... Il y a quelques minutes de délire qui font penser à Kusturica quelques envolées lyriques comme dans Le temps des gitans et de nombreux personnages qui passent comme ceux de Panait Istrati humbles ou arrogants la coiffeuse danseuse qui rève de fortune à l'ouest le colonel militant arménien de Marseille activiste décoré puis peu à peu mis en marge le patron de boite de nuit cynique et futur dirigeant du jeune pays des mafieux et des conquérants des discussions politiques ou philosophiques au rythme de l'orient ... Grosso modo : gravement malade, Barsam souhaite retourner sur la terre qui l'a vu naître. Il souhaite également léguer quelque chose à sa fille Anna. Elle est pétrie de certitudes ( cardiologue elle sait que Barsam va bientot mourir , ancienne militante du PCF elle gardé des réflexes militants mais assez arrogants ) Barsam , lui , il voudrait lui apprendre à douter , à chercher .... Lorsqu'il s'enfuit en Arménie, il prend soin de laisser de nombreux indices pour qu'Anna puisse le rejoindre. Ce voyage obligé dans ce pays inconnu deviendra pour elle ce que Barsam voulait qu'il soit : un voyage initiatique, une éducation sentimentale, une nouvelle adolescence... C'est dans un petit village perdu dans les hautes montagnes du Caucase qu'elle le retrouvera, assis à rêver sous un abricotier en fleur... Sur son identité, sur ses amours, sur ses engagements, Anna doutera et aura grandi.
a écrit :... Voilà donc Anna (l'actrice fétiche, Ariane Ascaride) à la recherche de son vieil emmerdeur de père, parti rejoindre pays natal, émotions d'antan et premier amour. Au fil de son périple, elle va découvrir un pays, s'y intégrer au point de douter peu à peu de son identité, de ses engagements, de son mari. "Vivre, lui dira son père à la fin, c'est vouloir ceux qui sont là, pas s'accrocher à ceux qui manquent."
Et ceux qui sont là, pour elle, c'est ce vieux barbu qui la transbahute à travers la ville, cette employée d'un salon de coiffure hantée par une image mythique de l'Occident, ce toubib humanitaire et ce militaire obligé de composer avec des réalités nationales peu reluisantes. Des gens qui possèdent ce qu'elle a perdu après l'effondrement du communisme : un rêve, un idéal. Si bien qu'aux autoritaires discours machistes de son géniteur, aux idéologies dévoyées du vieux Staline, aux doutes de son époux français, elle finit par préférer les autochtones qui parlent sa langue maternelle.
Anna fait sa mue, change de culture, dilue son purisme. S'identifiant un temps à la Gloria de John Cassavetes dans une séquence de thriller où, pistolet au poing, elle affronte les hommes de main d'un importateur véreux, elle admet peu à peu que depuis que l'Arménie, devenue un Etat indépendant en 1991, abrite autant de mafieux que de patriotes.
Guédiguian oppose la "saloperie" du business et les excès de l'ultralibéralisme à ce qui reflète l'âme d'un pays : paysages, lumière, musique, convivialité. Au-delà de sa peinture sensuelle d'une terre qui, aux yeux de l'héroïne, devient de moins en moins étrangère, Le Voyage en Arménie propose une belle ode à la communauté, quelle qu'elle soit, pourvu qu'elle n'adopte pas le repli identitaire mais respecte le moi profond de chaque individu, et résiste à la mondialisation.
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Film français de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Chorik Grigorian, Simon Abkarian. (2 h 05.)
Jean-Luc Douin
Article paru dans l'édition du 28.06.06