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[center][b]Les animaux malades de leurs congénères[/b][/center]
LE MONDE | 23.01.07 |
Le lynx pardelle à la robe mouchetée de noir, l'hydrontin aux oreilles d'âne, l'élan aux bois altiers, le phoque moine de Méditerranée, la grande grue des cavernes, le pélican frisé, l'ibis chauve, le canard siffleur, l'aigle criard, la siciste des bouleaux, la tortue caouanne...
Ces vertébrés reposent au cimetière des espèces disparues de France au cours de l'holocène, c'est-à-dire depuis la fin de la dernière période glaciaire, voilà quelque 11 000 ans. Elles sont 50 à avoir subi le même sort, dont 13 sont définitivement éteintes, rayées de la surface de la planète.
Dans le même temps, 89 espèces nouvelles, ou allochtones, se sont installées sur le territoire national : la fouine et le ragondin, le grèbe à cou noir et le fulmar boréal, le canard mandarin et le courlis cendré, la perruche à collier et le capucin bec-de-plomb, la tortue mauresque et le lézard des ruines, le carassin doré et le silure glane...
Cinquante espèces perdues, 89 autres gagnées : pour la biodiversité, la balance semble positive. Mais l'arithmétique et la vie ne font pas bon ménage. Les animaux introduits en France étaient déjà présents sur d'autres continents et ne compensent donc pas les extinctions. "On assiste, à l'échelle du globe, à une banalisation des faunes", s'inquiète Michel Pascal, de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA).
Ce spécialiste des écosystèmes vient de réaliser, avec Olivier Lorvelec (INRA) et Jean-Denis Vigne (CNRS), le premier recensement des vertébrés ayant un jour marché, volé, nagé ou rampé sur le territoire métropolitain. Une revue animalière qui s'appuie sur le travail d'une soixantaine de paléontologues, archéozoologues, historiens, écologues, épidémiologistes et naturalistes.
Premier constat : l'histoire des vertébrés a été fortement influencée par le plus "éminent" d'entre eux, l'homme moderne. Certes, quelques-uns n'ont pas survécu à la hausse des températures qui a marqué l'entrée dans l'holocène, comme le lagopède des saules ou plusieurs variétés de campagnols. C'est aussi le réchauffement climatique qui met aujourd'hui en concurrence certaines espèces, en modifiant leurs aires de répartition.
Mais, bien souvent, le coupable est Sapiens sapiens, qui a exterminé, pour leur viande ou leur peau, le cheval sauvage, l'aurochs et le bison d'Europe, le grand pingouin et le phoque gris, l'élan et - avant sa réintroduction - le lynx boréal. Plus récemment, l'agriculture, l'urbanisation, les voies de communication, le tourisme ont détruit les milieux naturels. Signe de cette pression anthropique, le rythme des disparitions s'est accéléré, passant de moins de une par siècle jusqu'au Moyen Age à plus de 10 par siècle depuis l'ère industrielle.
[b]COMMERCE OU AGRÉMENT[/b]
Les introductions d'espèces nouvelles, ou invasions biologiques, se sont simultanément multipliées depuis le début du XIXe siècle. Ces colonisations, souvent naturelles, ont aussi été le fait de l'homme, qui a acheminé les intrus dans les cales de ses bateaux ou les soutes de ses avions. A son insu, ou volontairement, pour en faire le commerce ou pour son agrément. Et, parfois, au détriment des espèces autochtones.
Ainsi de la grenouille taureau, importée de Floride, en 1968, par un pilote de ligne qui en a lâché quelques couples dans un bassin d'ornementation près de Bordeaux, d'où le batracien a gagné le grand Sud-Ouest. Dix fois plus gros que les grenouilles vertes locales, il supplante aujourd'hui ses congénères, par prédation directe ou par la compétition de ses têtards plus robustes. Autre exemple, le vison d'Amérique, introduit en France dans les années 1920 pour alimenter l'industrie de la pelleterie, et qui a entraîné la raréfaction de son cousin d'Europe.
Les écosystèmes originels ne sont pas seuls menacés. Elevé en France depuis la fin du XIXe siècle pour sa fourrure, le ragondin, animal fouisseur, est à l'origine de dégradations de berges et d'ouvrages hydrauliques. Autre risque, les parasites et agents pathogènes dont sont porteurs les nouveaux venus, tels que les rats musqués, noir et surmulot, ou de nombreuses variétés de poissons introduites pour la pisciculture, comme la carpe, la truite arc-en-ciel, ou le sandre.
"Les invasions biologiques peuvent avoir un impact désastreux sur la biodiversité, commente Michel Pascal. Si l'ignorance peut excuser les introductions d'un lointain passé, ce n'est plus le cas."
Pierre Le Hir
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[center][b]Les animaux malades de leurs congénères[/b][/center]
LE MONDE | 23.01.07 |
Le lynx pardelle à la robe mouchetée de noir, l'hydrontin aux oreilles d'âne, l'élan aux bois altiers, le phoque moine de Méditerranée, la grande grue des cavernes, le pélican frisé, l'ibis chauve, le canard siffleur, l'aigle criard, la siciste des bouleaux, la tortue caouanne...
Ces vertébrés reposent au cimetière des espèces disparues de France au cours de l'holocène, c'est-à-dire depuis la fin de la dernière période glaciaire, voilà quelque 11 000 ans. Elles sont 50 à avoir subi le même sort, dont 13 sont définitivement éteintes, rayées de la surface de la planète.
Dans le même temps, 89 espèces nouvelles, ou allochtones, se sont installées sur le territoire national : la fouine et le ragondin, le grèbe à cou noir et le fulmar boréal, le canard mandarin et le courlis cendré, la perruche à collier et le capucin bec-de-plomb, la tortue mauresque et le lézard des ruines, le carassin doré et le silure glane...
Cinquante espèces perdues, 89 autres gagnées : pour la biodiversité, la balance semble positive. Mais l'arithmétique et la vie ne font pas bon ménage. Les animaux introduits en France étaient déjà présents sur d'autres continents et ne compensent donc pas les extinctions. "On assiste, à l'échelle du globe, à une banalisation des faunes", s'inquiète Michel Pascal, de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA).
Ce spécialiste des écosystèmes vient de réaliser, avec Olivier Lorvelec (INRA) et Jean-Denis Vigne (CNRS), le premier recensement des vertébrés ayant un jour marché, volé, nagé ou rampé sur le territoire métropolitain. Une revue animalière qui s'appuie sur le travail d'une soixantaine de paléontologues, archéozoologues, historiens, écologues, épidémiologistes et naturalistes.
Premier constat : l'histoire des vertébrés a été fortement influencée par le plus "éminent" d'entre eux, l'homme moderne. Certes, quelques-uns n'ont pas survécu à la hausse des températures qui a marqué l'entrée dans l'holocène, comme le lagopède des saules ou plusieurs variétés de campagnols. C'est aussi le réchauffement climatique qui met aujourd'hui en concurrence certaines espèces, en modifiant leurs aires de répartition.
Mais, bien souvent, le coupable est Sapiens sapiens, qui a exterminé, pour leur viande ou leur peau, le cheval sauvage, l'aurochs et le bison d'Europe, le grand pingouin et le phoque gris, l'élan et - avant sa réintroduction - le lynx boréal. Plus récemment, l'agriculture, l'urbanisation, les voies de communication, le tourisme ont détruit les milieux naturels. Signe de cette pression anthropique, le rythme des disparitions s'est accéléré, passant de moins de une par siècle jusqu'au Moyen Age à plus de 10 par siècle depuis l'ère industrielle.
[b]COMMERCE OU AGRÉMENT[/b]
Les introductions d'espèces nouvelles, ou invasions biologiques, se sont simultanément multipliées depuis le début du XIXe siècle. Ces colonisations, souvent naturelles, ont aussi été le fait de l'homme, qui a acheminé les intrus dans les cales de ses bateaux ou les soutes de ses avions. A son insu, ou volontairement, pour en faire le commerce ou pour son agrément. Et, parfois, au détriment des espèces autochtones.
Ainsi de la grenouille taureau, importée de Floride, en 1968, par un pilote de ligne qui en a lâché quelques couples dans un bassin d'ornementation près de Bordeaux, d'où le batracien a gagné le grand Sud-Ouest. Dix fois plus gros que les grenouilles vertes locales, il supplante aujourd'hui ses congénères, par prédation directe ou par la compétition de ses têtards plus robustes. Autre exemple, le vison d'Amérique, introduit en France dans les années 1920 pour alimenter l'industrie de la pelleterie, et qui a entraîné la raréfaction de son cousin d'Europe.
Les écosystèmes originels ne sont pas seuls menacés. Elevé en France depuis la fin du XIXe siècle pour sa fourrure, le ragondin, animal fouisseur, est à l'origine de dégradations de berges et d'ouvrages hydrauliques. Autre risque, les parasites et agents pathogènes dont sont porteurs les nouveaux venus, tels que les rats musqués, noir et surmulot, ou de nombreuses variétés de poissons introduites pour la pisciculture, comme la carpe, la truite arc-en-ciel, ou le sandre.
"Les invasions biologiques peuvent avoir un impact désastreux sur la biodiversité, commente Michel Pascal. Si l'ignorance peut excuser les introductions d'un lointain passé, ce n'est plus le cas."
Pierre Le Hir
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