Bon, je n’ai pas encore vu
Mémoires de nos Pères et je n’en parlerai ici que de ce que j’en sais... mais pour revenir sur Eastwood républicain et réactionnaire, ce n’est pas si simple.
En regardant de plus près sa filmographie, Eastwood n’est pas spécialiste de la thèse de la réussite individuelle ou alors cette dernière s’avère bien triste, tragique et dérisoire. Sa carrière s’est évidemment bâtie sur le mythe de « l’homme sans nom » mais ses héros n’ont jamais été des types qui « réussissent », des « gagneurs » ou des « puissants » qui ont le système à leurs pieds.
Au-delà de l’immense cinéaste qu’il est devenu (aucune objectivité à ce que je dis ici, je le précise, ha ha), Clint Eastwood a toujours aimé jouer avec son image, la tordre avec un plaisir masochiste évident (combien de fois se fait-il humilier ou tabasser dans ses films ?). Evidemment, la controverse d’un
Inspecteur Harry taxé (trop rapidement) de fasciste n’a rien arrangé à l’affaire. Mais à la suite de ce film, il a enchaîné avec
Les Proies et surtout mis en scène
Breezy, premier essai dans la veine de
Sur la Route de Madison et antithèse totale de « L’inspecteur »...
D'ailleurs, les films qu’il a réalisé parlent d’eux-même. Je ne me souviens pas d’un personnage dont la réussite / victoire ne soit exempte d’un arrière goût :
Million Dollar Baby est une vision du rêve américain assez atypique : tendance Rocky, oui, mais si la question qui se pose est évidemment de savoir si ce rêve en vaut encore la peine, la réponse est ambigüe... l’héroine semble le croire, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas de l’entraineur qui disparaît dans la nuit (et entraîne son cortège d’échecs avec lui). Prenons aussi
Impitoyable où les dernières lignes nous informent que le tueur (Will Munny - Clint) aurait fini riche commerçant à Chicago... après le carnage du règlement de compte final sur fond de drapeaux américain, et toute la violence inutile que le film dénonce n’est-ce pas ironique ? D'autres exemples :
Josey Wales Hors la loi qui distille au fond le fait que la quête vengeresse du héros n’aboutie à rien pour lui, sinon à créer une groupe et finalement que le plus important reste de tisser des liens entre celui-ci et les indiens voisins.
Pale Rider où la vengeance du héros permet aux mineurs de lutter contre l’exploitant.
L’épreuve de force où le héros est dominé par sa prisonnière et en vient à devoir survivre et lutter contre sa propre hiérarchie...
Les pleins pouvoirs où le voleurs lutte contre un président meurtrier...
Jugé coupable qui n’est pas vraiment anti-peine de mort (moins que
La dernière marche certes) mais qui met le doigt dessus...
Bird ou
Honktonk Man sont autant d’exemples de la réussite tirant vers la déchéance et/ou conduisant à la mort. Et que dire de
Bronco Billy qui dissèque une joyeuse bande d’itinérants du cirque, ratés mais sympathiques (on peut lui rapprocher le dyptique côté acteur de Clint de
Doux Dur et Dingue et
Ca va Cogner) ?
En fait, le cinéma de Clint est souvent passé pour réac du fait de ses plus gros succès qui n’étaient pas là pour véhiculer des « idées » mais clairement pour lui permettre de maintenir un succès lui préservant assez d’indépendance pour mettre en scène ensuite des projets qui lui tenaient plus à coeur : par exemple quand il enchaîne
Honkytonk Man (un de ses films les moins connus, pourtant l’un des plus émouvants) avec
Firefox (facile film d’espionnage anti Russe, à la mode) puis
Pale Rider. Seul le second aura un succès énorme au box office, le premier étant un bide sans appel (Clint en chanteur country tuberculeux ça passait mal) et le dernier un succès d’estime (un western non conventionnel). Pareil avec
La Relève ou
Créance de Sang qui lui permettent de faire
Impitoyable,
Minuit dans le jardin du bien et du mal où sa vision de la bourgeoisie sudiste est assez joyeuse.
Mémoires de nos pères ne semble pas faire exception à la règle. Pourtant, et a priori, ce n'est pas un film ouvertement anti-militariste (tout comme l’ironie globale du
Maître de Guerre). Son propos paraît vouloir démonter la mythologie de l’héroisme (et par là la réussite individuelle en prend un coup) et il rejoindrais alors
L’homme qui tua Liberty Valance où il était dit « entre la légende et la vérité, imprimez la légende » (thème déjà abordé dans
Impitoyable). On a dit Eastwood vrai républicain (il me semble qu’il a été élu maire de Carmel sans étiquette officielle, à vérifier) et pro guerre en Irak... pas si sûr pour ce dernier point... n’a-t-il pas déclaré
"Trois générations de vétérans se sont succédé dans ce pays, sans que l'on retienne la moindre leçon. Depuis toujours, des types se font tuer à cause des hommes politiques. C'est encore le cas aujourd'hui. Il faut comprendre que mon pays n'a jamais été aussi divisé qu'aujourd'hui. Je fais partie de ceux qui pensent que l'intervention en Irak n'était pas une priorité. L'Irak aussi a commencé comme une opération de police pour se débarrasser de Saddam. Mais une fois en Irak, que faites-vous ? Le cauchemar commence, même si, sur le terrain, vous avez gagné la guerre. C'est un jeu à somme nulle. Les hommes politiques sont davantage concernés par l'exercice et la conservation de leur petit pouvoir que par le sort du type en première ligne. C'était vrai hier. Cela ne l'a jamais été autant qu'aujourd'hui."Je crois surtout que le cinéma de Eastwood ressemble à son film
Chasseur Blanc, Coeur Noir (sur un épisode de la vie de John Huston), jouant sur l’ambiguité et sa propre image (c’est l’un des derniers classiques du cinéma américain). Certes, ce n’est pas Ken Loach, mais comme il était spécifié dans le monde :
« Le moment préféré d'Eastwood dans Mémoires de nos pères est celui où Ira Hayes, devenu l'ombre du héros d'Iwo Jima, travaille comme saisonnier dans une plantation, quelque part dans son Arizona natal. La force de cette séquence nous rappelle une des vertus cardinales du cinéaste. Il est aujourd'hui l'un des rares réalisateurs américains capables de parler au grand public, aux "petits", sans condescendance. Et les "petits" le savent. Eastwood est si fier de cette scène - et il peut l'être - qu'il la détaille plan par plan. Une famille américaine "modèle" - un couple, deux enfants - passe devant le champ et reconnaît le héros d'Iwo Jima. Le père sort précipitamment de la voiture, fait sortir les enfants, tend une pièce à un Ira Hayes hagard qui, en retour, sort un petit drapeau américain chiffonné et se laisse prendre en photo. "Là, on comprend qu'il a perdu son âme ».Finalement la vision du monde de Clint Eastwood ne me semble pas si emprunte de gloire ou de réussite. Elle flirte même avec l’ironie et une certaine dose de désepoir (voir
Un Monde Parfait). Attention, je ne dis pas qu'il n'est pas républicain ou réac, simplement ses films (son oeuvre) est l'une des plus passionnantes par sa durée (et son succès continu) et sa volonté à visiter les ombres. Ses trois derniers films (
Mystic River avec Dave,
Million Dollar Baby avec l'entraîneur,
Mémoires de nos Pères) ne sont-ils pas incarnés par des personnages quasi fantômatiques ? De la trempe de l'homme sans nom justement... des films de plus en plus noir à mon avis (d'ailleurs l'éclairage de ses films se fait de plus en plus sombre).
Maintenant je suis très impatient de voir ce film et le second volet (
Lettres d'Iwo Jima) qui racontera l’histoire de cette bataille uniquement du côté japonais. Cette simple idée résume bien la vision artistique d’Eastwood jamais si simpliste qu’il en a l’air. Je pense qu’en assemblant ces deux projets, nous aurons une idée plus précise de son message.
Bon, j’espère que Jacquemart n’est pas trop déçu par la longueur démesurée de mon post ?
