L'article de l'Huma, sur ce film, en deux parties, lundi et mardi, sur france 2 :
a écrit :la semaine télé
Le fer dans le sang des métallos
Fiction. Hervé Baslé signe, avec le Cri, une épopée ouvrière dans le monde de la métallurgie, en France, du XIXe siècle à aujourd’hui. Un film exceptionnel.
Le Cri
Lundi et mardi. France 2. 20 h 55.
« La parole de l’ouvrier sur son chantier ou à l’usine est souvent un cri. Le cri d’une souffrance, d’une mutilation ou d’une blessure. » Elle peut aussi être cri de colère et de révolte. Un cri qui a du mal à retentir jusqu’à nous, et notre époque postindustrielle. Le réalisateur et auteur Hervé Baslé a fait le pari de transmettre, par la fiction, la voix des ouvriers des hauts fourneaux. Il raconte, en quatre épisodes, la saga des sans-voix, de ces hommes et de ces femmes du peuple. Il raconte leur misère, leurs difficultés, leurs joies, leur solidarité. Le Cri raconte une dynastie de métallos sur cinq générations. Hervé Baslé achève ainsi un cycle sur l’histoire des petites gens entamée avec Entre terre et mer et le Champ dolent. Après l’eau et la terre, il s’attaque, si l’on peut dire, au feu. Surtout, il redonne une vie à ces hommes et à ces femmes, une dignité à leur travail et à leurs combats. Cette épopée ouvrière, qui se situe entre 1830 et 2005, lance aussi le débat sur le type de société que l’on veut construire. Le Cri peut résonner jusqu’à nous, même si la classe ouvrière a changé de forme, aujourd’hui : il met en cause, directement, un système de production, le capitalisme, qui s’occupe davantage de profits que des hommes.
L’histoire du Cri, c’est celle de la famille Panaud. En 1945, à la Libération, le jeune Robert, tout juste quinze ans, commence son apprentissage aux hauts fourneaux. Aîné de quatre enfants, il est aussi orphelin de père. Un père, mort d’épuisement, mais qui a eu le temps de lui transmettre la fierté de son métier, et le courage de refuser l’inacceptable. À l’usine, Robert entre en contact avec l’Ancien, Fred, qui a connu son père et son grand-père, et lui raconte sa saga familiale. Histoire que Robert, plus tard, transmettra à son propre fils, devenu ingénieur, et dernier de la lignée à entrer à l’usine, qu’il sera d’ailleurs chargé de reconvertir. Robert (Francis Renaud) et Fred (Yann Colette) narrent l’aventure de « ceux qui ont le fer dans le sang » : l’aïeul, dont on a perdu la trace, l’arrière-grand-père Jules, qui paya sa rébellion de sa vie, au bagne, le grand-père Célestin, victime d’un accident du travail, et le père, Marcel. Ce que raconte le Cri, c’est cette double transmission du travail inscrit dans une région, dans un savoir-faire, dans un amour du métier, et celle du combat syndical.
Il a fallu beaucoup de temps, presque quatre ans, à Hervé Baslé pour construire ce projet. « J’ai dû beaucoup me documenter. Je connaissais moins le monde ouvrier que la mer, ou les milieux paysans, dont je suis issu. J’ai donc beaucoup lu sur l’histoire de la sidérurgie et du mouvement social, depuis le début de l’ère industrielle. J’ai aussi glané beaucoup d’éléments sur la métallurgie, comme des archives d’entreprise », raconte le réalisateur. Sur le tournage, face aux acteurs chevronnés, Hervé Baslé a fait appel à d’anciens métallos comme conseillers techniques. Il a aussi été très soucieux de leur avis sur la façon de parler des ouvriers de son film, quitte à corriger ses dialogues pour qu’ils sonnent plus juste à leurs oreilles. Chaque rôle, même le plus petit, est très soigneusement écrit pour éviter, justement, les fausses notes. Et chacun est incarné par de grands acteurs, aussi. « Je suis seulement un colporteur, relativise avec modestie Hervé Baslé. Ce qui compte, ce sont les mots du monde ouvrier. » Le film a été présenté à Longwy, devant d’anciens métallurgistes, « et j’ai été très content qu’ils perçoivent ces mots comme les leurs ».
Hervé Baslé, comme dans les deux précédents volets de sa trilogie, refuse toute nostalgie. Il se
réfère à un proverbe africain pour expliquer sa démarche : « Si tu ne sais plus où tu vas, retourne- toi et regardes d’où tu viens. »
Or, constate le réalisateur, en Lorraine, par exemple, les hauts-fourneaux, physiquement, ont été démantelés. Il est donc difficile de conserver la mémoire ouvrière, même si des communautés de communes tentent, aujourd’hui, de préserver ce qui peut encore l’être. « Je n’ai pas construit mon film sur la nostalgie. Comment peut-on être nostalgique d’une époque où les enfants travaillaient en usine à huit ans », s’interroge Hervé Baslé. Dans son film, même la solidarité quotidienne et syndicale est montrée dans son âpreté. Hervé Baslé montre aussi un univers, l’usine, où se côtoient des personnes de toutes origines : Italiens, Maghrébins, Polonais, Français, tous unis, comme le dit le personnage de Robert, par le sentiment d’appartenir au même corps, et de courir les mêmes risques. « Les plans de restructuration ont aussi fait voler une partie de cette entente en éclats. Il est plus facile de se mobiliser quand on travaille. »
D’ailleurs, ce qui frappe, avec ce Cri, c’est la brûlante actualité des thèmes abordés : le travail des enfants, les cadences infernales, la précarité de l’embauche, la prime au mérite. « Autant d’acquis sur lesquels nous sommes en train de revenir, s’alerte le réalisateur. Est-ce que vraiment les choses ont changé entre hier et aujourd’hui ? C’est toujours le même combat à reprendre à chaque génération. » Pour lui, « la simple disparition du mot "ouvrier" dans le vocabulaire est lourde de signification. Même si on n’appelle plus un ouvrier un ouvrier, il y a toujours des gens qui triment pour gagner leur croûte. Le SMIC reste le SMIC »... Il aimerait, lui, que la solidarité soit un mot plus à la mode.
Quand le film a été présenté à Longwy, Hervé Baslé a été touché par deux réactions : la première, par un homme qui se demandait si le propos allait intéresser d’autres personnes que les métallos. Alors que le film, comme l’histoire de ces ouvriers, recèle une part d’universalité. La seconde, parce qu’un gamin de douze ans s’est levé dans la salle pour dire qu’il ne regarderait plus son grand-père de la même façon. Si le film réussit ne serait-ce que ces deux paris, réunir et transmettre, il aura toute sa raison d’être.
Caroline Constant