Le capitalisme selon Jacques Prévert :
https://www.youtube.com/watch?v=d97sfLW9tBk
À la porte des maisons closes
C’est une petite lueur qui luit
quelque chose de faiblard, de discret
une petite lanterne un quinqué
Mais sur Paris endormi, une grande lueur s’étale
Une grande lueur grimpe sur la tour
Une lumière toute crue
C’est la lanterne du bordel capitaliste
Avec le nom du tôlier qui brille dans la nuit.
Citroën ! Citroën !
C’est le nom d’un petit homme,
Un petit homme avec des chiffres dans la tête,
Un petit homme avec un drôle de regard derrière son lorgnon,
Un petit homme qui ne connaît qu’une seule chanson,
Toujours la même.
Bénéfices nets.
Une chanson avec de chiffres qui tournent en rond:
500 voitures, 600 voitures par jour:
Trottinettes, caravanes, expéditions, auto-chenilles, camions…
Bénéfices nets
Millions. Millions
Citroën.Citroën.
Même en rêve on entend son nom
500, 600, 700 voitures laissant aux camions
800 tentes par jour, 200 .... 200 ....
Et que ça roule!
Il sourit, il continue sa chanson
Il n´entend pas la voix des hommes qui fabriquent
Il n' entend pas la voix des ouvriers
Il s' en fout des ouvriers.
Un ouvrier c' est comme un vieux pneu
quand il y a un qui crève
on n' entend même pas crever
Citroën n' écoute pas
Citroën n' entend pas
Il est dur de la feuille pour ce qui est des ouvriers
Pourtant au casino il entend bien la voix du croupier
- Un million M. Citroën, un million
S´il gagne c' est tant mieux, c' est gagné
Mais s' il perd c' est pas lui qui perd, c' est ses ouvriers
C' est toujours ceux qui fabriqnent
qui en fin de compte sont fabriqués.
Et le voilà qui se promène à Deauville,
Le voilà à Cannes qui sort du Casino
Le voilà à Nice qu' il fait le beau
Sur la promenade des Anglais avec un petit veston clair
- Beau temps aujourd’hui !
Le voilà qu' il se promène, qui prend l’air.
A Paris aussi il prend l' air, il prend l' air des ouvriers
Il prend l’air des ouvriers
il leur prend l’air, le temps, la vie
Et quand il y en a un qui crache ses poumons dans l’atelier
ses poumons abîmés par le sable et les acides
il lui refuse une bouteille de lait
Qu’est-ce que ça peut bien lui foutre
Une bouteille de lait ?
Il n’est pas laitier
Il est Citroën
Il a son nom sur la tour, il a des colonels sous ses ordres.
Des colonels gratte-papier, garde-chiourme, espions.
Des journalistes mangent dans sa main.
Le préfet de police rampe sous son paillasson.
Citron ? Citron ?
Bénéfices nets
Millions. Millions
Et si le chiffre d’affaires vient à baisser
pour que malgré tout les bénéfices ne diminuent pas
il suffit d’augmenter la cadence et de
Baisser les salaires des ouvriers
Baisser les salaires
Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches
Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup
Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer
Pour faire la grève
La grève
Vive la grève !
Michel Houellebecq est un con.
Du moins, Michel Houellebecq est un con quand il écrit que Jacques Prévert est un con. Parce que Jacques Prévert n’est pas du tout un con. Michel Houellebecq n’aime pas Jacques Prévert.
Jacques Prévert sans doute n’aurait pas aimé Michel Houellebecq qui dans son texte Jacques Prévert est un con (paru il y a quelques années) ironisait sur le fait que Jacques Prévert, "il était plutôt pour la liberté".
"Alors, j’peux m’en aller ?" demande Garance-Arletty au gendarme qui lui répond "Bah oui, vous êtes libre". "Tant mieux, répond Arletty-Garance, parce que moi, j’adore ça la liberté."
Jacques Prévert donc, "il était plutôt pour la liberté" au point que dans les années 1930, il écrivait des textes que, dans les rues, les meetings, les usines en grève, jouait le groupe Octobre dans lequel étaient réunis quelques comédiens qui n’étaient pas exactement n’importe qui : Margot Capelier, Jean-Louis Barrault, Mouloudji et Maurice Baquet notamment. Il s’agissait alors de dénoncer la montée d’Hitler et l’attitude des capitalistes qui se couchaient devant le National-Socialisme. Moi, je trouve qu’il y a plus con comme attitude.
Je vous parle de Jacques Prévert parce qu’il est un personnage du livre de Sorj Chalandon "L’enragé". Jacques Prévert qui donc "était plutôt pour la liberté" vient enquêter à Belle-Ile-en mer où dans la nuit du 27 août 1934, cinquante-six gamins se révoltent des sévices qu’ils subissent dans la colonie pénitentiaire pour mineurs.
Jacques Prévert est un poète qui s’informait, allait voir sur place pour pouvoir écrire. Jacques Prévert était un poète du genre investi, raccordé à son époque.
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île
On voit des oiseaux
Tout autour de l’île
Il y a de l’eau.
Les colons qui étaient enfermés étaient parfois de jeunes délinquants, parfois aussi des enfants qui avaient eu le tort d’être orphelins, d’avoir fait l’erreur d’être abandonné, d’avoir été coupable de voler une miche de pains pour survivre, d’avoir eu la faiblesse de ne pas vouloir tout à fait mourir de faim, autant dire des salauds.
Sur Belle-île, la bien nommée, les enfants subissaient les coups, la brutalité, l’humiliation. Certains réussissaient à saisir une échappatoire quand ils trouvaient une corde et se pendaient au milieu de leur cellule.
"L’enragé" est un grand roman populaire, un de ceux qu’on ne lâche pas dès qu’on l’a commencé, un livre de révolte et d’humanité, un livre de colère dans lequel on trouve deux sortes de "braves gens", ceux qui sont capables de faire la traque à l’enfant pour gagner 20 francs mais également, ceux qui sont capables de recueillir l’enfance blessée.
Jacques Prévert n’est pas un con. Sorj Chalandon non plus.
La chasse à l'enfant
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île on voit des oiseaux
Tout autour de l’île il y a de l’eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Il avait dit j’en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l’avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s’est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Pour chasser l’enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s’y sont mis
Qu’est-ce qui nage dans la nuit
Quels sont ces éclairs ces bruits
C’est un enfant qui s’enfuit
On tire sur lui à coups de fusil
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent
Au-dessus de l’île on voit des oiseaux
Tout autour de l’île il y a de l’eau.
Le temps perdu
Devant la porte de l'usine
le travailleur soudain s'arrête
le beau temps l'a tiré par la veste
et comme il se retourne
et regarde le soleil
tout rouge tout rond
souriant dans son ciel de plomb
il cligne de l’œil
familièrement
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c'est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron?
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