a écrit :L'interview du dimanche
Nathalie Arthaud
Porte-parole de Lutte ouvrière, Nathalie Arthaud s'est exprimée au lendemain des manifestations du 19 mars. A ses côtés, Arlette Laguiller, symbole d'un combat politique de plus de 40 ans.
L e Bien public. - Outre la réunion publique, quelle est la raison de votre présence à Dijon ?
Nathalie Arthaud. - Nous profitons du meeting* pour présenter les candidats de la région pour les élections européennes du 7 juin et Claire Rocher, qui conduit la liste pour la circonscription du Grand Est.
LBP. - Quel commentaire apportez-vous au lendemain des manifestations et de ce mouvement social qui semble s'amplifier ?
N. A. - Cette journée de grève et de manifestations du 19 mars a été une réussite, un grand succès puisque la mobilisation a été plus suivie que le 29 janvier. Ça veut dire qu'il y a des travailleurs qui n'étaient pas en grève le 29 janvier et qui l'ont été le 19 mars. On a vu dans les cortèges beaucoup de travailleurs du privé. Et même de petites entreprises.
LBP. - Comment expliquez-vous cela ?
N. A. - Ça montre que le mouvement s'élargit à de nouvelles couches de travailleurs et qu'on franchit une étape. Nous pensons qu'il faut continuer sur cette même lancée, il faudra d'autres journées de façon à ce que le patronat et le gouvernement craignent une véritable mobilisation d'ensemble et cèdent face à ça. Il faut donc montrer de la détermination et ne pas se satisfaire d'une journée isolée.
LBP. - Que vous inspire la polémique sur les parachutes dorés et les bonus ?
N. A. - Le patronat, finalement, c'est lui qui convainc les travailleurs à se mobiliser, à se mettre en colère et à se lever contre sa politique. Il se conduit de façon extrêmement provocante. Ces dernières semaines, il y a eu l'annonce de la fermeture de l'usine Continental à Compiègne, avec 1 102 salariés (...) Pour nous, c'est une véritable provocation, d'autant plus que cette entreprise fait des bénéfices - 27 millions encore l'année dernière.
« Nous sommes pour une transformation radicale de la société »
Et là, à Dijon, il y a aussi un bon exemple : la capacité du patronat à la provocation avec Amora. Quand les travailleurs demandent leur dû, pour partir en continuant de vivre, pour conserver un logement et pour se retourner, dans la période actuelle, on les méprise. Quand on est mis dehors, où est-ce qu'on peut retrouver du boulot ?
LBP. - Il y a eu plusieurs piquets de grève chez Amora...
N. A. - Oui, c'est ce patronat qui indigne, soulève la colère et déclenche des luttes. Et quand on entend Fillon dire qu'il n'y a plus rien dans les caisses pour augmenter les salaires, pour augmenter le pouvoir d'achat, pour augmenter les petites pensions des retraités, c'est quand même quelque chose de choquant. Ces caisses justement, elles ont quand même été vidées ! Et le gouvernement a pris des milliards dans ces caisses pour se porter aux secours des plus riches, des banques. Aujourd'hui, on vient nous dire qu'il n'y a plus rien alors que pour les travailleurs, c'est une question vitale.
LBP. - Il y a donc nécessité pour vous de poursuivre le mouvement social ?
N. A. - Cette mobilisation est le fruit de cette politique-là. Le gouvernement et le patronat veulent faire payer le prix de la crise aux travailleurs. J'espère qu'il y aura d'autres journées et que cette mobilisation ne va pas s'arrêter en si bon chemin.
LBP. - On a vu un peu partout en France certains élus du Parti socialiste se faire chahuter dans les manifestations. Il faut s'en inquiéter ?
N. A. - Je pense que le Parti socialiste a beaucoup déçu quand il était au pouvoir. Ses divisions internes et ses luttes intestines continuent de décevoir ceux qui pensent qu'il pourrait être une solution. C'est vrai que ça contribue à les mettre en colère. Maintenant, nos espoirs, on ne les met pas dans la capacité du Parti socialiste ni de s'opposer au gouvernement ni de revenir au pouvoir. On n'a pas d'illusions là-dessus. On sait que pour renverser le rapport de forces, il faudra bien autre chose que de trouver une tête dans le Parti socialiste qui soit capable de parvenir à la présidence de la République. Il faudra une mobilisation d'envergure, parce que c'est un bras de fer. Le patronat, ça fait 20 ans qu'il ne lâche rien et qu'il reprend tout aux travailleurs. On a imposé la précarité presque à tout le monde.
LBP. - Qu'est-ce qui vous différencie du NPA d'Olivier Besancenot ?
N. A. - Notre politique, c'est quoi ? Nous sommes pour une transformation radicale de la société. Cette minorité qui détient les leviers de l'économie, ces grands groupes, ces grands actionnaires nous emmènent dans le mur. C'est elle qui est responsable de la catastrophe actuelle. Nous pensons qu'il faudrait renverser cette minorité qui dirige, qu'il faudrait que les travailleurs qui produisent prennent les rênes de cette économie. Que nos capacités de production soient mises au service des besoins des gens, que les bras qui sont aujourd'hui mis au chômage soient utilisés pour construire des logements, pour développer l'éducation, la santé pour tous. C'est le programme communiste révolutionnaire. On essaie de convaincre, de rassembler des militants qui se reconnaissent dans ce programme.
Européennes : « Tout est fait dans la loi pour éliminer les petits courants »
Le NPA a une autre démarche. Il essaie de rassembler au-delà de ceux qui peuvent se sentir communiste, d'autres courants, altermondialistes, écologistes, féministes ou même anarchistes.
A Lutte ouvrière, on est aussi écologiste et féministe. L'écologie a été portée par le mouvement ouvrier dès ses débuts. Dans le Capital de Karl Marx, il y a des pages sur l'écologie. Aujourd'hui, on porte aussi ces combats-là. Mais se battre pour l'écologie sans remettre en cause la loi du profit, la propriété privée, c'est un combat qui ne peut pas être mené à bien.
LBP. - Qu'attendez-vous des élections européennes ?
N. A. - Il est peu vraisemblable qu'on ait des élus parce que tout est fait dans la loi électorale pour éliminer les petits courants. C'est une loi qui a été changée par Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l'Intérieur et qui fait qu'on avait des élus en 1999, en faisant une alliance avec la LCR. On a refait la même alliance en 2004. Entre-temps, les règles ont changé.
L'enjeu de ces élections, pour nous, ça ne va pas être d'avoir un, deux ou trois élus de plus. Ça va être de défendre notre politique et de défendre un programme pour que les travailleurs ne subissent pas les conséquences de la crise.
Propos recueillis par Emmanuel HASLE
(*) Ces interviews ont été réalisées vendredi 20 mars, à Dijon, à l'occasion d'une réunion publique organisée au palais des Congrès