"Les témoins "

Message par emma-louise » 10 Mars 2007, 14:12

Film de André Téchiné sur l'apparition du SIDA dans un petit groupe humain bien banal ... J'ai beaucoup aimé , personnages pleins , situations subtiles , vision au scalpel des rapports humains et émotions mise en valeur sans mélo , bref bon film à mon gout et des "acteurs" ( Emmanuelle Béart , Julie Depardieu ou Michel Blanc ) et des "personnages" ( Manu , Sandra , Mehdi ) et réciproquement !!! Une scène m'a bouleversé : Adrien le toubib homo militant donne à lire des tracts à Sandra prostituée , elle pose son doigt sur le papier et demande syllabe à syllabe que veut dire "prophilaxie" Un film de conception très "classique" mais ouvert et subversif !!!
emma-louise
 
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Message par gerard_wegan » 12 Mars 2007, 01:12

Le ton est juste (à quelques détails près), le film évite le pathos et le didactisme lourdingue (mais un rappel intéressant, au passage, de quelques réactions de la société et de l'Etat américains face au début de l'épidémie de sida)... et le résultat est donc cruel !
gerard_wegan
 
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Message par gerard_wegan » 12 Mars 2007, 01:39

(Lefigaro.fr a écrit :
André Téchiné, un devoir de mémoire

Dominique Borde
Publié le 07 mars 2007 - Actualisé le 07 mars 2007 : 10h22

Dans son nouveau film, le cinéaste aborde les années 1980, époque d'insouciance et de libération sexuelle, qui fut marquée par l'apparition du sida.

IL A TOUJOURS l'allure timide et réservée d'un étudiant égaré dans un cours qui ne lui serait pas destiné, ou d'un provincial perdu dans un quartier de la capitale. Après ­dix-sept films où brillent quelques joyaux et une notoriété qui lui a donné la place d'un metteur en scène original et respecté, André Téchiné a gardé une impressionnante modestie faite de courtoisie et de lucidité. Comme l'écrit Philippe Noiret dans ses Mémoires posthumes : « On l'imagine siéger à la NRF entre Gide et Martin du Gard. Il a su garder une vraie innocence... une absence de considération pour ce qu'il est. » Dans son dernier film, il a pourtant fait preuve d'une nouvelle audace en évoquant, à travers le destin de cinq personnages, l'arrivée et les ravages du sida dans la société française du début des années 1980. Une fiction documentée ou une tragédie vécue illustrées par le couple libéré Sarah et Mehdi (Emmanuelle Béart et Sami Bouajila), un médecin homosexuel joué par Michel Blanc, la jeune cantatrice célibataire Julie Depardieu et son frère, le jeune Manu, qui aura une aventure avec Mehdi. Tous témoins ou victimes d'un drame contemporain que personne ne pouvait prévoir.

« Je suis passé à travers et j'ai eu beaucoup d'amis emportés par l'épidémie, raconte André Téchiné. J'ai donc voulu rester fidèle à ce que je pensais à l'époque. Nous étions comme des Martiens... Le ciel nous tombait sur la tête. J'ai eu le désir de transmettre ce traumatisme historique aux nouvelles générations, sans oublier le plaisir du cinéma. C'était comme une nouvelle peste qui nous renvoyait aux vieux démons du sexe et de la morale. Je voulais exorciser cela en témoignant. Faire un devoir de mémoire qui aurait pu s'intituler : Avant que j'oublie. Les Américains savent faire cela mieux que nous. Mais je ne voulais pas pour autant faire un documentaire ou filmer un spectacle qui se complaise dans le malheur. »

Le film se déroule donc entre cinq personnages, tous différents et tous symboliques, de la femme mariée qui a des aventures au jeune homme disponible qui suit son instinct, en passant par le flic qui deviendra son amant et le médecin qui ne sera qu'un ami attentif et frustré. « C'est vrai que ce sont des archétypes, souligne Téchiné. Mais je ne voulais pas faire du naturalisme. Je voulais qu'ils soient aussi vivants et réels que possible. Je me suis inspiré de certains modèles puisés dans la réalité. Le film commence par une naissance avec le bébé de Sarah et finit par la découverte du sens de la vie. Manu et sa maladie auront servi d'apprentissage à tous les autres. Mais je ne voulais pas définir les personnages par leur sexualité. Ainsi, Manu découvre son homosexualité quand il est ranimé de la noyade par Mehdi qui représente l'ordre et la raison avec une part obscure, irrationnelle, qu'il manifestera dans son élan homosexuel. Tous les personnages sont indissociables. Tous à leur manière auront aimé Manu, sortiront plus fort de cette épreuve et témoignent de son passage parmi eux. En ce sens c'est aussi un film d'amour qui s'ouvre à la vie ! »

Savoir s'arrêter sur la beauté du monde

Maintenant, un détail peut frapper le spectateur. Il n'a pas d'importance dans le récit et reste sans prolongements. Mais les deux hommes qui ont explicitement une relation homosexuelle, Sami Bouajila et Johan Libéreau, sont d'origine maghrébine. Quand on l'interroge sur cette coïncidence, André Téchiné demeure dans l'expectative, embarrassé et étonné : « Je n'y ai pas pensé. J'ai choisi Bouajila parce que c'est un grand acteur et Libéreau parce qu'il possède une vitalité et une joie de vivre qui séduisent. À la fois lumineux et joyeux, il incarne un jeune ordi­naire qui sert de révélateur. C'est vrai que les deux sont des fruits de la mixité. Mon choix a été inconscient. Tant pis si ce n'est pas politiquement correct ! Je ne le suis pas. Mon seul souci est de puiser des éléments dans la réalité pour les plonger dans la fiction. »

Quant à ses autres interprètes, Emmanuelle Béart, Michel Blanc et Julie Depardieu, il leur trouve à tous une raison d'être là où il les fait exister. « Emmanuelle Béart, je la retrouvais pour la troisième fois après J'embrasse pas et Les Égarés. Je voulais lui confier un rôle de femme-écrivain. Ce qui me fascine. Je voulais aussi qu'elle exprime une vie sexuelle intense. Elle est plus amoureuse que mère. Il ne fallait pas que Mehdi cède à Manu par frustration. Le couple a donc une sexualité épanouie et à l'écran il n'y a pas d'autre actrice qu'Emmanuelle qui possède cette force érotique. Michel Blanc, lui, me fascinait. Sec et nerveux, il n'a pas peur de se montrer antipathique en gardant une certaine profondeur. On s'est retrouvé sur le même rythme et je compte retravailler vite avec lui. Julie Depardieu incarne une femme seule et passionnée. Il fallait une actrice qui aime l'art lyrique. Ce qui est son cas. Elle a cette aspiration à chanter, même si elle est doublée dans les scènes d'opéra. »

Les deux femmes sont d'ailleurs des artistes face à des hommes moins créatifs, plus instinctifs ou plus fous. « Il fallait qu'elles puissent s'exprimer en dehors d'eux », note Téchiné qui insiste sur « ces scènes heureuses et joyeuses toujours plus difficiles à filmer que celles de la maladie. » Soudain rasséréné, le cinéaste affirme : « Il faut savoir s'arrêter sur la beauté du monde ! » Un autre devoir de mémoire tout aussi essentiel.


Les Témoins - Comédie dramatique d'André Téchiné, avec Emmanuelle Béart, Michel Blanc, Sami Bouajila, Julie Depardieu, Johan Libéreau. Durée : 1 h 45.
gerard_wegan
 
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Message par gerard_wegan » 12 Mars 2007, 01:49

(Libération a écrit :André Téchiné revient sur les années 80, devenues années sida. Un film du deuil, étrangement optimiste.

Pris à «Témoins»

Gérard LEFORT - mercredi 7 mars 2007

Comme dans la chanson, les Témoins nous parle « d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ». Le début des années 80 en France, sorte de bohème en effet, mais fort peu bourgeoise, atelier de bricolages sentimentaux, sexuels, protestataires. Entre rois du monde et nouvelle énergie accrochée au revers de ce Mitterrand-président qui donnait enfin corps et âme à bien des désirs. Et comment tout a mal tourné, ou en tout cas pas très rond, dans une direction inimaginable. Celle du sida, cette peste que le film ne nomme jamais tant elle fut sur le coup innommable. Ils et elles mouraient à foison. Mais de quoi ? Téchiné nous parle de ce temps avant qu'il ne soit trop tard pour s'en souvenir. Mais son film n'est pas une nostalgie ni une reconstitution d'antiquaire. C'est une évocation à laquelle suffit la palette des vives couleurs d'époque et quelques bricoles vestimentaires. Un film d'avant le portable. Cela oblige à s'intéresser au sujet de fond et pas à l'emballage. Le sida comme sujet grave, comme emblème funèbre, certes, mais comme symptôme surtout. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. Et nous en fûmes les témoins... Mais témoins de quoi ? D'un carambolage de science-fiction entre vies publique et privée, d'un Alien infiltrant la politique, le droit, la médecine, dans le plus secret des organismes, là où on ne doit pas aller. Si Foucault n'était pas mort, du sida lui aussi, il aurait exhumé de ce conglomérat une nouvelle généalogie de la morale. Ce que Téchiné fait à sa façon, en racontant par-delà le bien et le mal les destins entremêlés d'une jeune femme (Emmanuelle Béart), de son compagnon (Sami Bouajila, plus que plausible en flic maxi-hétéro et archipédé), d'un toubib nanti et bientôt concerné (Michel Blanc, au zénith), d'une jeune chanteuse qui fait la sourde oreille (Julie Depardieu) et du jeune homme à la mort (Johan Libéreau). Ils ne le savent pas, mais ils sont en guerre. Ils l'ignorent, mais certains survivront. De quoi créer des liens qui ne sont pas du sang (contaminé), mais de la chair vive et d'un nouveau discours amoureux. Les Témoins est un film en deuil, qui repousse la compassion, mais qui pourrait être un mélodrame musical (façon Une chambre en ville de Demy), naviguant entre deux ritournelles. La première est Pauvre Rutebeuf, recomposée par Léo Ferré : «Que sont mes amis devenus/Que j'avais de si près tenus/Et tant aimés». La chanson n'est pas dans le film, elle flotte au-dessus, comme sa complainte nuageuse, qui réverbère la chanson qui s'y trouve pour de bon, hurlée par une pute dans un bar : Marcia Baila des Rita Mistouko, « Mais c'est la mort qui t'a assassinée, Marcia/C'est la mort qui t'a consumée»... On peut donc danser avec la mort. On peut donc faire du cinéma comme on valse dans les bras de la camarde. Et que ce pas de deux soit vertigineux, excitant, intelligent, magnifique, vivant.
gerard_wegan
 
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Message par gerard_wegan » 12 Mars 2007, 02:00

(Libération a écrit :A l'affiche André Téchiné explique l'importance de raconter le traumatisme:

«Faire le film avant l'oubli»

Gérard LEFORT, Didier PERON - mercredi 7 mars 2007

Dans le confort spacieux d'un appartement avec vue sur la Seine, André Téchiné réfléchit à voix haute sur son dix-septième long métrage.

Le film témoigne par la fiction de l'irruption du sida dans la vie de quatre personnages...
L'apparition du sida a été un tournant dans ma vie. J'ai perdu des proches et j'ai le sentiment d'avoir échappé à mon destin. Je ne voulais pas me complaire dans la douleur et le deuil, il m'a fallu un certain temps pour pouvoir raconter cette histoire. Il fallait faire le film avant que ça tombe dans l'oubli, mettre des sons, des images, les plus sensorielles, sensitives possibles. La mise en spectacle des traumatismes n'a pas forcément un caractère mortifère. Au contraire, cela me paraît salutaire. Le sida n'est pas un sujet à mes yeux, ce n'est en tout cas pas le sujet du film. Il y avait quelque chose de viral, d'organique, d'extraordinaire qui faisait irruption dans un monde tout à fait familier. Quelque chose qui échappait même à l'espèce humaine. Indépendamment de la douleur et de la perte, c'était cet aspect fictionnel, presque de science-fiction, Mars Attacks, la Guerre des mondes ou les Oiseaux. On est dans le non-humain, c'est la frontière entre l'humain et le non-humain, quelque chose de cosmique qui m'a intéressé.

Quels types de changements se sont opérés au fil des réécritures avec vos collaborateurs Laurent Guyot et Viviane Zingg ?
Dans une première version du scénario, le destin de Manu était vu à travers celui de chacun des personnages. On jouait d'une temporalité plus acrobatique et UGC n'en a pas voulu. On devait tourner entièrement à Marseille. J'y tenais beaucoup parce que c'est une ville cosmopolite où j'ai des souvenirs. Pour des raisons de budget, on a tout rapatrié sur Paris et j'ai réussi à négocier une semaine de tournage dans le Sud. Je ne suis pas sûr que le fait de corriger, de s'adapter en fonction d'une économie, d'exigences de production ou de casting soit un handicap, on peut aussi se dire que ça oblige à être plus inventif.

Comment avez-vous travaillé avec le jeune Johan Libéreau ?
On n'a pas beaucoup parlé avec Johan. Je n'aime pas disserter sur mes motivations, mes intentions, ni sur la psychologie des personnages. Je l'avais vu avec une tendance taciturne dans Douches froides d'Antony Cordier et c'était sa face rieuse, lumineuse, qui m'intéressait. J'ai beaucoup travaillé avec lui, fait de nombreuses répétitions pour ausculter sa vitalité, faire en sorte qu'il garde toujours son regard alerte, brillant. Il m'avait demandé quels films il pourrait regarder pour jouer Manu et je lui ai passé des cassettes de films de Pasolini avec Ninetto Davoli. Je crois qu'on voit cette référence à l'écran.

Le rythme du film est très particulier, rapide, elliptique...
Le tempo est donné par Emmanuelle Béart qui tape comme une folle sur sa machine à écrire dans le générique du début. J'avais envie que le film soit comme une espèce d'éclair qui déchire le temps et le fixe. Le rythme du film doit donner le sentiment d'une rapidité primordiale, après laquelle les personnages sont obligés de courir. Il y avait déjà un peu ça dans Rendez-vous, le film était déjà un accélérateur.

Quel thème revient le plus régulièrement dans vos films ?
Le sujet qui me passionne depuis toujours, je crois que c'est le rapport entre le sexe et la morale. Avec sa vision homosexuelle du monde, le personnage de Michel Blanc, dès la première scène de drague, fait la morale à Manu, sur les âges de la vie et le culte de la jeunesse dans le milieu gay. Le personnage de Manu dit qu'il est heureux et qu'il n'a pas de remord, mais il a une forme de loyauté à l'égard de Mehdi. Le couple Sarah-Mehdi, dans son côté non possessif et non exclusif, ouvert à l'amour libre, est quand même lié par une forme de contrat moral. Les personnages ne cessent jamais d'essayer de faire le partage entre le bien et le mal, ce qu'il est bon de faire et de ne pas faire. Je ne sais pas s'il existe au cinéma un personnage qui serait totalement dénué de morale. Je n'en connais pas.
gerard_wegan
 
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Message par gerard_wegan » 12 Mars 2007, 02:16

(L'Humanité a écrit :
Entretien réalisé par Jean Roy
Article paru dans l'édition du 7 mars 2007.

André Téchiné. « Ce qui ne vous détruit pas vous rend plus fort »

Cinéma . Sortie aujourd’hui du nouveau film d’André Téchiné, les Témoins, situé en 1984, au moment charnière où l’insouciance sexuelle a fait place à la peur. Rencontre avec le réalisateur.

En 1984, période où se déroule les Témoins, André Téchiné est un réalisateur qui a déjà cinq, six films à son actif. Dans son entourage, qui compte nombre d’intellectuels et d’artistes homosexuels, l’hécatombe a commencé. Quatre ans plus tôt, à Los Angeles, un médecin vient seulement de s’étonner de la coïncidence clinique entre les symptômes développés par trois de ses patients masculins homosexuels. Un an plus tard, cette maladie nouvelle est dénommée sida ; on découvre son mode de transmission et aussi qu’elle ne frappe pas seulement les homosexuels. En mai 1983, le professeur Montagnier et son équipe parviennent pour la première fois à isoler l’agent responsable de la maladie, expérience renouvelée en mai 1984 par le professeur Gallo qui met en évidence l’activité antirétrovirale de l’AZT. C’est donc à cet instant charnière que ce beau film prend place. Rencontre avec son auteur.

D’où vient l’idée des Témoins ?
André Téchiné. C’est un projet que j’ai porté longtemps, depuis ce moment historique traumatisant où des proches ont disparu. Moi, je suis passé au travers. Ma motivation a été celle d’un devoir de mémoire. Ensuite, il a fallu convaincre un producteur, car cela reste un sujet tabou. Je pense aussi que j’avais laissé passer assez de temps pour ne pas me complaire dans le malheur mais il fallait le faire avant que tout le monde oublie, je ne dis pas avant que moi j’oublie. La nouvelle génération ne connaît rien de cette époque. De façon concrète ou émotionnelle, cela a été vécu comme Mars attaque ou les Oiseaux, s’en prenant à et détruisant tout ce qui m’était familier. Ce sentiment de science-fiction m’a dicté la forme et je me suis lancé avec les difficultés de production qui sont le lot commun des temps qui courent, avec en plus donc le côté un peu tabou du projet. C’est une difficulté que j’avais affrontée avec Terre brûlée, sur la guerre d’Algérie. J’avais des comédiens connus et pourtant le film ne s’est pas fait. C’est un problème français. D’autres pays n’ont pas peur de mettre en spectacle jusqu’au nazisme, que ce soit en comédie musicale avec Cabaret ou dans le burlesque avec To Be or Not to Be et le Dictateur, ce qui permet de ne pas refouler. Ici, ce n’est pas la même approche, comme si ça ne transmettait pas. Moi, je n’avais même pas entièrement l’histoire dans ma tête que, à chaque fois que j’en parlais, je me heurtais à un rejet ou à un refus, à cause du sujet d’abord. Cette époque-là, il ne faut pas en parler.

Quelle est la construction du film ?
André Téchiné. C’est presque comme un film fantastique, avec une insouciance dans la première partie puis le virus qui attaque. Il y a ensuite la société de l’époque - ce qui n’est plus vrai aujourd’hui - qui réagit de façon émotionnelle, comme si c’était une nouvelle peste, une maladie honteuse. Même des philosophes de l’époque frappés par cette épidémie n’en ont pas parlé. Quelqu’un comme Michel Foucault, pour des raisons qui le regardent, a refusé cette étiquette au caractère culturellement très violent, comme si cela s’opposait à une maladie plus normale ou naturelle.

Vous trouvez cependant un producteur...
André Téchiné. Oui, Saïd Ben Saïd, à UGC. J’avais tâté avec d’autres, leur disant que j’avais un projet sur ce thème, obtenant toujours une réaction négative. Lui s’est montré plus ouvert, mais il m’a dit que tout dépendrait de la forme que prendrait le scénario. C’est avec lui que j’avais fait Loin, tourné en DV et en équipe légère très réduite à Tanger. Il était plutôt satisfait du film et partisan d’une nouvelle aventure. Il a accepté le risque de ce projet, qui s’est d’abord appelé Avant que j’oublie, puis la Tempête, avant de devenir les Témoins. Le titre est venu d’Emmanuelle Béart, à qui l’on demande : « Témoigner de quoi ? » et qui répond : « De son passage parmi nous. » Les personnages sont les témoins du destin de Manu, qui a bousculé leurs vies ordinaires, leurs habitudes et leur a fait mesurer le miracle d’être vivants, leur faisant apprendre des choses pour eux-mêmes. Si, à la fin, Emmanuelle Béart parvient à aimer son enfant, cela a à voir avec la mort de Manu. Elle prend conscience. De même Michel Blanc, à l’homosexualité très revendicative dans la première partie du film, lui permet d’être plus disponible pour finalement apprécier un moment de bonheur comme avec Steve, même s’il est sans lendemain. Ce qui ne vous détruit pas vous rend plus fort.

Cette idée était-elle intangible ou le scénario a-t-il connu des évolutions ?
André Téchiné. Ça a bougé. Je vois qu’il est vrai qu’au départ c’est une manière de parler du sexe et de la morale, comme dans Rendez-vous ou J’embrasse pas, ce qui m’intéresse toujours. Par rapport à cela, la période avait quelque chose d’exemplaire : déduire la morale comme une sorte de sanction. Puis sont venus les personnages du flic, du médecin, de la prostituée qui aime son métier. Ça s’est déplacé de l’écriture vers quelque chose d’organique. J’ai accordé beaucoup plus d’importance à la scène du pique-nique, qui va vers la sieste, puis la baignade, puis la noyade, ce quelque chose de très mystérieux qui fait qu’à ce moment le personnage va se rapprocher de Manu et finalement céder à ses avances. Il y a ce fond marin qui est mystérieux, comme peuvent l’être le désir ou l’érection. Cela a pris le dessus dans la manière dont j’ai corrigé le scénario. C’est le côté un peu irrationnel de cette épidémie qui a pris le dessus dans la deuxième partie.

Cette évolution, comme la distribution ou le reste, est-ce vous ou UGC, dont vous dites l’attention portée au développement du film ?
André Téchiné. Dans la mesure où Saïd Ben Saïd travaille chez UGC, c’est lié. Je ne sais pas quelle est sa part d’indépendance par rapport à UGC. Je voulais tourner à Marseille, une ville solaire qui est une terre d’immigration à la rencontre de l’Orient et de l’Occident. C’était trop cher. Il a fallu rapatrier et réécrire en situant à Paris pour des raisons économiques. Donc, on a travaillé à l’intérieur de certaines contraintes. Ce sont des rapports de forces classiques entre un cinéaste et un producteur. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un comédien est connu que cela émousse mon désir de cinéma. Il y a dix ans que je rêvais de travailler avec Michel Blanc. Emmanuelle Béart, j’avais déjà fait deux films avec elle. En revanche, je n’imaginais pas un comédien connu pour jouer Manu. J’ai fait beaucoup d’essais avant de choisir Johan Libéreau, qui n’est pas une vedette. J’aurais pu prendre Gaspard Ulliel, mais il me semblait trop beau pour le rôle. Il avait un côté hermaphrodite dans les Égarés, mais c’était un autre film. Là, je cherchais quelque chose de plus banal et de plus populaire qu’une beauté physique de jeune premier. Je voulais la qualité dans la joie de vivre, pas la beauté qui descend sur terre comme Terence Stamp dans Théorème. Ce n’est pas au demeurant la première fois que je mélange connu et inconnu. Dans les Soeurs Brontë, j’avais un inconnu face à trois vedettes. Ici, il fallait que ce soit tempétueux et joyeux. L’euphorie l’a emporté sur la noirceur de la période historique. Je voulais des moments de bonheur, du plaisir au-delà de ce qui est inhérent à l’intrigue. Ces scènes donnent tout son prix à l’ensemble car on mesure leur caractère éphémère. J’ai voulu donner l’intensité d’enfants qui jouent et en profitent. On avait réussi à oublier l’ultralibéralisme et la pesanteur du marché.

Avez-vous lu ou entendu les déclarations de Pascale Ferran lors de la soirée des césars ?
André Téchiné. Elles avaient le mérite d’être très réfléchies. J’ai le sentiment qu’elle a mis le doigt sur un point très sensible. D’une certaine manière, le goût des décideurs est en cause et, en disant cela, je pense surtout à la télévision. Je ne voudrais pas en revanche qu’on oppose cinéma d’auteur et films grand public. Hitchcock a réalisé des films de divertissement que boudait la critique qui affirmait que c’était du grand-guignol. Le goût d’une certaine autre critique a donné ses lettres de noblesse au grand-guignol, ce qui n’était pas incompatible avec le goût du public. Affirmer l’existence d’un cinéma d’auteur, dans lequel on trouve, vous en conviendrez, le meilleur et le pire, vous met à une place immuable. Occuper la place du cinéma d’auteur dans l’échiquier n’est pas salutaire car cela ne fait pas bouger les choses. Chez Chaplin, chez Hitchcock, qui sont des maîtres j’en conviens, la dimension de spectacle et la dimension d’écriture faisaient bon ménage. Je me vis comme un homme de spectacle, pas comme un auteur. Cela n’empêche pas que les goûts des décideurs sont formatés par l’industrie et que ce sont des autocrates qui ont maintenant quartier libre pour exprimer ces goûts. La part de la recherche, de l’expérimentation, est nécessaire à toute l’industrie. Elle fait partie du désir d’un cinéaste. Qu’il y renonce dans son travail et lisse vers la norme, cela me paraît moins vivant, plus figé, plus de l’ordre de la mort, donc moins intéressant. Il est dommage que cette part d’expérimentation soit traitée avec beaucoup de mépris.
gerard_wegan
 
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Message par gerard_wegan » 12 Mars 2007, 02:22

(lesechos.fr a écrit :
Lundi 12 mars 2007

LES TÉMOINS d'André Téchiné

Le temps du sida

L'arrivée, puis la maladie d'un jeune provincial bouleverse un petit cercle parisien. Un film personnel, juste et émouvant.

Avec Emmanuelle Béart, Michel Blanc, Sami Bouajila

André Téchiné le confessait à Berlin, où il était en compétition en février dernier : ce film, « très personnel », il l'a fait « par devoir de mémoire envers des amis qui ont disparu dans ces années-là ». Ces années où le sida, mal connu, frappait et tuait sans crier gare, changeant à jamais la vie de ceux qui avaient pu « passer au travers ». Ceux, désormais « témoins », dont le réalisateur se fait ici l'interprète, à travers l'histoire du bref passage, dans un cercle parisien, d'un jeune et bel éphèbe, Manu, venu de province et bientôt contaminé.

Le froid de la maladie

A la fois sensuel et clinique, le film réunit un grand médecin, Adrien, homosexuel (Michel Blanc, impressionnant), son amie Sarah (Emmanuelle Béart), auteur de livres pour enfants, et l'officier de police judiciaire Mehdi (Samuel Bouajila, remarquable), avec qui elle vient d'avoir un bébé qui semble l'encombrer. D'abord solaire, à la fois cru et retenu, le film bascule ensuite dans le froid de la maladie.

Sans trop appuyer sur la note mélodramatique, interprété avec, à la fois, audace et justesse, le film, comme en négatif des « Roseaux sauvages », parle sans détours du désir, sous toutes ses formes, des tragédies qui peuvent l'accompagner, mais aussi de la vie, qui doit continuer.

A. C.
gerard_wegan
 
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Message par clavez » 15 Mars 2007, 17:53

J'ai finallement bien aimer, mais j'ai trouvé un peu longue la mise en place. Si le film parle de sexualité et de morale, il est un peu faible dans le dramatique....

Par ailleurs je n'ose pas comprendre le sens que peut avoir, dans tout ça, le fait que le père de Manu fut un collabo algérien liquidé par les nationalistes petit bourgeois du FLN. Téchiné doit prendre ses distances d'avec Gide.
clavez
 
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Message par clavez » 15 Mars 2007, 17:57

Faire son coming out n'est déjà pas simple. Mais l'impact du sida sur la jeunesse "pédée"de l'époque fut dramatique; et ce n'est qu'à peine évoqué.
clavez
 
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