qu'est ce que le GIEC?
Quelle crédibilité apporter à ce rapport?
dans Libération deux articles:
a écrit :
[center]Des experts à deux casquettes[/center]
Depuis 1990, le Giec associe rigueur scientifique et consensus diplomatique.
Par Sylvestre HUET
QUOTIDIEN : lundi 29 janvier 2007
Le climat, c'est comme le rugby, en cas de doute, un retour aux fondamentaux s'impose. Faut-il ou pas entrer dans l'ère d'une diète volontaire d'énergie fossile ? Considérer charbon, pétrole et gaz 80 % de l'énergie mondiale comme des amis dangereux, et s'en passer le plus possible ? En principe, la décision en a été prise... en 1992. Lorsque fut signée, à Rio de Janeiro, la convention des Nations unies sur le climat. En pratique, un seul et timide pas a été fait, avec le protocole de Kyoto (1997), par les pays industrialisés qui se sont engagés à diminuer de 5 % leurs émissions d'ici à 2012 relativement à 1990. Sauf que...
Réduction drastique.
Sauf que les Etats-Unis, principal émetteur de gaz à effet de serre sur la planète malgré son faible poids démographique (25 % des émissions pour 5 % de la population mondiale), se sont retirés du protocole. Sauf que, en 1992, les émissions mondiales de CO2 (carbone fossile et déforestation) atteignaient sept milliards de tonnes de gaz carbonique, contre neuf milliards de tonnes en 2008, malgré la hausse des prix du pétrole et du gaz. Sauf que, parmi les pays qui ont ratifié Kyoto, plusieurs, comme le Canada ou l'Espagne, ne semblent pas en mesure de tenir leurs engagements. Sauf que les nouveaux géants industriels Chine, Inde, Brésil voient leurs émissions grimper à vive allure et que personne ne s'avance à prédire quand cette tendance pourrait se retourner. L'humanité hésite, manifestement, devant le traitement requis par les climatologues. D'où l'intérêt d'un retour sur leur diagnostic : quid du climat futur, si nous persistons dans cette voie ? Est-il assez solide pour justifier la mutation énergétique, technologique, économique et sociétale nécessaire à la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre qu'ils recommandent ?
La question se trouve au coeur d'une réunion singulière, à Paris, toute cette semaine. Singulière puisqu'elle réunit certes les scientifiques dont le diagnostic climatique est le métier mais dans le cadre de délégations gouvernementales. Conséquence du statut hybride, et remarquable, du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec, IPCC en anglais). Créé en 1988 par l'ONU et l'Organisation météorologique mondiale, il a joué un «rôle décisif dans la marche en avant de la diplomatie du climat», soutient le climatologue Jean Jouzel.
Son premier rapport, publié en 1990, a servi d'argumentaire à l'écriture de la convention de l'ONU par laquelle plus de 150 pays, se déclarent «résolus à préserver le système climatique pour les générations présentes et futures». Le second, en 1995, a nourri les rudes négociations qui ont abouti au protocole de Kyoto, en 1997, où les pays industrialisés s'engageaient à des réductions d'émissions d'ici à 2012. Le troisième, en 2001, a notamment réuni un consensus scientifique sur l'affirmation selon laquelle l' «influence de l'homme sur le climat» était déjà perceptible. La prochaine synthèse globale (1), en particulier le redoutable «résumé pour décideurs», voté phrase par phrase par toutes les délégations, sera publiée cet automne, juste avant la Conférence des parties de la convention où «l'après Kyoto» viendra en négociations.
Résumé pour décideurs.
Cette semaine, c'est le groupe 1 du Giec, chargé des sciences du climat, qui doit rendre sa copie. Les délégations gouvernementales vont donc, sur la base d'un texte déjà longuement discuté, mettre la dernière main à son «résumé pour décideurs». Souvent, ces dernières sont constituées de scientifiques, accompagnées d'un ou deux diplomates. C'est le cas de la délégation française, dirigée par Marc Gillet, de l'Observatoire national sur l'effet du réchauffement climatique, forte de huit personnes, dont six scientifiques. D'autres pays, notamment du Sud et producteurs de pétrole, sont moins fournis en climatologues, et plus en hauts fonctionnaires.
Marc Gillet s'attend à des discussions serrées «sur le risque d'événements extrêmes, la fonte des glaciers continentaux, la circulation océanique...». Mais prédit que, comme d'habitude, les résistances politiques vont céder devant la force des argumentaires scientifiques. La menace de voir une note signaler que tel gouvernement refuse de reconnaître un résultat scientifique validé par la plupart des pays suffit souvent pour que les récalcitrants «laissent tomber leur objection». Quant au «lobbying productiviste», s'amuse-t-il, «celui des ONG le compense». De toute façon, il est décidé à ne céder ni à l'un ni à l'autre, le «catastrophisme n'est pas une bonne démarche, il peut se retourner sur le mode de la fable où l'on crie trop souvent au loup.»
Alerte renforcée.
Depuis 2001, le dernier rapport du Giec, les scientifiques ont accumulé résultats et questions. Parfois les nouvelles sont bonnes. Ainsi, même le Earth simulator japonais, le plus puissant des supercalculateurs chargés de simuler le climat futur, n'a pas trouvé trace dans ce dernier d'une menace cyclonique en augmentation sous les tropiques. Pourtant, sa puissance lui a permis d'utiliser des mailles de calcul de quelques kilomètres de côtés seulement, contre une centaine pour la plupart des supercalculateurs.
A l'inverse, la plupart des avancées scientifiques ont plutôt renforcé l'alerte climatique. «Je ne vois aucune conclusion qui revienne en arrière, affirme Gillet, alors que des éléments supplémentaires sont venus appuyer le diagnostic initial.» La succession d'années plus chaudes que la moyenne depuis 2000, l'accélération de la course vers la mer des glaciers du Groenland, le réchauffement des océans... «Ce rapport comporte de nombreuses indications et de nombreux éléments qui établissent de manière claire non seulement le fait que le changement climatique a bien lieu, mais aussi que c'est réellement l'activité humaine qui influence ce changement», a annoncé depuis le président du Giec, Rajendra Pachauri.
(1) Baptisée «AR4», elle est élaborée par 450 auteurs principaux, 800 auteurs, relecteurs et éditeurs et fait appel à un réseau de 2500 scientifiques de 130 pays.
et
a écrit :«Les arguments sont scientifiques et non politiques»
Jean Jouzel, vice-président du groupe 1 du Giec, détaille le fonctionnement de cette institution originale.
Par Sylvestre HUET
QUOTIDIEN : lundi 29 janvier 2007
Directeur de l'Institut Pierre-Simon-Laplace, Jean Jouzel a participé avec Claude Lorius à la reconstitution de l'histoire du climat à partir des glaces de l'Antarctique. Leur découverte, en 1987, des relations entre la teneur en gaz à effet de serre et l'évolution climatique sur les derniers 150 000 ans, avec la glace forée par les Russes à la station Vostok, a joué un rôle décisif. En 2004, cette analyse s'étendait sur 740 000 ans grâce aux carottes forées par les Européens à la station Concordia. Vice-président du groupe 1 du Giec, Jean Jouzel y est le chef de file des scientifiques français.
Quel est le sujet de la réunion du Giec qui débute aujourd'hui ?
Les rapports du Giec, parus en 1990, 1995 et 2001, se composent de trois volets : l'état des connaissances scientifiques sur le climat, les impacts régionaux du changement climatique et l'adaptation des sociétés, l'économie de l'effet de serre et la réduction des émissions. La conférence de Paris porte seulement sur le premier volet. Le second fera l'objet d'une conférence du 2 au 5 avril à Bruxelles. Le troisième sera traité du 30 avril au 3 mai à Bangkok. Enfin, du 12 au 16 novembre 2007, à Valence, nous adopterons une synthèse d'ensemble du rapport. Tout cela résulte de trois années d'efforts des scientifiques, d'économistes, de chercheurs en sciences humaines et en santé, pour présenter un état des connaissances et de questions qui restent posées. Il s'agit de porter un diagnostic critique sur la science qui s'est faite depuis le rapport précédent paru en 2001.
Que doit-on attendre de ce diagnostic ?
Nous appliquons une règle stricte : nos rapports s'appuient sur des articles publiés ou au moins acceptés par des revues scientifiques à comité de lecture. Ils ont donc passé les étapes de revue critique par les pairs et les données scientifiques qu'ils contiennent ont déjà été publiées. Mais une synthèse s'impose car cette production scientifique est très large, forte de milliers d'articles parfois contradictoires. Il faut centrer l'attention sur les résultats les plus importants en termes de compréhension du climat et de son changement sous l'effet des émissions de gaz à effet de serre. Le rapport complet d'environ 1 000 pages s'adresse aux chercheurs, aux enseignants, et à toute personne disposée à faire l'effort de lecture. Le résumé technique de 50 pages et le résumé pour décideurs s'adressent aux opinions publiques, aux responsables politiques, aux médias. Ce rapport permet un message clair, critique, consensuel sur les aspects les plus importants comme les causes du changement climatique actuel, sa mesure, les projections à échéance de quelques décennies en fonction des scénarios d'émissions. L'opinion publique doit savoir que cela se traduit par une approche plutôt prudente des résultats scientifiques, du diagnostic et des prévisions. Les rapports du Giec risquent plus de sous-estimer les changements climatiques que de les exagérer.
La relecture du résumé pour décideurs par des représentants des gouvernements est critiquée comme une ingérence politique, qu'en est-il ?
La première relecture, faite début 2006, a été réalisée par plusieurs centaines de scientifiques. Puis par des personnes nommées par les gouvernements. Mais ces dernières sont en général des scientifiques reconnus et impliqués dans la recherche climatologique. Si le représentant d'un gouvernement propose une modification de texte, il doit apporter des arguments scientifiques, publiés dans une revue, à l'appui de chaque demande. Si quelqu'un veut dire que l'été 2003 n'a pas été, en Europe, plus chaud que l'été moyen des trente dernières années, il doit apporter des mesures contredisant celles des organismes météo. Je peux témoigner que les arguments échangés sont scientifiques et non politiques. Nous avons décidé qu'à la fin du processus de relecture, les deux textes Ñ d'origine et final Ñ seront publiés par le Giec sur son site web. Chacun pourra donc juger des évolutions. Elles s'appuient toutes sur le corpus scientifique considérable déjà accumulé. Je vois un intérêt à l'approbation du résumé par les représentants des gouvernements, car cela donne un poids politique indéniable à ce texte, au détriment des pouvoirs politiques qui souhaiteraient ne pas en tenir compte.
Quel rôle ce rapport doit jouer auprès de l'opinion publique, des médias et des responsables politiques ?
Pour l'opinion publique et la presse, il y a toujours débat. On l'a vu en France récemment avec des propos publics de scientifiques mettant en cause nos conclusions. L'un des mérites du rapport est de porter le diagnostic de toute une communauté scientifique. Les sceptiques, quoique scientifiques, se situent la plupart du temps en dehors de cette communauté de travail sur le climat. C'est important que l'opinion publique le sache. C'est important pour les groupes industriels qui vont bâtir leur stratégie en intégrant les contraintes du climat, pour s'y adapter ou réduire leurs émissions. C'est important pour les responsables politiques, confrontés à la prise de décision. Le rapport final leur sera remis avant la prochaine conférence des parties de la convention climat de l'ONU, en décembre 2007. Elle doit aborder de front sa mise en oeuvre après la période de Kyoto (2012) et donc l'intégration dans le processus des Etats-Unis et des pays en voie de développement Inde et Chine, Amérique Latine, Afrique... Les rapports du Giec ont servi de base aux négociations diplomatiques. L'objectif de diminuer les émissions par deux d'ici à 2050, par quatre pour les pays industrialisés, est inscrit sur l'agenda politique de plusieurs pays dont l'Union européenne. C'est un résultat direct des rapports de synthèse du Giec qui ont tissé un lien de qualité entre la communauté scientifique et les responsables politiques.