voila ce qui me géne dans le parralléle "vivant/culture"

a écrit :La réponse de Darwin est que tout cela commence de manière très modeste et avec les reproducteurs les plus simples, comme des micro-organismes unicellulaires; peu à peu, ceux-ci évoluent et deviennent des reproducteurs plus complexes; de temps en temps, il se produit une transition, qui n’est pas elle-même miraculeuse, mais qui produit une nouvelle sorte de choses merveilleuses, plus efficientes. Arrive ensuite la reproduction sexuée, qui augmente encore la vitesse et l’efficience des entités.


En fait il y a dessous tout ça une question de hiéarchie du vivant ou des cultures : "l'homme est supérieur au verre de terre" ou "la cultures scientifique occidentale est supérieure a celle des bono bonos d'afrique centrale" Tout cela n'existe pas évidemment dans ce que dit Darwin (c'est ce qui le rend si scandaleux pour les religieux)
charpital
 
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