"Mémoire de nos pères" + "Lettres d'Iwo J

Message par pelon » 07 Nov 2006, 23:53

(Jacquemart @ mardi 7 novembre 2006 à 23:41 a écrit :
a écrit :Montrer le mythe de la débrouille individuelle sous sa forme la plus habituelle, l'échec, ce n'est pas sortir du mensonge ?

Mais dans million dollar baby, le destin de l'héroine n'est pas présenté comme un échec ! Elle le revendique comme une réussite, certes tragique, mais une réussite tout de même.
Oui, c'est très américain et il y a beaucoup de films comme cela. Ce qui reste positif et porteur d'avenir, c'est la combativité, la volonté de se sortir des pires situations. En soi, ce sont des valeurs humaines que n'ont pas les lumpens :D (je préfère l'héroïne de "One million baby" à sa famille). Reste plus qu'à mettre cette énergie au service des autres, pas de sa petite personne.
pelon
 
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Message par Gaby » 07 Nov 2006, 23:54

(Jacquemart @ mardi 7 novembre 2006 à 23:41 a écrit :
a écrit :Montrer le mythe de la débrouille individuelle sous sa forme la plus habituelle, l'échec, ce n'est pas sortir du mensonge ?

Mais dans million dollar baby, le destin de l'héroine n'est pas présenté comme un échec ! Elle le revendique comme une réussite, certes tragique, mais une réussite tout de même.

OK je vois, j'avoue que je l'ai pas vu celui-là, j'ai juste pas mal lu à son sujet (je fais mon Vérié). :emb: Je me transpose un peu les qualités qu'il y a dans d'autres oeuvres qui traitent du sujet façon dramatique (death of a salesman par exemple, qui est la première oeuvre à laquelle je pense au sujet du "rêve américain", mais là c'est autrement plus clair j'imagine). C'est vraiment le message du film dans la bouche de l'héroine, ou bien les faits la contredisent ? La lecture est peut-être suffisament lâche.
Gaby
 
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Message par Kane » 09 Nov 2006, 13:40

Bon, je n’ai pas encore vu Mémoires de nos Pères et je n’en parlerai ici que de ce que j’en sais... mais pour revenir sur Eastwood républicain et réactionnaire, ce n’est pas si simple.

En regardant de plus près sa filmographie, Eastwood n’est pas spécialiste de la thèse de la réussite individuelle ou alors cette dernière s’avère bien triste, tragique et dérisoire. Sa carrière s’est évidemment bâtie sur le mythe de « l’homme sans nom » mais ses héros n’ont jamais été des types qui « réussissent », des « gagneurs » ou des « puissants » qui ont le système à leurs pieds.

Au-delà de l’immense cinéaste qu’il est devenu (aucune objectivité à ce que je dis ici, je le précise, ha ha), Clint Eastwood a toujours aimé jouer avec son image, la tordre avec un plaisir masochiste évident (combien de fois se fait-il humilier ou tabasser dans ses films ?). Evidemment, la controverse d’un Inspecteur Harry taxé (trop rapidement) de fasciste n’a rien arrangé à l’affaire. Mais à la suite de ce film, il a enchaîné avec Les Proies et surtout mis en scène Breezy, premier essai dans la veine de Sur la Route de Madison et antithèse totale de « L’inspecteur »...

D'ailleurs, les films qu’il a réalisé parlent d’eux-même. Je ne me souviens pas d’un personnage dont la réussite / victoire ne soit exempte d’un arrière goût : Million Dollar Baby est une vision du rêve américain assez atypique : tendance Rocky, oui, mais si la question qui se pose est évidemment de savoir si ce rêve en vaut encore la peine, la réponse est ambigüe... l’héroine semble le croire, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas de l’entraineur qui disparaît dans la nuit (et entraîne son cortège d’échecs avec lui). Prenons aussi Impitoyable où les dernières lignes nous informent que le tueur (Will Munny - Clint) aurait fini riche commerçant à Chicago... après le carnage du règlement de compte final sur fond de drapeaux américain, et toute la violence inutile que le film dénonce n’est-ce pas ironique ? D'autres exemples : Josey Wales Hors la loi qui distille au fond le fait que la quête vengeresse du héros n’aboutie à rien pour lui, sinon à créer une groupe et finalement que le plus important reste de tisser des liens entre celui-ci et les indiens voisins. Pale Rider où la vengeance du héros permet aux mineurs de lutter contre l’exploitant. L’épreuve de force où le héros est dominé par sa prisonnière et en vient à devoir survivre et lutter contre sa propre hiérarchie... Les pleins pouvoirs où le voleurs lutte contre un président meurtrier... Jugé coupable qui n’est pas vraiment anti-peine de mort (moins que La dernière marche certes) mais qui met le doigt dessus... Bird ou Honktonk Man sont autant d’exemples de la réussite tirant vers la déchéance et/ou conduisant à la mort. Et que dire de Bronco Billy qui dissèque une joyeuse bande d’itinérants du cirque, ratés mais sympathiques (on peut lui rapprocher le dyptique côté acteur de Clint de Doux Dur et Dingue et Ca va Cogner) ?

En fait, le cinéma de Clint est souvent passé pour réac du fait de ses plus gros succès qui n’étaient pas là pour véhiculer des « idées » mais clairement pour lui permettre de maintenir un succès lui préservant assez d’indépendance pour mettre en scène ensuite des projets qui lui tenaient plus à coeur : par exemple quand il enchaîne Honkytonk Man (un de ses films les moins connus, pourtant l’un des plus émouvants) avec Firefox (facile film d’espionnage anti Russe, à la mode) puis Pale Rider. Seul le second aura un succès énorme au box office, le premier étant un bide sans appel (Clint en chanteur country tuberculeux ça passait mal) et le dernier un succès d’estime (un western non conventionnel). Pareil avec La Relève ou Créance de Sang qui lui permettent de faire Impitoyable, Minuit dans le jardin du bien et du mal où sa vision de la bourgeoisie sudiste est assez joyeuse.

Mémoires de nos pères ne semble pas faire exception à la règle. Pourtant, et a priori, ce n'est pas un film ouvertement anti-militariste (tout comme l’ironie globale du Maître de Guerre). Son propos paraît vouloir démonter la mythologie de l’héroisme (et par là la réussite individuelle en prend un coup) et il rejoindrais alors L’homme qui tua Liberty Valance où il était dit « entre la légende et la vérité, imprimez la légende » (thème déjà abordé dans Impitoyable). On a dit Eastwood vrai républicain (il me semble qu’il a été élu maire de Carmel sans étiquette officielle, à vérifier) et pro guerre en Irak... pas si sûr pour ce dernier point... n’a-t-il pas déclaré "Trois générations de vétérans se sont succédé dans ce pays, sans que l'on retienne la moindre leçon. Depuis toujours, des types se font tuer à cause des hommes politiques. C'est encore le cas aujourd'hui. Il faut comprendre que mon pays n'a jamais été aussi divisé qu'aujourd'hui. Je fais partie de ceux qui pensent que l'intervention en Irak n'était pas une priorité. L'Irak aussi a commencé comme une opération de police pour se débarrasser de Saddam. Mais une fois en Irak, que faites-vous ? Le cauchemar commence, même si, sur le terrain, vous avez gagné la guerre. C'est un jeu à somme nulle. Les hommes politiques sont davantage concernés par l'exercice et la conservation de leur petit pouvoir que par le sort du type en première ligne. C'était vrai hier. Cela ne l'a jamais été autant qu'aujourd'hui."

Je crois surtout que le cinéma de Eastwood ressemble à son film Chasseur Blanc, Coeur Noir (sur un épisode de la vie de John Huston), jouant sur l’ambiguité et sa propre image (c’est l’un des derniers classiques du cinéma américain). Certes, ce n’est pas Ken Loach, mais comme il était spécifié dans le monde : « Le moment préféré d'Eastwood dans Mémoires de nos pères est celui où Ira Hayes, devenu l'ombre du héros d'Iwo Jima, travaille comme saisonnier dans une plantation, quelque part dans son Arizona natal. La force de cette séquence nous rappelle une des vertus cardinales du cinéaste. Il est aujourd'hui l'un des rares réalisateurs américains capables de parler au grand public, aux "petits", sans condescendance. Et les "petits" le savent. Eastwood est si fier de cette scène - et il peut l'être - qu'il la détaille plan par plan. Une famille américaine "modèle" - un couple, deux enfants - passe devant le champ et reconnaît le héros d'Iwo Jima. Le père sort précipitamment de la voiture, fait sortir les enfants, tend une pièce à un Ira Hayes hagard qui, en retour, sort un petit drapeau américain chiffonné et se laisse prendre en photo. "Là, on comprend qu'il a perdu son âme ».

Finalement la vision du monde de Clint Eastwood ne me semble pas si emprunte de gloire ou de réussite. Elle flirte même avec l’ironie et une certaine dose de désepoir (voir Un Monde Parfait). Attention, je ne dis pas qu'il n'est pas républicain ou réac, simplement ses films (son oeuvre) est l'une des plus passionnantes par sa durée (et son succès continu) et sa volonté à visiter les ombres. Ses trois derniers films (Mystic River avec Dave, Million Dollar Baby avec l'entraîneur, Mémoires de nos Pères) ne sont-ils pas incarnés par des personnages quasi fantômatiques ? De la trempe de l'homme sans nom justement... des films de plus en plus noir à mon avis (d'ailleurs l'éclairage de ses films se fait de plus en plus sombre).

Maintenant je suis très impatient de voir ce film et le second volet (Lettres d'Iwo Jima) qui racontera l’histoire de cette bataille uniquement du côté japonais. Cette simple idée résume bien la vision artistique d’Eastwood jamais si simpliste qu’il en a l’air. Je pense qu’en assemblant ces deux projets, nous aurons une idée plus précise de son message.

Bon, j’espère que Jacquemart n’est pas trop déçu par la longueur démesurée de mon post ?

:-P
Kane
 
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Message par ianovka » 09 Nov 2006, 14:44

=D>
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Message par Jacquemart » 09 Nov 2006, 18:43

a écrit :Bon, j’espère que Jacquemart n’est pas trop déçu par la longueur démesurée de mon post ?

On n'est jamais déçu quand on s'y attend... :hinhin:
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Message par zejarda » 09 Nov 2006, 21:09

(Zelda @ jeudi 9 novembre 2006 à 15:54 a écrit : Ah ben me v'la ben embêtée...

Moi aussi je suis amoureuse de Clint, obligée !

C'est toi Zelda sur la photo?
zejarda
 
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Message par zeanticpe » 09 Nov 2006, 21:31

(zejarda @ jeudi 9 novembre 2006 à 21:09 a écrit :
(Zelda @ jeudi 9 novembre 2006 à 15:54 a écrit : Ah ben me v'la ben embêtée...

Moi aussi je suis amoureuse de Clint, obligée !

C'est toi Zelda sur la photo?
:D
non, c est pas Zelda. C est la route de Madison. et c 'est pour moi le plus beau film de Clint Eastwood, mieux que One Dollar Baby.
Sinon, je partage l'avis de Jacquemart sur Clint Eastwood.
Mais im resste que sans taxer l'inspecteur Harry, j'ai du mal à accepter de tels films. Je ne parle pas de fascisme mais de cette notion de vengeance de justicier très malsaine. C'est mon point de desaccord avec Kane ou alors il faut qu'on m'explique un peu plus.
zeanticpe
 
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Message par roudoudou » 09 Nov 2006, 21:51

Salut les copains :-P ;)


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Message par Kane » 11 Nov 2006, 14:14

a écrit :vengeance de justicier très malsaine


- Les seuls films "sérieux" où Eastwood se venge, il n'en fait aucunement l'apologie (Impitoyable, Josey Wales ou même L'homme des hautes plaines pour ne citer que ceux-là). N'oublions pas que le thème de la vengeance est l'un des plus cinégénique et notamment celui "d'action"... après c'est la manière de le traiter qui peut porter à discussion et je pense que Eastwood a sû traiter ce thème de plus en plus subtilement.

- Les autres (Harry, Pour une poignée de Dollars etc...) sont probablement trop pris au sérieux. Comme le dit Eastwood, le but du film (Harry) n'a jamais été autre chose que de faire un polar efficace et divertissant. Il n'y avait aucun message et surtout pas de volonté de faire l'apologie de l'auto-justice ou ce genre de choses (d'ailleurs Harry n'est pas spécialement positif dans le film, n'oublions pas que Eastwood n'était pas à l'époque la grande vedette qu'il est aujourd'hui et qu'il n'inspirait pas la sympathie condescendante d'un John Wayne ou d'un Bronson par exemple). Harry n'est pa si différent de Murtaugh de L'arme fatale et de bon nombre de "flics" transgressifs. Simplement, il a essuyé les plâtres pour les autres.

8)

Maintenant, si l'on regarde Mystic River, on aura une idée plus précise de ce que peut donner la vengeance aveugle pour Eastwood.

Sinon j'ai enfin vu Mémoires de nos Pères et c'est un excellent film. A tous points de vue. Mon opinion ne suprendra pas (évidemment) mais en restant le plus objectif possible il faut reconnaître sa maîtrise de la mise en scène, jamais démonstrative (hormis, peut-être, le coulis de fraise sur la meringue... comprendront ceux qui l'auront vu), la façon qu'il a de cadrer ce qu'il faut, avec une économie de moyens si rare aujourd'hui. Et sa direction d'acteur reste toujours impeccable. A ce titre, Adam Beach (Ira Hayes) est exemplaire. Par ailleurs, je confirme que ce film n'a pas de vocation anti-militariste (la nécessité de cette guerre n'est pas traitée et ce n'est pas le sujet) mais il montre à quel point les généraux et les dirigeants sont corrompus et méprisants (le général d'un racisme paternaliste saisissant) et notamment sur le personnage de Hayes, d'origine indienne. Ce n'est pas un hasard si ce dernier est celui qui intéresse le plus Clint Eastwood, celui qu'il peint le mieux, avec le plus d'affection. Et la "fameuse" scène ou la petite famille vient poser pour une photo avec le "héros" pour quelques dollars est absolument bouleversante : pour tout ce qu'elle dit évidemment mais aussi par la simplicité avec laquelle Clint le filme. Un grand moment.

Globalement ce n'est pas le meilleur film de Clint, mais son montage déconstruit (Eastwood n'est pas un réalisateur si classique qu'on veut bien le croire) et sa maîtrise à tous les niveaux : la photographie (désaturée et quasi-monochrome de la bataille, débordant de couleurs pour la tournée de propagande) est une splendeur et sa réalisation (aux styles différents selon les segments temporels) en font assurément un grand film... Mémoires de nos Pères nous parle finalement du présent, s'avère très actuel et désespéré (comme tous ses derniers films)... il faut désormais attendre le second volet (côté japonais) et j'avoue être très impatient de voir comment Clint s'est adapté à une culture si éloignée de la sienne...

:roll:
Kane
 
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