« Dernier maquis » film de Rabah AMEUR-ZAÏMECHE (2008)

Message par meichler » 28 Avr 2010, 19:22

J'ai eu la chance de pouvoir voir, hier soir, au ciné-club de ma (petite) ville, le film « Dernier maquis », de Rabah AMEUR-ZAÏMECHE (2008) :

Dans un petit atelier de recyclage (fabrication) de palettes de transport, le patron (lui-même musulman) décide de créer une mosquée pour « ses » ouvriers (noirs et maghrébins). Les antagonismes de classes finissent par l’emporter sur l’apparence d’homogénéité à laquelle veut faire croire la religion, à travers l’idée de Oumma.

Film très intéressant et très beau qui montre (ce qui est exceptionnel aujourd'hui, pour un film de fiction) pratiquement exclusivement des ouvriers sur leur lieu de travail. Il montre aussi que ce qui divise la société n’est pas fondamentalement la religion, mais les oppositions de classes sociales. Ce qui se traduit, dans la religion musulmane, par la « discorde » au sein de la communauté des croyants (la Oumma), c’est-à-dire ce qui constitue la plus grande crainte, le plus grand péril, pour l’Islam.

Le patron, nommé étrangement « Mao », et qui se dit « bon muslim », manœuvre autour de la religion et cherche à s’en servir afin de mener au mieux ses affaires, qui ne vont pas si bien. Il crée une mosquée sur le lieu de travail, nomme lui-même l’imam, dont il cherche à faire son mouchard. Mais la lutte des classes revient inévitablement, par nécessité, et avec violence, comme le retour du refoulé, trop longtemps nié, comprimé. Elle est alors âpre et brutale, primaire même. Les ouvriers repartent du point zéro : « Combien il faut être pour faire un syndicat ? Ben… deux ! À deux on peut faire un syndicat bien sûr. » Alors la lutte est violente. Non, quand les ouvriers sont les maîtres, il « n’est plus chez lui ». Et s’il ne veut pas l’accepter, on le lui fait entrer dans la tête à coups de poings, en attendant mieux (ou pire). Et après, on fait quoi ? (fin du film).

Le film n’est pas un tract au service d’un discours politique bien structuré, comme le fut jadis, par exemple « La vie est à nous » de Jean RENOIR, film commandé par le PCF en 1936. Ici, on reste sur des questions. La lutte des classes est une évidence, mais sur quoi nous conduit-elle ? On n’en sait plus trop rien. La chute du Mur de Berlin, des « évidences » historiques, a emporté bien des certitudes, mais aussi bien des traditions d’organisation collective, aujourd’hui perdues. Imams et « chefs de villages » ont souvent remplacé les militants syndicaux. La classe ouvrière aussi a changé. Elle a bien souvent la peau plus foncée, d’autres coutumes, d’autres habitudes, et elle vient souvent de loin.

Et ce film est aussi d’une grande beauté, en dépit (ou à cause) de la laideur des lieux où il est tourné. Ces ouvriers toujours en bleus de travail, qui n’ont pour horizon que les piles de palettes (rouges !) qui montent jusqu’au ciel, avec juste un petit carré de bleu-nuages au-dessus, avec les avions qui assourdissent régulièrement, ces ouvriers qui n’ont que leurs bras et la poussière et les outils et les marchandises, qui sont autant de briques, de maillons de ce que les possédants appellent la mondialisation. Ces ouvriers qui n’ont d’autre horizon que le vendredi à la mosquée. Ces ouvriers qui sont toujours entre hommes (il n’y a pas une seule femme dans ce film), et qui tentent de régler leurs affaires d’hommes, ces ouvriers à qui la religion ne sert décidément à rien pour régler leurs affaires d’hommes, sinon comme symptôme de la division en classes qui les sépare.

Un film à voir (DVD paru), à faire connaître. Une vraie œuvre cinématographique, dotée d’une puissance politique exceptionnelle. Un antidote fort bien venu à l’heure du battage médiatique gouvernemental sur la « burqa » et la sinistre comédie de l’« identité nationale ».
«Ni rire ni pleurer, comprendre.»

(Baruch SPINOZA)
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Message par artza » 30 Avr 2010, 09:14

Oui, bon et beau film. Un peu chiant quand même.

Le réalisateur ne se prend pas pour un con, mais au fait qu'a-t-il a dire?

On peut apprécier le film et avoir les points de vue les plus contradictoires et opposés sur à peu près tout, exploitation patronale, religion, immigration etc...

Que vient faire le Mur de Berlin là-dedans.
Sa chute fut plutôt une conséquence qu'une cause, non?

Et révéla surtout les illusions de ceux qui pensaient que sa Chute ne pouvait être que l'oeuvre de la classe ouvrière et la montée de la révolution :33:
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Message par meichler » 30 Avr 2010, 18:47

(artza @ vendredi 30 avril 2010 à 09:14 a écrit : Oui, bon et beau film. Un peu chiant quand même.

Le réalisateur ne se prend pas pour un con, mais au fait qu'a-t-il a dire?

On peut apprécier le film et avoir les points de vue les plus contradictoires et opposés sur à peu près tout, exploitation patronale, religion, immigration etc...

Que vient faire le Mur de Berlin là-dedans.
Sa chute fut plutôt une conséquence qu'une cause, non?

Et révéla surtout les illusions de ceux qui pensaient que sa Chute ne pouvait être que l'oeuvre de la classe ouvrière et la montée de la révolution :33:

1°) «Chiant», moi j'ai pas trouvé. Mais là, chacun ses goûts.

2°) On peut toujours avoir tous les points de vue que l'on veut. Cela dit, le film montre comment la LUTTE DES CLASSES (fût-elle la plus élémentaire qui soit) ressurgit INÉLUCTABLEMENT dès lors qu'existe le rapport d'exploitation du travail par le capital, fût-il masqué par les pires relations personnelles, celles fondées sur la «communauté des croyants».

3°) La chute du mur de Berlin symbolise pour moi l'effondrement de l'URSS qui vient moins de deux ans plus tard, et qui ouvre une nouvelle période politique, presque une nouvelle époque, où ce qui détermine les rapports politiques est la fin de la révolution d'octobre et tout ce qu'elle avait entrainé dans son sillage. Ces événements majeurs entraînent l'accélération de la décomposition des organisations issues du mouvement ouvrier, partis et syndicats. C'est une période marquée par la montée de la réaction sur tous les terrains, et dans tous les secteurs de la société. Et également, à une échelle de masse, par l'idée que le socialisme, le communisme ne sont plus possibles, qu'ils ont fait faillite, que le capitalisme est le seul horizon possible pour l'humanité. Le film dont nous parlons se situe pleinement dans cette période politique : il n'y a plus de réponse(s) «évidentes» aux questions que posent la lutte des classes (dont cependant il reconnaît l'inévitable retour, et sous des formes d'autant plus violentes que désespérées et sans issue). La fin du film demeure ouverte, et en fait «sans fin», sans conclusion... La (les) religion(s), en particulier l'Islam, a de plus en plus occupé la place laissée vacante par l'espérance communiste, si floue et confuse ait-elle pu être, qui avait enflammé le monde entier dans le sillage d'octobre 1917.

4°) Ta dernière phrase vise à polémiquer avec le courant politique auquel je me rattache : celui que Stéphane Just a tenté de maintenir vivant. Sans vouloir relancer une discussion quelque peu hors-sujet, je dirai seulement que ce sont bien les masses allemandes de l'est et de l'ouest qui ont abattu le mur de Berlin, que par ailleurs entre 1988 et 1991 des mouvements puissants des travailleurs de l'URSS ont eu lieu qui pouvaient déboucher sur une authentique révolution politique. Mais il faut bien constater que cela n'a pas eu lieu en définitive. Il y a manqué l'intervention politique correcte d'une organisation suffisamment puissante, ou même un minimum implantée, dans ces pays, et à l'échelle internationale, qui permette de tenter de les orienter vers la révolution politique, sur le programme du marxisme.
«Ni rire ni pleurer, comprendre.»

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Message par jeug » 18 Mai 2010, 16:20

J'ai vu le film.
J'ai bien aimé, parce qu'il est vrai qu'il tranche.
Mais c'est vrai aussi qu'il y a des longueurs et que chacun les apprécie différemment.
jeug
 
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