Le Lévothyrox continue à faire parler de lui, diverses plaintes sont en cours d'instruction et un nouveau rapport de pharmacovigilance vient d'être remis à l'ANSM, apportant quelques éléments nouveaux.
Il subsiste deux grandes questions :
- Pourquoi les effets secondaires ?
- Pourquoi avoir changé de formule, était-ce vraiment bien nécessaire ?
Pourquoi les effets secondaires ?A la première question, il n'y a pas vraiment de réponse nette. Les symptômes sont ceux d'un déséquilibre thyroïdien (hypo- ou hyperthyroïdie) et il est établi qu'une partie des patients ont été "déséquilibrés" par le changement de formule ; toutefois, selon le nouveau rapport remis à l'ANSM, cela ne représenterait qu'un tiers d'entre eux, les deux autres tiers ayant été contrôlés avec une TSH stable. Il y a une part d'effet nocebo (on se souvient que certains patients non encore passés à la nouvelle formule ont développé les mêmes symptômes en croyant avoir changé de formule), mais elle ne semble pas pouvoir tout expliquer.
Un médecin du Sud-Ouest interrogé par La Dépêche a émis deux hypothèses, qui sont en cours d'évaluation : l'ancienne formule avait une lévothyroxine (T4) moins pure avec des traces d'une autre hormone, T3 ; la nouvelle a une T4 très pure ; et cela, paradoxalement, rendrait plus difficile le processus métabolique chez certains patients. (Ce n'est pas impossible, il y a d'autres médicaments inefficaces lorsqu'ils sont purs et efficaces lorsqu'il y a certaines impuretés). Par ailleurs, le manque relatif d'iode dans les régions françaises les plus éloignées de la mer, et de sélénium un peu partout, participerait lui aussi à ces difficultés, mais la plupart des compléments alimentaires ont des dosages inadaptés pour répondre à ce dernier besoin. Pour l'instant, ces hypothèses sont jugées "séduisantes" par les autorités mais n'ont pas encore fait l'objet d'études pour les valider ou les invalider.
Pourquoi avoir changé de formule, était-ce vraiment bien nécessaire ?C'est là la question la plus dérangeante pour les autorités et l'industriel. Elles continuent de qualifier la nouvelle formule de produit de "meilleure qualité", parce que stable plus longtemps (et aussi parce que le principe actif est plus pur ?)
Les autorités continuent d'affirmer que ce changement était nécessaire, pourtant pendant des décennies les patients prenaient le médicament sans que cela pose de problème particulier... sauf à une minorité d'entre eux, qui avait une alternative.
Je continue de penser qu'il y a derrière tout ça un marché, explicite ou tacite, entre Merck et les autorités françaises. (C'est une pratique courante). Voici mon hypothèse :
- L'ancienne formule de Lévothyrox contenait du lactose, et il y a des patients intolérants au lactose. Jusqu'en 2016, il existait un générique du laboratoire Biogaran (Servier), sans lactose ; mais du fait de la faiblesse des volumes vendus (j'ai déjà expliqué plus haut pourquoi Merck avait un quasi-monopole en France), il a retiré son produit du marché, laissant donc sans solution les patients intolérants au lactose.
- Les autorités ont donc fait pression sur Merck pour le passage à une nouvelle formule qui conviendrait à tous les patients, même ceux intolérants au lactose ; d'où la nouvelle formule à base de mannitol et d'acide citrique, censée incarner une solution idéale pour tous les patients et ayant, en outre, l'avantage d'une durée de conservation plus grande (un argument bien utile pour justifier le changement).
- La France représentant le plus gros marché européen de Merck en Lévothyrox (grâce au monopole), une telle décision de basculement qui, sur le moment, coûte à Merck, devait avoir pour contrepartie le maintien de son monopole (mais ça, si c'est vrai, c'est indicible). Peut-être y a-t-il eu aussi une négociation autour de l'évolution future du prix du produit.
- Pour rentabiliser davantage la nouvelle formule, Merck a pris la décision de l'étendre à toute l'Europe ; la France est le premier pays à avoir basculé, mais il est envisagé qu'il en soit de même partout ailleurs. Merck a d'ailleurs fait appel à un sous-traitant (l'usine Famar à Alcorcon près de Madrid) pour l'aider à démarrer la production de la nouvelle formule à destination de l'Europe hors France (ça c'est une certitude mais vous ne le trouverez écrit nulle part dans la presse, vive l'anonymat du FALO !) tandis que l'ancienne est encore produite à Darmstadt en Allemagne ; les investissements nécessaires sont quasiment achevés, la production va bientôt pouvoir démarrer.
- Merck trouvera un gain de productivité, donc une meilleure rentabilité, à travers l'homogénéisation des formules à travers toute l'Europe. Moins de variété, c'est moins de nettoyages et de changements de format et davantage de temps d'utilisation des machines.
- Le hic, ce qui n'était pas prévu, c'est l'ampleur du problème d'effets secondaires qui a fait qu'une minorité de patients a réclamé à cor et à cris le retour de l'ancienne formule. Merck en produit encore pour les autres pays européens, mais c'est destiné à disparaître et ce n'est pas du tout son intérêt de revenir en arrière pour des raisons d'optimisation industrielle, et les autorités ne le souhaitent pas non plus.
- Cette situation a donc ouvert la voie pour que les autorités, à contrecoeur, organisent l'importation de boîtes de l'ancienne formule Merck (redirigées donc vers la France), et l'importation de produits concurrents du Lévothyrox présents dans les pays voisins (qui ont, dans ces pays, des parts de marché significatives, par exemple en Allemagne L-THYROXIN HENNING de Sanofi se vend davantage que le produit de Merck).
- Cela menacerait donc l'accord explicite ou tacite concernant le monopole de Merck en France, et c'est pourquoi, loin d'être largement disponibles ces produits sont fortement contingentés, strictement réservés à la minorité de patients concernés par des effets secondaires, au grand dam des patients dont certains expliquent les difficultés qu'ils ont pour en obtenir. Par exemple dans ce témoignage publié sur Médiapart :
Lévothyrox: une pénurie kafkaïenne des nouveaux médicaments
16 janv. 2018 Par sue landau Blog : Le blog de sue landau
Malgré les promesses du gouvernement, le cauchemar continue pour les malades de la thyroïde. De nouveaux traitements devraient être disponibles pour ceux qui souffraient des effets secondaires liés à la nouvelle formule du Lévothyrox, seul médicament jusqu'alors autorisé. Mais début 2018, ces traitements se font rares. Pas drôle si votre santé dépend de la prise quotidienne du bon comprimé.
On se croirait presque dans un pays du Tiers Monde. Aujourd’hui en France, les patients qui ont démarré l’un de ces nouveaux traitements de la thyroïde – car la nouvelle version de leur médicament habituel leur rendait malades – sont laissés dans la crainte permanente de manquer du médicament. J’en fais partie.
Voici le problème : début avril 2017 le laboratoire Merck remplace l’ancien Lévothyrox par une nouvelle formule, mais quelques mois plus tard les associations des malades de la thyroïde font état d’effets secondaires gênants, voire graves, parmi les trois millions de patients ayant pris le médicament, sans avoir d’autre choix.
Pour le Ministère de la Santé et son agence de sécurité des médicaments (ANSM), la solution était de faire venir d’autres médicaments de la thyroïde en France. Deux sont clés : l’ancienne formule du Lévothyrox, maintenant baptisée Euthyrox, que Merck va importer d’Allemagne jusqu’en fin 2018 ; et le L-Thyroxin Henning du laboratoire Sanofi, qui est également vendu en Allemagne.
Mais malgré les annonces en octobre dernier prétendant que le scandale du Lévothyrox avait ainsi été résolu, je peux attester qu’en ce début de 2018, on en est encore très loin.
Dans la foulée de ces annonces, après avoir constaté depuis le printemps certains symptômes gênants plutôt que graves, j’ai voulu changer pour le L. Thyroxin Henning de Sanofi. Et il s’avère que les endocrinologues préconisent cette molécule.
La Société Française d’Endocrinologie écrit dans un document daté du 15 octobre dernier : “En cas d’effets indésirables persistants malgré un équilibre hormonal, envisager un changement de spécialité… prioritairement vers la spécialité L-Thyroxin Henning du laboratoire Sanofi, disponible de manière pérenne à partir de mi-octobre 2017.”
Donc fin octobre, armée de ma nouvelle ordonnance, je me présente à la pharmacie. Déjà ce n’est pas simple. La pharmacie avait reçu la consigne de ne distribuer qu’une seule boite par jour parmi toute sa clientèle. Heureusement, ce jour-là, la boite était pour moi, et ça me permet de couvrir les trois prochains mois. Mes symptômes se sont progressivement atténués.
Mais mi-janvier arrive le moment de renouveler, et tout redevient compliqué. Deux pharmacies m’informent qu’il leur est impossible d’obtenir du L-Thyroxin Henning. L’une essaie d’en trouver pendant une semaine, l’autre ne peut proposer que de l’Euthyrox. Mais on ne doit pas changer de molécule sans avis médical.
Puis un coup de fil de mon généraliste, qui a téléphoné à Sanofi pour se renseigner sur la disponibilité du L-Thyroxin Henning, m’expliquant que le médicament serait dans l’attente d’une autorisation de mise sur le marché en France. Entretemps, il est importé de manière sporadique de l’Allemagne.
Pourtant une telle autorisation est normalement accordée par les mêmes autorités qui ont annoncé en grande pompe la disponibilité du médicament en octobre. Une situation pour le moins kafkaïenne.
Et même si l’on a pu me proposer de l’Euthyrox, l’ancienne formule qui ne produisait pas d’effets secondaires chez ces patients, ce molécule n’est pas non plus très facilement trouvable, d’après les pharmaciens à qui j’ai parlé. “On nous ment sur tout depuis le début dans cette affaire,” me dit l’un des pharmaciens.
Retour à la première pharmacie, où il s’avère que cette fois, le grossiste est en mesure de proposer des boites du L-Thyroxin Henning, mais pas au dosage dont j’ai besoin. Néanmoins ça peut aller, car je peux faire l’appoint en prenant deux comprimés au lieu d’un. Mais combien d’autres peinent à renouveler leurs traitements ?
Alors, la fin du cauchemar sera pour quand ? Lorsqu’on souffre d’une condition médicale qui vous oblige à prendre un comprimé tous les jours sous peine de l’empirer, il est tout simplement inadmissible, dans un pays comme la France, de devoir aller de pharmacie en pharmacie pour obtenir son traitement.
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Ce faisant, le monopole de Merck est quasi maintenu à plus de 99 %.
Il est aussi important de comprendre que ces produits ne sont pas si faciles que ça à fabriquer. Par exemple, une polémique porte actuellement sur le fait que l'usine Merck d'Orléans-Semoy fabrique ou pas l'ancienne formule et puisse répondre à la demande. En fait, cela fait longtemps qu'elle n'en fait plus, même si elle est toujours enregistrée comme lieu de fabrication potentiel. Et elle n'est plus équipée pour le faire. La lévothyroxine est une une hormone très active à faibles doses, nécessitant d'être manipulée dans une zone dédiée et bien isolée du reste de l'usine pour éviter le risque de contamination croisée avec un autre médicament : à Orléans, cette zone dédiée n'existe plus depuis longtemps et la place a été occupée par autre chose. Remettre en place une zone dédiée est coûteux et Merck n'a pas du tout envie de le faire. Pour les mêmes raisons, les fabricants de génériques qui n'ont eu que de petits volumes ne rentabilisaient pas leurs installations et sont sortis du marché. Si le sous-traitant Famar en Espagne peut fabriquer la nouvelle formule Merck pour l'Europe, c'est parce qu'il dispose déjà d'une zone dédiée où il fabrique notamment le produit du concurrent de Merck, Sanofi.