Anatoli Gygouline est né à Voronej (en 1930), et il a passé son enfance à Podgornoyé. Tout ça, c'est dans le sud-ouest de la Russie actuelle, pas bien loin de l'Ukraine. Dans le premier chapitre du livre, titré "Les origines de mon destin", on trouve une remarque sur les langues, pertinente pour une réflexion sur le conflit actuel:
Podgornoyé... Des prés de fleurs jaunes, et au loin, d'imposantes carrières de craie. Des chaumières blanches au toit de Chaume et de jonc. Une bourgade quelconque, en somme, typique des villages russes méridionaux. A cet endroit de la province, la Grande-Russie rejoint la Petite-Russie et le russe et l'ukrainien y sont parlés au même titre. J'ai baigné dans ces deux langues jusqu'à l'âge de sept ans, et il me paraissait tout naturel de parler d'une part comme maman, d'autre part comme ma nourrice ou mes petits voisins de familles khokhol *. Mais il y avait aussi des familles russes, des Popov. Tout ce monde vivait en bonne intelligence. Lorsque, en 1957, nous sommes allés habiter à Voronej, je m'étonnai de voir que tous parlaient la langue de maman.
Bien des années plus tard, lorsque je me suis retrouvé dans les camps de Sibérie et de la Kolyma en même temps que de nombreux Ukrainiens partisans de Bandera**, il m`a été d'un grand secours de pouvoir m'exprimer correctement en ukrainien.
* Mot péjoratif pour désigner les Ukrainiens. (Nd. T.)
** Stepan Bandera : chef historique du mouvement nationaliste ukrainien occidental. Il collabora avec l'Allemagne nazie. Au début des années cinquante, il organisa la lutte armée contre le pouvoir soviétique. Il fut tué en 1959. (Nd. T.)