
Je viens de finir ce bouquin qui est tout simplement excellent. Je n'ai jamais rien lu quelque chose d'aussi juste sur la révolte de novembre 2005 (et pourtant ce ne sont pas les analyses pseudos-sociologiques ou pseudos-politiques qui manquent sur le sujet).
a écrit :L'auteur de cet ouvrage n'est ni sociologue ni journaliste. Au début des années quatre-vingt, il participe à la première vague de révolte des banlieues. Il assiste ensuite, impuissant, à sa défaite, à sa récupération et à la mise en place d'un véritable apartheid social.
Ce texte incisif replace les événements de l'automne 2005 dans le contexte d'une désintégration sociale et d'un renforcement de l'État-Léviathan. Son propos dépasse d'emblée le faux débat opposant intégration républicaine et communautarisme religieux.
Loin de tout discours moralisant ou victimisant, l'auteur s'adresse, d'égal à égal, aux révoltés des banlieues pauvres. Il apporte ainsi sa contribution au devenir de la révolte.
Impliqué dans la vie alternative de son quartier, Alessi Dell'Umbria a collaboré à différentes revues de critique sociale. Il a écrit une Histoire universelle de Marseille, de l'an mil à l'an, deux mille, à paraître aux éditions Agone.
Extrait du livre:
LA GUERRE DE TOUS CQNTRE TOUS ET LA NEVROSE SECURITAIRE.
Thomas Hobbes fut, au XVIIe siècle, l'un des théoriciens-fondateurs de l'État moderne. La base de la philosophie hobbesienne, exposée dans son ouvrage Léviathan, est la suivante : le droit naturel de chaque individu contredit celui de l'autre et réciproquement. Cette logique infernale définit un «état de guerre de tous contre tous», dans lequel «ce droit de tous les hommes à toutes choses ne vaut en fait pas mieux que si personne n'avait droit à rien». Le philosophe considère donc que le respect de l'autre est impossible à garantir, sinon par la loi civile qui se pose en arbitre impartial. Et la loi civile suppose un pouvoir souverain qui la rend effective en obligeant tous les individus à lui obéir : «L'obligation d'obéissance à la loi civile tient au droit de vie et de mort du souverain sur les citoyens, à son droit de châtier quiconque enfreint la loi». Disposer de la force armée et décider la guerre contre un État voisin, lever des impôts et contrôler les doctrines enseignées dans la république, tels sont les «droits qui constituent l'essence de la souveraineté».
Le souverain devient alors dépositaire du droit naturel que chacun a sur chaque chose - droit qui est à l'origine de la guerre de tous contre tous. Et afin que règne la paix et que justice soit rendue, ce pouvoir doit être légué au souverain de façon inconditionnelle.
La description que faisait Hobbes de cet «état de nature» était une pure construction idéologique. Le point de départ de son raisonnement était l'individu isolé : or, cet individu constituait une abstraction. L'individu est avant tout un être social, et sa relation à l'autre ne s'opère qu'à travers des médiations. En partant d'un individu atomisé, dont la relation à l'autre aurait un tel caractère d'immédiateté, Hobbes construisait une base totalement arbitraire. Nulle part dans le monde réel n'existait quelque chose comme cela.
L'individu n'a jamais existé qu'en communauté, et toute l'histoire des États modernes, souverains, a été celle de la désintégration de ces communautés pour arriver à constituer, effectivement, cet individu isolé qui, sous la plume de Hobbes, apparaît comme une anticipation philosophique, et en même temps comme une intuition historique géniale. Pour le penseur anglais, la guerre de tous contre tous constituait le postulat devant légitimer l'exigence d'un souverain omnipotent, ce Léviathan qui préfigure les États modernes. Pour fonder la légitimité du souverain, il fallait postuler qu'en elle-même la société ne pouvait que produire et reproduire le conflit permanent et sans limites. Seul le souverain pouvait, en transcendant les divisions internes de la société, instaurer la paix. Ce qui revenait à refuser à la société toute immanence politique.
Le plus significatif est que, pour Hobbes, il était indifférent que le souverain fût un monarque ou une assemblée, qu'il fût héréditaire ou élu.