Le poète palestinien Mahmoud Darwich est mort

Message par jeug » 10 Août 2008, 13:49

(France Info dimanche 10 août 2008 a écrit :Considéré comme l’un des principaux poètes arabes de sa génération, Mahmoud Darwich est décédé après avoir subi une opération à coeur ouvert dans un hôpital de Houston, aux Etats-Unis. Il avait 67 ans.


Deux fois, déjà, en 1984 et en 1998, le poète avait subi des opérations du coeur. Après la seconde, il avait écrit un poème intitulé Mort, je t’ai vaincue. Cette fois, Mahmoud Darwich n’a pas gagné le duel. Le poète s’est éteint quelques heures après avoir été une nouvelle fois opéré du coeur, à Houston, aux Etats-Unis.

Né en 1941 à Al-Birweh, en Galilée, qui était alors en Palestine sous mandat britannique - et aujourd’hui dans l’Etat d’Israël - Mahmoud Darwich avait choisi l’exil en 1970. Après des années passées à l’étranger, notamment à Paris, le poète s’est rendu en 1995 dans la bande de Gaza après l’avènement de l’Autorité palestinienne avant de s’installer à Ramallah, en Cisjordanie.

Trois jours de deuil national

Considéré comme le "poète national" palestinien et l’un des principaux poètes arabes de sa génération, Mahmoud Darwich avait été traduit en de nombreuses langues. Son oeuvre évoquait surtout la douleur des Palestiniens exilés comme lui après la fondation d’Israël il y a 60 ans.
Son célèbre poème de 1964, Identité, sur le thème d’un formulaire israélien obligatoire à remplir, est devenu a un hymne repris dans tout le monde arabe.

Pour la députée palestinienne Hanane Achraoui, "il a débuté comme un poète de la résistance puis est devenu un poète de la conscience. Il incarnait le meilleur des Palestiniens (...) Même lorsqu’il est devenu une icône, il n’a jamais perdu son sens de l’humanité. Nous avons perdu une partie de notre être".
L’Autorité Palestinienne a décrété trois jours de deuil national.
jeug
 
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Message par charpital » 11 Août 2008, 12:00

Un de ses derniers entretiens (accordé au Nouvel Obs)

a écrit :

Surtout au Moyen-Orient, surtout en Palestine, le poète doit être celui qui doute dans un monde chauffé à blanc de certitudes religieuses. Un vent de folie collective souffle sur ma région, l'affaire des caricatures en est un exemple désespérant. On assiste à la lutte entre deux intégrismes, deux fondamentalismes rivaux, l'un américain, l'autre islamiste. En tant que poète, suis-je condamné à m'exiler dans une petite chambre pour tenter, plume à la main, d'humaniser le monde ? La poésie est par définition ouverture et affirmation de la diversité des identités. Elle est la voix qui rassemble les êtres humains. Mais aujourd'hui les communautés ne sont agitées que par des passions absurdes et irrationnelles. J'ai peur que la trop fameuse « guerre des civilisations » ne soit bien en train d'avoir lieu. Mais ses protagonistes en sont les intégristes de chaque camp. L'hégémonie américaine sur le monde, dans sa forme fondamentaliste, entraîne les pauvres et les dominés dans une opposition violente et aveugle, comme si la recherche d'une certaine justice - il n'y a pas de justice absolue - n'avait aujourd'hui plus de sens. C'est la défaite générale de l'intelligence, le triomphe de la bêtise outrancière, l'adieu à la raison. Oui, la folie est générale. Le discours de haine est beaucoup plus facile à proférer parce qu'il ne flatte que les instincts. Les opprimés en arrivent à croire qu'ils ne s'en sortiront qu'en s'abandonnant à l'hystérie. La haine est une maladie qui se nourrit de l'obsession de l'ennemi. Le rôle de la poésie, disait Char, est aussi de transformer son ennemi en adversaire. Aujourd'hui, on ne cherche, on ne relève dans l'autre camp que les outrances, les caricatures de l'autre. Dans ce monde bipolaire, il n'y a plus de place pour la paix. Quand un dirigeant islamiste de troisième ordre profère des menaces, elles sont immédiatement relayées par la Maison-Blanche. Comme si Bush et Ben Laden entretenaient un étrange dialogue à distance et se considéraient comme les seuls interlocuteurs valables. Avec le même discours : celui qui n'est pas avec nous est contre nous.

Dans mes poèmes, et en particulier dans mon dernier recueil, « Ne t'excuse pas », je décris un dialogue, parfois rude, entre mes différents moi. Un Palestinien digne de ce nom doit s'enrichir de toutes les cultures qui l'ont fabriqué - les cultures mésopotamienne, grecque, persane, ottomane, juive, chrétienne et musulmane. Seules les identités multiples sont belles. C'est une chance d'appartenir à un pays irrigué par des cultures très anciennes, qui toutes ont laissé des empreintes. Elles étaient souvent celles de l'occupant, mais aujourd'hui elles sont devenues miennes. Si je combats le sionisme en tant qu'idéologie et réalité politiques, c'est qu'il est pour moi un exclusivisme. Je ne veux ni ne peux y répondre par un autre exclusivisme arabe, mais par le partage de la diversité. Je suis sûr - contrairement à ce qu'on dit - qu'entre les Juifs et les Palestiniens il n'y a pas d'insurmontables difficultés. Les vrais musulmans savent que l'islam est le prolongement du judaïsme et du christianisme. Nous nous abreuvons tous à la même source. Si la guerre actuelle prend une forme religieuse si détestable, les raisons en sont avant tout politiques et découlent de la longue occupation de la Palestine et du cours chaotique de l'Histoire. Quelques fanatiques musulmans me reprochent d'évoquer parfois Jésus dans mes poèmes parce qu'ils refusent névrotiquement la proximité des religions de la région. Je ne suis pas croyant, et ma relation à la Bible n'est pas religieuse. Elle est littéraire. Ceux qui me détestent ici disent que mes références à la Bible sont une trahison et une complaisance vis-à-vis de l'autre, l'ennemi. C'est fou. Mais il est difficile, c'est vrai, d'imaginer que celui qui est encerclé, bombardé, emmuré en Palestine puisse goûter aux beautés du Cantique des Cantiques.

En 1981, en exil à Beyrouth, j'ai créé la revue « Al-Karmel », à la fois ouverte sur la littérature et la poésie palestiniennes et les littératures du monde. On m'a bien sûr reproché de ne pas uniquement célébrer la littérature de mon peuple. Chaque fois, je réponds que toute littérature qui défend une cause noble et juste tout en renouvelant la forme enrichit la littérature palestinienne. La Palestine a pour moi un sens beaucoup plus large que les Palestiniens veulent bien lui accorder : un sens universel. Aujourd'hui, la revue est installée à Ramallah et à Amman. Nous nous intéressons de plus en plus à ce qui se passe sur le plan culturel et intellectuel en Israël. Débattre avec l'autre, le connaître, c'est la ligne de la revue.
J'ai consacré quelques poèmes à des villes de mon exil : Beyrouth, Damas, Tunis. Le thème central de ce recueil, c'est le retour au pays, en Palestine. Je médite sur deux notions : le chemin et la maison. Avant mon retour, je pensais que la maison était plus belle, plus désirable que le chemin. Aujourd'hui, je trouve que le chemin est plus beau que la maison. Dans ce voyage de l'exil, j'ai salué les villes qui m'ont accueilli et m'ont marqué.

Depuis que j'ai échappé à la mort en 1998 à la suite d'une opération du coeur, je sens que je rajeunis : je suis né une deuxième fois. Auparavant, j'étais obsédé dans mes poèmes par la mort. J'avais oublié de célébrer la vie et la beauté. Le paradoxe aujourd'hui, c'est que j'écris sur la beauté dans un pays où elle a été mutilée, saccagée, et où l'on vit en deçà de la vie. Je tente de compenser ce manque par la beauté que je chante dans mes poèmes. Comme un poète qui recommencerait de zéro, je m'attache à décrire la forme d'un nuage ou d'un cyprès, la fleur d'un amandier. Je me suis placé sous la protection des maîtres de la poésie arabe, mais uniquement des maîtres joyeux. Oui, j'écris en état de joie. Pas pour survivre, simplement pour vivre. Les lecteurs palestiniens qui vivent dans des conditions dramatiques ont accueilli magnifiquement ces poèmes. Lors d'une soirée de lecture à Ramallah, ils ne me réclamaient que des poèmes d'amour. Des femmes se sont mises à danser. Tous voulaient dire que l'occupation n'a pas écrasé leur humanité.
La poésie en Palestine est un combat pour « désoccuper » la langue. On me reproche parfois de ne plus être un poète de la résistance, un militant. Mais la vraie défaite serait que notre langue même soit vaincue par l'occupation. L'occupant s'attend à ce que nous ne parlions que de notre souffrance. Etre palestinien, ce n'est pas une profession, c'est aussi affirmer qu'un être humain, même dans le malheur, peut aimer l'aube et les amandiers en fleur. Ecrire un poème d'amour sous l'occupation est une forme de résistance. Le rôle de la poésie, c'est aussi de rendre les choses obscures pour qu'elles donnent de la lumière. Elle rend l'invisible visible et le visible invisible. La poésie est l'art du clair-obscur. Une lumière trop crue, trop violente efface tout.
L'espoir est la maladie incurable des Palestiniens. Notre fardeau. Je refuse l'esprit de défaite et m'accroche à l'espoir fou que la vie, l'histoire, la justice ont encore un sens. J'ai choisi d'être malade d'espoir. La poésie est fragile. C'est ce qui en fait sa puissance. Si elle tentait d'affronter les tanks, elle serait écrasée. La poésie a la fragilité de l'herbe. L'herbe paraît si vulnérable, mais il suffit d'un peu d'eau et d'un rayon de soleil pour qu'elle repousse.


Et quelques extraits de poémes, extraits de son dernier recueil "Ne t'excuse pas"

a écrit :

DÉPOSE ICI ET MAINTENANT



Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes
et donne à ta vie une autre chance
de restaurer le récit.
Toutes les amours ne sont pas trépas,
ni la terre, migration chronique.
Une occasion pourrait se présenter, tu oublieras
la brûlure du miel ancien.
Tu pourrais, sans le savoir, être amoureux
d’une jeune fille qui t’aime
ou ne t’aime pas, sans savoir pourquoi
elle t’aime ou ne t’aime pas.
Adossé à un escalier, tu pourrais
te sentir un autre dans les dualités.
Sors donc de ton moi vers un autre toi,
de tes visions vers tes pas,
et élève ton pont
car le non-lieu est le piège
et les moustiques sur la haie irritent ton dos,
qui pourraient te rappeler la vie !
Vis, que la vie t’entraîne
à la vie,
pense un peu moins aux femmes
et dépose
ici
et maintenant
la tombe que tu portes !



- - - - - -



POUR NOTRE PATRIE



Pour notre patrie,
proche de la parole divine,
un toit de nuages.
Pour notre patrie,
distante des attributs du nom,
une carte de l’absence.
Pour notre patrie,
petite comme un grain de sésame,
un horizon céleste … et un abîme caché.
Pour notre patrie,
pauvre comme les ailes de la grouse,
des Livres saints … et une blessure à l’identité.
Pour notre patrie,
aux collines assiégées déchiquetées,
les embuscades du passé nouveau.
Pour notre patrie, butin de guerre,
le droit de mourir consumée d’amour.
Pierre précieuse dans sa nuit sanglante,
notre patrie resplendit au loin, au loin,
elle illumine alentour …
mais nous, en elle,
nous étouffons chaque jour davantage !



- - - - - -



À JÉRUSALEM



À Jérusalem, je veux dire à l’intérieur
des vieux remparts,
je marche d’un temps vers un autre
sans un souvenir
qui m’oriente. Les prophètes là-bas se partagent
l’histoire du sacré … Ils montent aux cieux
et reviennent moins abattus et moins tristes,
car l’amour
et la paix sont saints et ils viendront à la ville.
Je descends une pente, marmonnant :
Comment les conteurs en s’accordent-ils pas
sur les paroles de la lumière dans une pierre ?
Les guerres partent-elles d’une pierre enfouie ?
Je marche dans mon sommeil.
Yeux grands ouverts dans mon songe,
je ne vois personne derrière moi. Personne devant.
Toute cette lumière m’appartient. Je marche.
Je m’allège, vole
et me transfigure.
Les mots poussent comme l’herbe
dans la bouche prophétique
d’Isaïe : "Croyez pour être sauvés."
Je marche comme si j’étais un autre que moi.
Ma plaie est une rose
blanche, évangélique. Mes mains
sont pareilles à deux colombes
sur la croix qui tournoient dans le ciel
et portent la terre.
Je ne marche pas. Je vole et me transfigure.
Pas de lieu, pas de temps. Qui suis-je donc ?
Je ne suis pas moi en ce lieu de l’Ascension.
Mais je me dis :
Seul le prophète Muhammad
parlait l’arabe littéraire. "Et après ?"
Après ? Une soldate me crie soudain :
Encore toi ? Ne t’ai-je pas tué ?
Je dis : Tu m’as tué … mais, comme toi,
j'ai oublié de mourir.



- - - - - - -



LE CYPRÈS S’EST BRISÉ

Le cyprès n’est pas l’arbre mais le chagrin
de l’arbre ; il n’a pas d’ombre car il
n’est que l’ombre de l’arbre.

BASSÂM HAJJÂR

Le cyprès s’est brisé comme un minaret
et il s’est endormi
en chemin sur l’ascèse de son ombre,
vert, sombre,
pareil à lui-même. Tout le monde est sauf.
Les voitures
sont passées, rapides, sur ses branches.
La poussière a recouvert
les vitres … Le cyprès s’est brisé mais
la colombe n’a pas quitté son nid déclaré
dans la maison voisine.
Deux oiseaux migrateurs ont survolé
ses environs et échangé quelques symboles.
Une femme a dit à sa voisine :
Dis, as-tu vu passer une tempête ?
Elle répondit : Non, ni un bulldozer …
Le cyprès s’est brisé. Les passants sur ses débris ont dit :
Il en a eu assez d’être négligé,
il a sans doute vieilli
car il est grand
comme une girafe,
aussi vide de sens qu’un balai
et il n’ombrage pas les amoureux.
Un enfant a dit : Je le dessinais parfaitement,
sa silhouette est facile. Une fillette a dit :
Le ciel est incomplet
aujourd’hui que le cyprès s’est brisé.
Une jeune homme a dit :
Le ciel est complet
aujourd'hui que le cyprès s’est brisé.
Et moi, je me suis dit :
Nul mystère,
le cyprès s’est brisé, un point c’est tout.
Le cyprès s’est brisé !



- - - - - -



RIEN NE ME PLAÎT



Rien ne me plaît,
dit le passager de l’autobus, ni la radio
ni les journaux du matin,
ni les fortins sur les collines.
J’ai envie de pleurer.
Le conducteur dit : Attends le prochain arrêt
et pleure seul tout ton saoul.
Une dame dit : Moi non plus. Moi non plus,
rien ne me plaît. J’ai guidé mon fils
jusqu’à ma tombe.
Elle lui a plu et il s’y est endormi
sans me dire adieu.
L’universitaire dit : Moi non plus, rien
ne me plaît. J’ai fait des études d’archéologie mais
je n’ai pas trouvé mon identité dans les pierres.
Suis-je vraiment moi ?
Un soldat dit : Moi non plus. Moi non plus,
rien ne me plaît. J’assiège sans cesse un fantôme
qui m’assiège.
Le conducteur dit, énervé : Nous approchons
notre dernière station, préparez-vous
à descendre …
Mais ils crient :
Nous voulons l’après-dernière station,
roule !
Quant à moi, je dis : Dépose-moi là. Comme eux,
rien ne me plaît,
mais je suis las de voyager.
charpital
 
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Message par aniss » 24 Août 2008, 23:00

Je voulais vous mettre une chanson d'une chanteuse libanaise MJIDA EROUMI chante les paroles de Mahmoud Darwich" le masque est tombé":

http://www.4shared.com/file/60308567/1a402...rified=63ae2c6e
aniss
 
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