
Et j'avais trouvé l'article de Libé complêtement délirant.
a écrit :Réagissant à chaud à un “Rebond” démagogique et poujadiste (Libération, Lundi 28 mai, puis Mercredi 30 mai) défendant Amélie Poulain et le bon peuple qui ne demandait rien contre une soi-disant cabale des élites absolument inexistante, je pensais allumer un simple pétard polémique dans le petit landernau cinéphile au sujet d'un film jusque là à peine discuté et critiqué (rendons quand même à François Gorin de Télérama, Vincent Ostria de L'Humanité ou Haddad et Martinez de Technikart ce qui leur revient). J'ai mesuré, mais après coup, que le pétard était une bombe, dont l'onde de choc s'est ressentie dans tout le pays et jusque chez nos voisins européens. Ce torrent de réactions allant du bon et sain débat d'idées jusqu'aux insultes ordurières et aux menaces physiques, m'a amené à préciser ici certains points, histoire de ramener ce débat sur le terrain de la raison.
A ce titre, je veux bien faire mon mea culpa sur la forme de mon “Rebond”. Si c'était à refaire, le ton serait moins virulent, et j'ôterais le dernier paragraphe : la référence à Le Pen était sans doute une grosse bourde, d'abord parce qu'elle a refait parler d'un homme politique oublié, puis parce que cette phrase a été le chiffon brun sur lequel beaucoup ont foncé, occultant plus ou moins le reste du texte. Mais quand au fond, je ne change pas une virgule de mon analyse et je maintiens mes considérations esthétique, éthique et idéologique sur le film.
J'aimerais aussi repréciser deux choses qui semblent avoir été mal lues (mais je me suis sans doute mal expliqué) : je n'ai jamais fait l'amalgame entre les intentions de Jean-Pierre Jeunet et les effets néfastes (à mon sens) produits par l'imagerie de son film. Je pense que Jeunet est comptable de sa virtuosité de clippeur, de son obsession pour le passé et pour la francité (et je maintiens que ces éléments combinés sont réactionnaires), mais je ne lui ai jamais fait, je ne lui fais pas, je ne lui ferai jamais le mauvais procès d'avoir consciemment et volontairement ourdi un film à droite de la droite.
Au sujet de l'aspect idéologique du film, je rappelle que Le Monde a publié un reportage (édition du 6 mai) se réjouissant de “l'amélioration” du quartier de Montmartre grâce au tournage d'Amélie : le reporter racontait comment une épicerie arabe “plutôt moche” était enjolivée par une enseigne d'épicerie fine, comment Chez Ali était devenu Maison Collignon, puis regrettait que le tournage n'ait pas poussé son œuvre de salubrité jusqu'aux sex-shops de la Place Blanche. Personne ne s'est ému de ce papier à mon sens beaucoup plus sulfureux que le mien, et qui atteste que je ne délire pas quand j'évoque le “nettoyage” esthético-ethnique du quartier dans le film.
Par ailleurs, beaucoup de lecteurs se sont sentis insultés sur le mode “je ne savais pas que j'étais d'extrême-droite”, ou “selon Kaganski, tous des idiots sauf moi”. J'avoue que j'ai du mal à comprendre cet argument, d'autant que j'avais veillé à ne pas faire l'amalgame entre les fans d'Amélie Poulain et ma vision du film. J'avais écrit : “je suis convaincu que les spectateurs du film l'ont aimé sincèrement, qu'ils soient de droite, de gauche, ou d'ailleurs”. N'était-ce pas assez clair ? J'ajoute que de nombreuses personnes de mon entourage ont aimé ce film, que nous en avons discuté avec passion, sans qu'ils se sentent “salis” par mes idées et mes propos. Etonnant, non ?
Maintenant, je souhaiterais répondre aux principaux arguments soulevés par les nombreux emails et lettres que j'ai reçus. Ainsi, je mépriserais le peuple, et les succès populaires. Désolé, je ne méprise pas le peuple (figurez-vous que j'en fais partie), mais je conteste la représentation que Jeunet en fait, ce qui n'est pas du tout la même chose. De Toni de Renoir à L'Enfance nue de Pialat, de Jour de fête de Tati à Rosetta des frères Dardenne, des Parapluies de Cherbourg de Demy à Ressources humaines de Cantet, je peux vous citer un grand nombre de films qui m'ont bouleversé parce qu'ils regardaient le peuple avec respect, honneur et vérité, sans paternalisme factice ni clichés réducteurs. Par ailleurs j'aimerais bien comprendre une bonne fois pour toutes qui méprise vraiment le peuple ? Le journaliste, seul avec ses idées, qui considère ses lecteurs comme des sujets adultes et pensants, des citoyens dotés d'un cerveau, aptes à polémiquer avec lui d'égal à égal ? Ou bien tous ceux qui surfent cyniquement sur le Succès et qui traitent leurs interlocuteurs, lecteurs, électeurs ou spectateurs, avant tout comme des clients à brosser systématiquement dans le sens du poil – pour mieux les tondre ? En revanche, quand Libé, sous prétexte d'une analyse à froid du succès d'Amélie, se range hypocritement du côté du film et publie un courrier des lecteurs de type Pravda sur le mode univoque “Vive Amélie, haro sur Serge Kaganski”, je suis en droit d'être très déçu par l'attitude de ce quotidien qui m'est cher et que je lis depuis vingt-cinq ans.
Entres diverses insultes de tous calibres, je me suis beaucoup fait traiter de stalinien, ou de fascisant. Je n'arrive toujours pas à saisir par quel tour de passe-passe absurde, exprimer son opinion, même de façon virulente, équivaudrait à vouloir l'imposer aux autres. Pour reprendre une célèbre formule de je ne sais plus quel auteur, je n'aime pas Amélie Poulain mais je serais prêt à me battre pour que Jean-Pierre Jeunet ait le droit de faire ses films. Mais je ne vois pas en quoi cela devrait empêcher tout débat, au contraire.
Bien au-delà du film de Jeunet et de ma petite personne, cette polémique aura soulevé un tas de questions sur lesquelles il faudra bien réfléchir. Faut-il confondre totalement un objet avec ceux qui l'ont fait ou apprécié ? Faut-il confondre dans un film son sujet et sa forme de représentation ? L'esthétique est-elle liée à l'idéologie ou à l'éthique ? Le travelling est-il toujours une affaire de morale ? Où en est-on philosophiquement avec le cinéma, la publicité, les technologies virtuelles ? Les citoyens sont-ils voués à un strict devenir - consommateurs de loisirs ? Les médias sont-ils fatalement destinés à un formatage lisse dédié au dieu Succès ? Pourquoi Amélie ou Loft story déchaînent-ils les passions alors que certaines parties du monde sont à feu et à sang ?
Dernier point : je suis très loin d'être seul à penser ce que j'ai écrit, contrairement à l'image donnée par les médias dans le traitement de cette polémique. J'ai reçu de nombreux témoignages de sympathie de confrères, journalistes, intellectuels, cinéastes. J'ai aussi reçu foultitude d'emails approbateurs de simples lecteurs ou spectateurs. Avant de leur donner la parole dans une sélection équilibrée et représentative de mon courrier, je tiens à remercier chaleureusement tous ceux qui ont eu le courage de me soutenir et de me féliciter, mais aussi tous ceux qui ont aimé Amélie Poulain et qui m'ont fait part de leur désaccord dans des textes argumentés et intelligents, parfois virulents, mais sans tomber dans l'invective stérile ou la bordée d'insultes.
Voilà à vous de juger.
a écrit :«Amélie» pas jolie.
par Serge KAGANSKI
Source: Libération - Jeudi 31 mai 2001
Il est temps de dire tout le mal que l'on pense de ce film à l'esthétisme figé et qui, surtout, présente une France rétrograde, ethniquement nettoyée, nauséabonde. Comme si l'air du temps et les nouvelles du monde ne nous donnaient pas assez de raisons de désespérer du genre humain, voilà qu'on nous bassine depuis plus d'un mois avec un film dont l'esthétique publicitaire rétro, la poésie frelatée et le propos insignifiant masquent (à grand-peine) une vision de Paris, de la France et du monde (sans même parler du cinéma) particulièrement réactionnaire et droitière, pour rester poli. Et comme s'il ne suffisait pas que le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain ait bénéficié d'une tornade d'éloges quasi unanimes, comme s'il ne suffisait pas qu'une grande partie de la France constitue un front national du cinéma se masturbant l'identité avec l'image sentimentalo-passéiste que lui renvoie Jean-Pierre Jeunet, voilà que dans un Rebonds publié dans Libération (1), David Martin-Castelnau et Guillaume Bigot prennent la défense du film, tout ça parce que la sainte Amélie a été légèrement égratignée par une infime partie de la presse. Et les deux Don Quichotte d'opérette de condamner le mépris des intellectuels, la condescendance des élites, bref, de voler au secours de ce pauvre et fragile petit film qui n'a qu'un tort (aux yeux des intellos) selon eux, «regarder le petit peuple avec amour, empathie et espérance».
Il est peut-être donc temps de dire noir sur blanc, argumentaire à l'appui, tout le mal qu'on est en droit de penser de ce film, un droit qui devient même un devoir puisque la quasi-totalité des médias français, tétanisée et rendue aveugle par «l'événement», semble bloquée en pleine génuflexion poulinesque.
Premier point, l'esthétique d'Amélie Poulain. On le sait depuis ses premiers courts-métrages et Delicatessen, Jean-Pierre Jeunet est plutôt un virtuose du visuel qu'un cinéaste. Pour lui, comme pour ses nombreux collègues en pyrotechnie visuelle, le cinéma n'est pas un outil de connaissance du monde, de découverte du réel et d'expérience du temps qui s'écoule, mais un simple moyen technique de recréer le monde à son idée. Pourquoi pas? Le hic, c'est que Jeunet est sous l'emprise d'une telle volonté de maîtrise et de contrôle absolu de ses images que ses films ne respirent plus, que son monde paraît être filmé sous cloche. Amélie Poulain fait ainsi penser à ces boules de neige enfermant les monuments de Paris que l'on vend dans les boutiques de souvenirs kitsch.
Ce parti pris ultraformaliste donne un cinéma étouffant, de la taxidermie animée, un musée Grévin qui bouge. Les personnages de Jeunet sont des marionnettes, toutes réductibles à un seul trait de caractère bien surligné, toutes résumables en une seule phrase-slogan: La Fille Introvertie qui Découvre l'Amour; la Buraliste Aérophagique; l'Epicier Irascible; la Bistrotière Pittoresque et Bavarde, l'Ecrivain Raté; le Vieux Solitaire et Retiré du Monde qui Recopie des Tableaux de Renoir (un autoportrait lucide de Jeunet?), etc., etc. Dès lors, les rapports que nouent entre elles ces figurines sans épaisseur ne peuvent pas être des rapports humains profonds et développés mais de simples relations fonctionnelles, des ressorts de cause à effet. Bref, Amélie Poulain est formellement vissé, factice de A à Z, et se résume à une succession assez ennuyeuse de scènes gadgets meublées par des silhouettes caricaturales.
Et alors, me dira-t-on? Jeunet a fait un film publicitaire de plus, les gens aiment, pourquoi bouder son plaisir, tout ça n'est pas bien grave, tout le cinéma français y trouve son compte, pas de quoi s'exciter? Certes. Sauf que si Jeunet a parfaitement le droit de faire ce type de film (à mon sens, de l'anticinéma), on a aussi le droit de préférer une tout autre idée du cinéma. Et puis surtout, second point, sous l'épaisse croûte «poétique» d'Amélie Poulain, derrière son aspect rétro Poulbot inoffensif se cache une vision de Paris et du monde (pour ne pas dire une idéologie) particulièrement nauséabonde, qui semble ne gêner personne et passer comme un mail dans un Mac. Si on regarde le film un peu attentivement, qu'y voit-on? Un Paris des années 30, 50, sorti d'un film de Carné/Prévert. Amélie Poulain braille à tout bout de champ/contrechamp: c'était mieux avant! Et alors qu'une oeuvre d'art se doit d'affronter le présent voire le proche futur, Jeunet dirige son regard en arrière toute.
On nous explique que le réalisateur regarde le peuple avec empathie. A notre sens, il regarde surtout le peuple avec sentimentalisme et nostalgie réductrice, il met en scène un fantasme démagogique et superficiel de population prolétaire, il filme un populo de carte postale qui n'a jamais existé sauf dans l'imagerie et l'inconscient collectif forgés par messieurs Carné, Prévert et Doisneau. Mais les trois artistes précités avaient l'avantage de produire leurs oeuvres dans les années 30 à 50, leurs créations étaient contemporaines de leur époque. Le peuple (ou plutôt une imagerie clichetoneuse et vieillotte du peuple), Jeunet le regarde sans doute avec empathie, mais sans jamais poser l'ombre d'un début de question sur les raisons qui provoquent son aliénation, sans jamais effleurer les conditions de son éventuelle émancipation. Non, pas de questionnement trop complexe ici, Jeunet se contente de filmer le peuple à ras de cliché, parce que c'est joli, rigolo, sympa et pittoresque. Avant d'être un film populaire, Amélie Poulain est surtout un grand film populiste. C'est tellement vrai et frappé du sceau de l'évidence que ça n'a pas échappé à nos hommes politiques de tous bords, surtout aux deux futurs candidats présidentiels qui n'ont pas loupé l'occasion de s'accrocher aux branches du succès du film.
Non contente d'être réfugiée dans le passé et dans le fantasme populo afférent, Amélie Poulain est recroquevillée dans le cocon de la butte Montmartre. Aux clôtures formelles temporelle et sociale s'ajoute une clôture spatiale. Amélie Poulain, c'est Paris village, c'est le repli dans la tribu du pâté de maison. Nul besoin d'être agrégé de sociologie et d'histoire pour savoir que l'idéologie du village est profondément réactionnaire, qu'elle implique plus ou moins consciemment la peur de la modernité, du changement, des mouvements du monde et du brassage de populations. La vision de Jeunet sur ce dernier point précis constitue l'aspect le plus inquiétant de son film. J'habite dans le quartier du canal Saint-Martin qui est représenté dans le film. Que vois-je tous les jours en sortant dans la rue? Des Parisiens, certains sans doute français «de souche», d'autres d'origine antillaise, maghrébine, africaine, indienne, kurde, turque, juive, russe, asiatique... Je vois des couples hétéros, mais aussi pédés, lesbiens, queer... Que vois-je dans le Montmartre de Jeunet? Des Français aux patronymes qui fleurent bon le terroir. Je vois aussi un beur désarabisé qui s'appelle Lucien. Mais où sont les Antillais, les Maghrébins, les Turcs, les Chinois, les Pakis, etc? Où sont ceux qui vivent une sexualité différente? Où sont les Parisiens qui peuplent la capitale en 1997 (année où est censé se passer le film)? Ah, pardon, on voit parfois de «l'autre» dans le film. D'abord, une chanteuse de blues, dans un écran de télévision en noir et blanc. Puis un vieux Noir unijambiste, toujours dans un écran de télé en noir et blanc. Enfin, un moudjahid afghan dont la voix off nous dit qu'«il mange bizarrement et se coiffe d'un drôle de cache-pot». Les Afghans (qui sont majoritairement victimes des taliban) apprécieront.
Tout cela signifie quoi? Que Jeunet regarde le peuple avec sympathie, certes, mais exclusivement le peuple montmarto-rétro-franco-franchouillard. Que le Paris de Jeunet est soigneusement «nettoyé» de toute sa polysémie ethnique, sociale, sexuelle et culturelle. Que l'Autre est aimable et présentable quand il est lointain. On me rétorquera: et alors? Jeunet ne prétend pas représenter exactement la population parisienne, son film est une fable stylisée, pas un documentaire. Oui, d'accord, Jeunet a le droit de styliser Paris comme il l'entend; et on a aussi le droit de trouver sa stylisation contestable, repliée sur une idée vieillotte et étriquée de la France et totalement déconnectée de toute réalité contemporaine.
Je ne connais pas Jean-Pierre Jeunet, je ne sais pas quelles sont ses idées profondes. Par ailleurs, je suis convaincu que les millions de gens qui ont apprécié ce film l'ont aimé sincèrement, qu'ils soient de droite, de gauche ou d'ailleurs, mais je pense néanmoins que ce succès, comme tout succès, ne saurait suffire à faire d'Amélie Poulain une oeuvre admirable ou incontestable. Car je suis en revanche tenaillé par une hypothèse assez dérangeante mais qui ne me paraît pas farfelue au vu des analyses qui précèdent: si le démagogue de La Trinité-sur-Mer cherchait un clip pour illustrer ses discours, promouvoir sa vision du peuple et son idée de la France, il me semble qu'Amélie Poulain serait le candidat idéal.
Serge Kaganski est rédacteur en chef adjoint des «Inrockuptibles».
(Zelda @ mercredi 26 octobre 2005 à 00:56 a écrit : Mais moi, j'aime pas les films de Jeunet. Ni Amélie Poulain, ni Un long dimanche de fiançailles.
Ca me touche pas. Les couleurs sepia,
Je te conseille Alien 4 alors, c'est pas sepia du tout. :hinhin:
Qu'il y en ait que ça ne touche pas, qui reste de marbre devant ce film je comprends et généralement les avis sont bien tranchés, on aime ou on n'aime pas.
Par contre le texte de Kaganski même en le relisant bien est toujours hallucinant et malhonnète à mes yeux."Le capital est une force internationale. Il faut, pour la vaincre, l'union internationale, la fraternité internationale des ouvriers." Lénine
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