Chat du Monde sur la Russie

Message par faupatronim » 04 Déc 2003, 13:59

a écrit :
Débat en direct avec :
Marie Mendras -


Poids de la bureaucratie, pressions des oligarques, ominiprésence du président. A la veille des élections législatives du 7 décembre, qui contrôle la Russie ?

Marie Mendras, chargée de recherche au CNRS et au CERI (Centre d'études et de recherches internationales), enseigne la politique russe et les questions de politique étrangère à l’Institut d’études politiques de Paris. Elle est l'auteur deComment fonctionne la Russie ? Le politique, le bureaucrate et l'oligarque (Autrement, coll. 'CERI', 2003).



Le bouquin est très intérressant et va dans le sens de dire que la Russie n'est pas un vrai pays capitaliste. C'est à lire. Peut être que la discussion sera pas mal, pour ceux qui ont le temps...
faupatronim
 
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Message par Nadia » 04 Déc 2003, 17:11

T'aurais pas le lien internet, par hazar ?
Si oui, merci. :wub:
Nadia
 
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Message par faupatronim » 05 Déc 2003, 11:20

(Nadia @ jeudi 4 décembre 2003 à 17:11 a écrit : T'aurais pas le lien internet, par hazar ?
Si oui, merci. :wub:
Voici le compte rendu de ce chat :

(Le Monde @ 4 décembre 2003 a écrit :
Chat
Qui dirige la Russie ?


L'intégralité du débat avec Marie Mendras, chargée de recherche au CNRS et au CERI (Centre d'études et de recherches internationales), jeudi 4 décembre.

Tempo : Pensez-vous que la démocratie est un système adapté pour un pays comme la Russie ?

Marie Mendras : La Russie n'est pas aujourd'hui une démocratie. L'élite politique ne fait pas de la construction d'un régime démocratique sa priorité.  Les Russes, en général, disent qu'ils ne vivent pas en démocratie. Ce qui est acquis, en Russie, ce sont les libertés et l'ouverture vers le reste du monde.

Tempo : Justement, la démocratie peut-elle être un horizon raisonnable, ou ne peut-on pas accepter d'autres formes de gouvernement correspondant à ses caractéristiques ?

Marie Mendras : Tout dépend de la définition que l'on donne à la démocratie. La Russie ne redeviendra jamais un pays fermé et totalitaire. Cependant, je n'imagine pas, dans les 10 à 20 ans qui viennent, la société russe devenir pleinement démocratique au sens d'un rapport démocratique entre gouvernants et gouvernés .

Laurent : Je ne comprends pas l'usage du terme siloviki (les gens du village) ? Pourquoi ne pas avoir gardé "tchékistes" ?

Marie Mendras : Siloviki ne veut pas dire les gens du village. Cela vient du mot silo, qui veut dire "force". Siloviki est un terme pour englober toutes les structures de force. C'est-à-dire les services de renseignement (FSB), l'armée, les forces du ministère de l'intérieur, la police.

Geoff : Pour certains, la Russie est plus une "autocratie" qu'une démocratie. Qu'en pensez-vous ?

Marie Mendras : En effet, ces derniers mois, Poutine s'appuie plus sur les services de renseignement et le ministère de l'intérieur. Je pense que la Russie d'aujourd'hui n'est ni autoritaire ni démocratique. Et elle restera un système d'entre-deux pendant encore des années. Le président Poutine n'a pas les moyens d'exercer un pouvoir de nature autoritaire. Il ne faut pas oublier que la Russie est désormais un pays de propriété privée, d'échange libre, et où les élites provinciales ont acquis une assez grande autonomie.

Rick : Quelle valeur donnez-vous aux élections qui sont en cours ?

Marie Mendras : Les élections législatives de dimanche ne sont pas très intéressantes en ce qui concerne les résultats du scrutin. Il n'y a pas de suspense. Poutine aura face à lui une nouvelle chambre basse dont il obtiendra aisément des votes majoritaires. En revanche, le contexte de la campagne électorale,  avec tous les marchandages de ces dernières semaines, offre un éclairage très intéressant sur les rapports de force aujourd'hui en Russie.

Natalia : Comment pourrait-on expliquer l'absence de réaction de la part de la population russe aux nombreux abus du système Poutine ?

Marie Mendras : Les Russes sont lucides sur la nature des hommes qui les gouvernent. Ils ne sont ni naïfs ni idéalistes, ils sont patients. Leurs priorités sont d'abord les conditions matérielles de la vie quotidienne, qui restent difficiles pour beaucoup d'entre eux. C'est ce qui peut expliquer pourquoi des atteintes à la liberté des médias, ou la dépendance des pouvoirs judiciaires à l'égard du Kremlin, ne les poussent pas à se rebeller contre le régime en place.

Katioucha : A votre avis, qui contrôle l'armée ? Le président Poutine, ou alors le lobby des hauts gradés et de l'état-major ? D'autre part, l'armée est-elle satisfaite de la politique poutinienne en matière de défense ?

Marie Mendras : L'armée russe n'est pas monolithique. Elle a considérablement souffert de la chute de l'URSS et du régime communiste. L'armée de terre est celle qui a le plus subi les effets du déclin de puissance et des restrictions budgétaires. On ne peut pas dire que le président dirige les différentes armées. Il doit négocier des relations difficiles avec le haut commandement militaire. Dans l'ensemble, l'armée se sent mieux traitée avec Poutine qu'avec Boris Eltsine. Mais elle connaît toujours de grandes difficultés. Elle mène une guerre désastreuse en Tchétchénie, qui ne lui permet en rien de rehausser son prestige.

L'AFFAIRE IOUKOS

Nestor : Que cache exactement l'affaire Ioukos ? L'élimination d'un rival potentiel par Poutine, ou une prise de contrôle visant à empêcher les intérêts américains de mettre la main sur une partie importante des ressources pétrolières russes ?

Marie Mendras : Il y certainement plusieurs causes à l'affaire Ioukos. Il est certain que l'arrestation du patron de Ioukos s'explique en partie par une rivalité politique entre Poutine et l'oligarque Khodorkovski. Poutine ne supporte pas la concurrence. Surtout celle d'un homme plus jeune, beaucoup plus riche, et qui n'a pas caché ses ambitions politiques pour plus tard. Le Kremlin n'a pas cherché à freiner la présence américaine dans les grandes sociétés pétrolières, et ce n'est pas ce qui inquiète le gouvernement. Le pouvoir politique cherche à mieux contrôler les ressources des grandes entreprises privées. Ce qui est une stratégie qui peut se révéler déstabilisante pour l'économie russe et risquée sur le plan politique.

Gijom : Ne pensez-vous pas que le risque de voir le parti Iabloko sous la barrière des 5 % constitue à lui seul une source de suspense, avec peut-être, à la clé, la disparition du seul parti démocratique de Russie ?

Marie Mendras : Effectivement, le seuil de 5 %, qui exige d'un parti politique d'avoir au moins 5 % des votes pour être représenté à la Douma, est un enjeu de taille ; et le Kremlin compte bien s'en servir. Il est évident que l'élection n'est pas parfaitement honnête ni dans la campagne, ni dans la gestion des résultats. Il faut rappeler que le scrutin de liste concerne l'élection de la moitié des députés à la Douma. L'autre moitié des députés sont élus au scrutin uninominal. Ainsi, quand on discute des intentions de vote, rappelons-nous bien que cela ne concerne qu'une moitié des députés. Si Poutine obtient une majorité de députés tout à fait loyaux, ce sera en bonne partie grâce aux élus au scrutin uninominal, et non sur les listes des partis.

Ronan : Quelle est l'étendue du pouvoir des députés russes ?

Marie Mendras : Dans la Constitution de 1993, qui va donc fêter ses dix ans, les députés de la Douma, chambre basse, ont des pouvoirs équivalents aux députés de pays européens. Dans la pratique, la Douma est devenue, ces dernières années, presque une chambre d'enregistrement des projets de loi issus du gouvernement. Même un sujet aussi grave que la guerre en Tchétchénie n'a pas suscité de vote à la Douma.

Sem6819 : Qui peut donc être un vrai adversaire pour Poutine, je veux dire un opposant reconnu comme tel ?

Marie Mendras : Vladimir Poutine n'a, à ce jour, aucun opposant présidentiable. Il avait été élu, en mars 2000, au 1er tour de la présidentielle, grâce à l'élimination préventive des deux opposants majeurs, en plus du communiste : le maire de Moscou, Iouri Loujkov, et l'ancien premier ministre, Evgueni Primakov. L'enjeu, aujourd'hui, est de savoir qui pourrait sortir du chapeau d'ici l'élection de 2008.

Cypho51 : Est-il plus ou moins envisageable que, lors de la prochaine législature, la Constitution change, afin de permettre un troisième mandat présidentiel à Poutine ?

Marie Mendras : C'est tout à fait envisageable. Mais le contexte est beaucoup plus fluide qu'il n'y paraît. Ce qui se négocie en ce moment, c'est les rapports de force au cours du prochain mandat de Poutine. Quels seront les acteurs économiques et politiques qui auront le plus d'influence sur le Kremlin ? Quels intérêts réussiront à se positionner au mieux ? Il est donc possible que, d'ici quelque temps, Poutine ne soit pas le meilleur cheval pour ces différents groupes d'intérêts.

Geoff : Quels sont les lobbies les plus importants en Russie ?

Marie Mendras : Le terme de lobby n'est pas le mieux adapté, car il fait penser aux lobbies américains, qui sont très organisés institutionnellement. En Russie, on parle plutôt de réseaux, de clientèles, d'intérêts bureaucratiques. Il n'y a d'ailleurs pas de cloisonnement net entre les différents groupes d'intérêts. Un chef d'entreprise pouvant être très lié à une administration provinciale ou à un ministère central. Il me semble, aujourd'hui, que ceux qui détiennent des ressources financières et économiques sont ceux qui peuvent influer sur des choix politiques. D'ailleurs, près de 20 % des candidats à la députation pour dimanche sont des chefs d'entreprise ou des hommes d'affaires.

Andrei : Quels groupes financiers soutiennent Poutine ?

Marie Mendras : Tous les groupes financiers soutiennent Poutine. Même Ioukos, avec son patron sous les verrous. Pour simplifier, on peut dire que les businessmen, le monde des affaires, est obligé de s'entendre avec le pouvoir politique et le président ne peut pas gouverner contre les entrepreneurs russes. A cet égard, l'arrestation du patron de Ioukos a inquiété les milieux d'affaires ; et le Kremlin s'empresse de donner des garanties aux autres chefs d'entreprise.

Pique : Les réseaux mafieux constituent-ils un ou des groupes de pression efficaces sur le pouvoir politique ?

Marie Mendras : Comme pour les lobbies, la notion de mafia n'est guère satisfaisante. On peut parler de relations de type mafieux, de criminalité organisée, de corruption, qui gangrènent toutes les institutions de l'Etat et une grande partie de l'économie. Mais ce ne sont pas des mafias contre un Etat honnête et irréprochable.

Cyril : Poutine est-il, selon vous, un homme dangereux pour son pays, voire pour d'autres pays ?

Marie Mendras : Poutine n'est certainement pas vu par les Russes comme dangereux. Ils sont, dans l'ensemble, satisfaits d'avoir enfin un président en bonne santé et capable de discuter d'égal à égal avec les chefs d'Etat étrangers. Pour l'observateur extérieur que je suis, Poutine ne me paraît pas dangereux dans le sens où il ne pourra pas devenir un dirigeant autocrate. Il est certainement très nuisible pour la population tchétchène et le nord Caucase. Pour nos gouvernants occidentaux, Poutine n'est pas difficile à gérer, puisqu'il est peu ou prou d'accord avec tout le monde.

Aaaaa : Que reste-t-il de l'idéologie communiste dans la Russie d'aujourd'hui ?

Fred : Y a t-il des chances que la Russie redevienne communiste ?

Marie Mendras : Les soviétiques ne croyaient pas à une idéologie communiste depuis déjà longtemps. Etre communiste, c'était être soviétique. Et accepter les règles du jeu du système brejnevien. Il n'y avait plus guère d'émotion, encore moins d'idéal. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles les régime communiste s'est effondré sans que personne ne le défende. Aujourd'hui, 12 ans après, les gens ne sont pas nostalgiques d'une idée, mais parfois nostalgiques d'un mode de vie qui leur semble, rétrospectivement, plus sûr, sécurisé, égalitaire, même si le niveau de vie était très médiocre. Les Russes ont du mal à s'habituer à la concurrence et à l'insécurité pour l'avenir au plan personnel. La Russie ne vit plus comme une forteresse protégée. Ses frontières sont ouvertes, on peut y entrer et en sortir, on peut vendre et acheter de tout. Donc, il n'y a aucune chance qu'elle reproduise un communisme à la soviétique.

Youss : Est-il vrai que des relents d'antisémitisme sont à l'origine du bannissement de certains oligarques ?

Marie Mendras : La plupart des grands oligarques sont juifs. Et tous ceux qui ont été obligés de s'enfuir, ou mis en prison, comme Khodorkovski, sont juifs. Il est certain que cela renforce, dans les mentalités, le fonds d'antisémitisme qui s'appuie sur un rejet de la réussite personnelle et une grande frustration de voir quelques happy few s'enrichir "sur le dos du peuple". Cependant, du fait que la vie politique, en Russie, reste peu dynamique, peu mobilisatrice, les courants antisémites n'ont pas beaucoup d'influence.

Andrei : Helena Tregoubova (observateur politique de "Kommersant") a écrit un livre à propos du Kremlin, ses "habitants", avec une critique du régime de Poutine et surtout de la censure. Une émission à propos de ce livre a été annulée sur NTV à la dernière minute... Que pensez-vous de tout ça ? La liberté de parole n'existe plus en Russie (l'Internet - c'est la seule source d'information en Russie non censurée...) ?

Marie Mendras : La liberté des médias s'érode ces dernières années, mais surtout quand il s'agit du pouvoir politique au sommet et sur la guerre en Tchétchénie. Sur d'autres sujets, jugés moins sensibles par le Kremlin, on peut continuer à s'exprimer assez librement. Il est frappant de voir, sur les sites Internet, même officiels, comment des Ivan et Natacha anonymes critiquent le régime et dénoncent ouvertement la manipulation des élections à venir. Le plus inquiétant est le contrôle serré des deux premières chaînes de télévision, qui sont la quasi unique source d'information pour les deux tiers de la population, qui ne peuvent recevoir d'autres chaînes, et n'ont pas non plus accès à la presse centrale indépendante. Le fossé entre les habitants d'une très grande ville, qui ont Internet et l'accès à de nombreux médias, et les habitants des autres régions de Russie est de plus en plus grand.

LE POIDS DU FSB

Glock : Le FSB (les services secrets) constitue-t-il un très puissant pouvoir de l'ombre auquel Poutine donnerait des gages ?

Marie Mendras : Poutine a fait toute sa carrière au sein du FSB (ex-KGB). Et il en était le directeur avant d'atteindre les sommets de l'Etat. C'est donc une institution sur laquelle il s'appuie beaucoup plus que Boris Eltsine. Mais, à mon avis, le FSB n'est pas une institution monolithique et parfaitement centralisée. Le gouvernement ne peut pas imaginer que les services assurent le contrôle des 143 millions de Russes et, surtout, des dizaines de milliers d'entreprises privées.

Alexei : Que pensez-vous de l'influence des conservateurs au sein du FSB ?

Marie Mendras : Je ne sais pas qui sont les conservateurs au sein du FSB. Le FSB est composé de fonctionnaires, d'officiers, qui ont l'habitude de travailler dans une hiérarchie complexe. Les dirigeants n'ont a priori pas d'états d'âme et servent le pouvoir politique tant que leurs conditions de vie et leur statut sont bien défendus.

Silviu : Comment peut-on expliquer la forte présence des jeunes dans les milieux d'affaires ou au niveau de la bureaucratie ? Les vieux cadres des temps de l'Union soviétique ont-ils perdu leur influence, ou est-ce plutôt les jeunes qui se sont adaptés aux règles du jeu du système ?

Marie Mendras : La forte proportion de jeunes chez les patrons de grosses entreprises s'explique tout simplement par le fait que toutes les positions étaient à prendre après 1991. Dans certains cas, les anciens directeurs d'entreprises soviétiques ont réussi à se maintenir en accompagnant la privatisation ; dans d'autres cas, ce sont des jeunes de diverses formations scientifiques qui ont saisi leur chance, en créant une banque, et en rachetant une entreprise d'Etat. Pour les fonctionnaires, la différence n'est pas tant dans l'âge des responsables, mais plutôt dans la forte rotation des jeunes qui peuvent passer quelques années dans une administration, puis aller chercher un meilleur salaire dans le privé.


faupatronim
 
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Message par gipsy » 05 Déc 2003, 17:43

a écrit :Le bouquin est très intérressant et va dans le sens de dire que la Russie n'est pas un vrai pays capitaliste


ESt ce que les elements qui vont dans ce sens apparaissent ou non dans ce court compte rendu? :mellow: :blink:
gipsy
 
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