Comment s'établissent les goûts musicaux?

Message par Surgut » 14 Juil 2007, 15:14

Voilà pour ouvrir le débat je souhaiterais mettre ce texte que j'ai trouvé sur internet pour savoir ce que vous en pensez.

a écrit :Les goûts musicaux
http://www.cybermusique.com - 17 janvier 2000

Si nous jetons un coup d’oeil sommaire sur la situation musicale en occident au siècle dernier, il n’existait à proprement parler que trois types de musique: celle qu’on appelle aujourd’hui la musique classique, la musique folklorique et une certaine forme de musique populaire. Cette dernière était la musique des Strauss, d’Offenbach et autres musiciens semblables qui ont été considérés comme les premiers compositeurs de musique populaire, même si aujourd’hui ces derniers ont été reclassés comme faisant partie de la musique classique. De nos jours, la situation est évidemment tout autre. Nous retrouvons la musique classique et tous ses styles, la musique folklorique, mais surtout des musiques populaires, que ce soit le jazz, le blues, le rock, le country western, le pop, le techno, le disco, le rap, et bien d’autres, ainsi que des types de musique de provenance non occidentale, qu’ils soient populaires comme le reggae ou le raï, ou plus traditionnels comme la musique de Gamelan balinaise, les ragas indiens, le Gagaku japonais ou le chant Sufi.


Au siècle dernier, les goûts musicaux s’établissaient en grande partie sur la base de la classe sociale d’où l’on provenait. L’aristocratie et la bourgeoisie montante du XIXe siècle écoutaient principalement la musique classique et la première musique dite populaire de l’époque, alors que les classes moins fortunées écoutaient surtout une musique à tendance plus folklorique, ou à tout le moins non classique. Depuis le début du XXe siècle, grâce aux technologies modernes telles la radio, la télévision, les chaînes stéréos et aujourd’hui les technologies digitales dont le CD, le multimédia, l’Internet et le DVD, nous nous retrouvons devant une tout autre situation. Nous faisons face en fait à une situation contraire. Grâce à ces technologies, nous assistons à une prolifération des types de musique, tant par la création quasi-régulière de nouveaux types de musique, autant en occident que partout dans le monde, et à la diffusion de types de musique de sources non occidentales. Tout mélomane n’est plus en mesure d’écouter, et par conséquent d’apprécier, qu’un type de musique unique, lié à une situation sociale spécifique. Il ou elle a la possibilité d’écouter un large nombre de types de musique, indépendamment de sa souche sociale.

Devant une telle «anarchie» musicale, sur quelles bases nos goûts musicaux s’établissent-ils? La majorité des traités en musicologie, en esthétisme, ou encore en philosophie de la musique, étant produit par des académiciens, ne tiennent en ligne de compte presqu’uniquement que la musique classique et ignore presque totalement le phénomène des musiques populaires et surtout de la diversité musicale que la situation en ce XXe siècle a engendré. De ce fait, il ne s’est rien publié de pertinent sur de l’influence des nouvelles technologies et la prolifération des types de musique sur nos goûts musicaux au XXe siècle. Même, les recherches en psychologie et en cognition de la musique utilisent principalement, encore aujourd’hui, des extraits de musique classique. La gent scientifique semble considérer que les principes d’écoute de la musique classique peuvent être universalisés à l’écoute de tous les types de musique existant. Il ne faut pas oublier que pour un large nombre d’académiciens, les musiques populaires ne sont tout simplement pas de la musique. Je mentionnais dans une chronique précédente une célèbre aphorisme plutôt irrévérencieux du compositeur autrichien Arnold Schoenberg «Si c’est de l’art, ce n’est pas pour tous. Si c’est pour tous, ce n’est pas de l’art. » En ce sens, pour les académiciens «musique» sous-entend tacitement «musique classique». En d’autres mots, ;a science étudie encore aujourd’hui les goûts musicaux selon des prémisses provenant en grande partie du siècle dernier liées à la musique classique européenne, prémisses qui ne tiennent aucunement en ligne de compte l’influence historique des technologies contemporaines et de la profusion des types de musique actuels.

Sans cerner bien sûr l’ensemble du sujet, j’aimerais me permettre de tenter de succinctement répondre à la question suivante : comment semblons-nous établir nos goûts musicaux, surtout relativement à la situation actuelle plutôt éclatée en cette fin du XXe siècle. Il s’avère que, lorsqu’on parle de musique, nous avons tendances à universaliser ce qu’on entend par musique. Pour l’érudit, la musique fait référence indubitablement à la musique classique, alors que pour le jeune adolescent, la musique égale un type de rock particulier, ou encore pour le jeune noir d’un ghetto américain, musique veut dire rap. Nos goûts musicaux s’établissent au départ en fonction de la situation sociale dans laquelle nous sommes née, mais plus spécifiquement en fonction d’une identification à des valeurs et croyances sociales particulières. Une jeune noire d’un ghetto américain a la possibilité de devenir une star de l’opéra, alors que le fils d’un riche aristocrate peut facilement devenir une star rock ou pop. On n’apprécie pas un type de musique pour ce qu’elle est, mais plutôt pour ce qu’elle représente pour nous. C’est en s’identifiant à ce qu’un type de musique véhicule comme valeurs et croyances sociales et ce que ces dernières représentant socioculturellement que nous déterminons nos goûts musicaux et non pour des raisons prétendument esthétiques ou musicales, ou purement sociales. Une conséquence de cette identification est que tous les autres types de musique sont considérés et critiques sur la base de cette identification. Il est difficile d’apprécier un type de musique qui véhicule des valeurs à l’égard desquelles nous sommes incapables de nous identifier. Un bon exemple est le rap. Similairement au jazz ou au rock à leur début, c’est une musique qui désire exprimer ouvertement une rébellion à l’égard d’une situation sociale ingrate, et j’oserais même dire débilitante. Il est difficile d’apprécier cette musique si on ne s’identifie point à ce type de rébellion, si on l’ignore parce que trop loin de nos préoccupations sociales, ou encore si on considère qu’elle n’a aucune valeur, par exemple, justement parce que ces valeurs vont à l’encontre des nôtres. À l’opposé, beaucoup de jeunes rappers peuvent difficilement apprécier la musique classique puisqu’elle fait référence à la musique du blanc, de l’oppresseur, du riche et autres valeurs similaires.

D’autre part, surtout chez les adolescents, des amitiés vont souvent se nouer et se défaire en fonction des types de musique écoutés. Il est fréquent de voir des jeunes se critiquer sévèrement et briser des amitiés parce qu’un membre d’un groupe d’amis écoute des types de musique différents. On retrouve quand même la même chose chez un large nombre d’adultes. Il est évident qu’on va préférer assister à un concert de musique classique avec des amis qui aiment ce type de musique qu’avec ceux qui ne l’aiment point. Par ailleurs, certaines personnes vont n’écouter qu’un type de musique unique, d’autres plusieurs types de musique. Avec la prolifération des types de musique, il est difficile de n’écouter et de n’apprécier qu’un type unique. Toutefois, ceux qu’on écoute sont généralement bien sélectionnés pour la raison, mentionnée ci-haut, qu’on va écouter les types de musique qui véhiculent des valeurs socioculturelles auxquelles on peut s’identifier et qui définissent en grande partie notre identité sociale. Ceux qui n’apprécient qu’un type unique de musique refusent généralement de s’identifier aux valeurs de tout autre type. Cette identification à un type de musique se fait aussi tout autant à l’égard d’un artiste particulier. L’extrémisme à cet égard se remarque facilement : on connaît tous la très grande popularité des fans d’Elvis Presley, dont plusieurs vont s’habiller et se coiffer comme lui et même se faire faire une chirurgie plastique pour lui ressembler encore plus. On remarque la même chose avec Boy George, Madonna, Michael Jackson. Ces fans vont réprimer leur identité propre pour prendre celle de leur star. Il existe un phénomène particulier à cette identification. Nous semblons posséder la musique qu’on apprécie. Et lorsque nous en parlons, nous considérons que cette musique qu’on aime est LA musique, l’art musical par excellence. «Notre» musique définit ce que pour nous la musique et nous définit par la même occasion par rapport à la musique dans son ensemble. Si quelqu’un se permet de la critiquer, nous pouvons être froissés dans notre orgueil. Nous pouvons agir comme si cette critique s’adressait à nous personnellement. Pourtant, la seule chose que nous possédons n’est pas cette musique ou cet artiste mais bien notre identification à ces derniers. Plus cette identification est profonde ou intense plus nous ferons de cette musique la musique de notre choix, sur la base de laquelle nos goûts musicaux (dans le sens général du terme) s’établiront.
Surgut
 
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Message par Thersite » 14 Juil 2007, 21:55

Intéressant en tout cas, ce sujet !
J'aurai plutôt tendance à penser que les affinités musicales s'établissent d'abord par milieu social et culturel (ce dont rendent bien compte les clivages musique classique/musiques populaires), ensuite de manière plus personnelle et individuelle (influence du milieu cotoyé, phénomènes de mouvances identifiables par leurs aspects : rappers, ratas, "rockers", gothiques, skateux, punks, métalleux...)... Pour autant, il ne faut pas non plus caricaturer les messages socio-politiques portés par les groupes ainsi formés ( d'autant qu'ils peuvent s'inter-pénétrer), il y a -par exemple- de tout dans la catégorie "rock" : des "classiques", des fils-à-papa, des rebelles, des junkies provocateurs, des bigots, des fachos... Ca reste quand même avant tout un phénomène de djeunes !
Mais ça n'est qu'une première impression à chaud...
Thersite
 
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Message par roudoudou » 13 Août 2007, 10:49

a écrit :Surgut Voilà pour ouvrir le débat je souhaiterais mettre ce texte que j'ai trouvé sur internet pour savoir ce que vous en pensez.

Salut Surgut :-P

donc @ plus ;)
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Message par Bolchevizma » 13 Août 2007, 20:24

Il est à mon avis difficile - je ne dis pas "impossible" - aujourd'hui d'arriver à trouver des liens précis entre gouts musicaux et groupe social. Evidemment, il y a des styles musicaux qui s'établissent à partir de groupes sociaux précis dont le goût peut être facilement imputé à l'appartenance à ce groupe. Cependant, il y a eu un changement énorme au niveau de l'art qui rend les sphères artistiques très poreuses, voire qui détruit la séparation entre musique populaire et musique savante : la reproduction mécanisée de l'oeuvre d'art. A ce sujet là, il est extrêmement instructif de lire Walter Benjamin qui explicite très bien le changement que constitue la disparition de l'aura des oeuvres d'art : leur unicité, leur authenticité

a écrit :Durant des siècles, les conditions déterminantes de la vie littéraire affrontaient un petit nombre d'écrivains à des milliers de lecteurs. La fin du siècle dernier vit se produire un changement. Avec l'extension croissante de la presse, qui ne cessait de mettre de nouveaux organes politiques, religieux, scientifiques, professionnels et locaux à la disposition des lecteurs, un nombre toujours plus grand de ceux-ci se trouvèrent engagés occasionnellement dans la littérature. Cela débuta avec les boîtes aux lettres que la presse quotidienne ouvrit à ses lecteurs - si bien que, de nos jours, il n'y a guère de travailleur européen qui ne se trouve à même de publier quelque part ses observations personnelles sur le travail sous forme de reportage ou n'importe quoi de cet ordre. La différence entre auteur et public tend ainsi à perdre son caractère fondamental. Elle n'est plus que fonctionnelle, elle peut varier d'un cas à l'autre. Le lecteur est à tout moment prêt à passer écrivain. En qualité de spécialiste qu'il a dû tant bien que mal devenir dans un processus de travail différencié à l'extrême - et le fût-il d'un infime emploi - il peut à tout moment acquérir la qualité d'auteur. Le travail lui-même prend la parole. Et sa représentation par le mot fait partie intégrante du pouvoir nécessaire à son exécution. Les compétences littéraires ne se fondent plus sur une formation spécialisée, mais sur une polytechnique et deviennent par là bien commun.


Benjamin montre qu'il en va de même pour le cinema qui est de plus en plus accessible aux masses, ce qui pousse le capital à les détourner de cette avancée :
a écrit :Dans ces conditions, l'industrie cinématographique a tout intérêt à stimuler la masse par des représentations illusoires et des spéculations équivoques. À cette fin, elle a mis en branle un puissant appareil publicitaire : elle a tiré parti de la carrière et de la vie amoureuse des stars, elle a organisé des plébiscites et des concours de beauté. Elle exploite ainsi un élément dialectique de formation de la masse. L'aspiration de l'individu isolé à se mettre à la place de la star, c'est-à-dire à se dégager de la masse, est précisément ce qui agglomère les masses spectatrices des projections. C'est de cet intérêt tout privé que joue l'industrie cinématographique pour corrompre l'intérêt originel justifié des masses pour le film.


Aujourd'hui, les réactionnaires essaient de diviser l'art en "art populaire" et "art savant" sur des critères arbitraires, à mon avis pour la même raison, la séparation crée une division entre les travailleurs. Alors que la reproduction mécanisée de l'oeuvre d'art supprime son aspect rituel, fétiche, on veut redonner cet aspect en hierarchisant l'art et son public.
a écrit :Duhamel voit dans le film un divertissement d'îlotes, un passe-temps d'illettrés, de créatures misérables, ahuris par leur besogne et leurs soucis..., un spectacle qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans les idées..., n'éveille au fond des coeurs aucune lumière, n'excite aucune espérance, sinon celle, ridicule d'être un jour "star" à Los-Angeles.


Il n'y a pas de formes artistiques au dessus des autres, et chacun peut avoir accès à des formes dites plus "savantes" assez facilement (à condition d'avoir internet ou de regarder la télé). Une fois j'ai vu des fresques type "graffiti", je trouve que parfois on atteint un réel degré d'abstraction, certaines se rapprochent aussi beaucoup du surréalisme. De même, grace à la technique du sampling, on peut entendre des mc rapper sur du Bach. Dans les films on peut écouter du Ligeti ou du Penderecski.
a écrit :S'habituer, le distrait le peut aussi. Bien plus : ce n'est que lorsque nous surmontons certaines tâches dans la distraction que nous sommes sûrs de les résoudre par l'habitude. Au moyen de la distraction qu'il est à même de nous offrir, l'art établit à notre insu jusqu'à quel point de nouvelles taches de la perception sont devenues solubles. Et comme, pour l'individu isolé, la tentation subsiste toujours de se soustraire à de pareilles tâches, l'art saura s'attaquer aux plus difficiles et aux plus importantes toutes les fois qu'il pourra mobiliser des masses. Il le fait actuellement par le film. La réception dans la distraction, qui s'affirme avec une croissante intensité dans tous les domaines de l'art et représente le symptôme de profondes transformations de la perception, a trouvé dans le film son propre champ d'expérience. Le film s'avère ainsi l'objet actuellement le plus important de cette science de la perception que les Grecs avaient nommée l'esthétique.
Bolchevizma
 
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