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Message Publié : 18 Jan 2007, 22:29
par canardos
non que je veuille relancer le débat mais j'ai trouvé en lisant des articles de psychologie cognitive un débat tres interessant sur ce sujet:

premier article:

a écrit :

[center]Un point de vue scientifique sur l’enseignement de la lecture[/center]

[version intégrale d’une lettre au Monde de l’éducation, mars 2006]

Dans le débat sur " les méthodes de lecture ", la Science a bon dos. Invoquée à la fois par le Ministre de l’Education Nationale et par ses opposants, elle semble se plier aux différents points de vue. Pourtant, après maints débats alimentés de citations tronquées, les nuances d’un point de vue qui vise à l’objectivité scientifique n’ont toujours pas réussi à se faire entendre. Il nous paraît donc important de clarifier ce que les recherches scientifiques permettent (ou pas) de dire.
Tout d’abord, nous affirmons avec force que la question de l’efficacité comparée de différentes pratiques pédagogiques est une question qui peut et qui doit être abordée de manière scientifique. En médecine il est devenu un lieu commun que l’approche scientifique, et elle seule, permet de déterminer lequel de deux traitements est le plus efficace (en comparant statistiquement leurs effets sur deux groupes de patients suffisamment nombreux). Il en est de même dans le domaine de l’éducation. Les enseignants ont une expérience incomparable des enfants et de leurs propres pratiques, et ils en tirent parfois des idées novatrices, mais ils ne sont pas en position (pas plus que les médecins traitants) d’évaluer de manière objective l’efficacité de leurs pratiques. Si leurs observations et leurs idées sont une source irremplaçable qui doit alimenter et enrichir la recherche scientifique, seule cette dernière, en menant des études rigoureusement contrôlées, est en mesure de déterminer avec certitude quelles pratiques sont objectivement les meilleures.
Que dit donc la recherche scientifique sur les méthodes d’enseignement de la lecture?
Tout d’abord deux précisions. Si les recherches que nous citons sont essentiellement anglophones (car beaucoup plus nombreuses), elles incluent également quelques études francophones dont les résultats vont globalement dans le même sens. Deuxièmement, les mots "syllabique" et "globale" ne font pas partie du vocabulaire scientifique car trop ambigus. Les recherches se sont plus précisément attachées à comparer l’efficacité des méthodes en fonction de l’importance accordée au déchiffrage (des lettres en sons, ou plus précisément des graphèmes en phonèmes) : le déchiffrage est-il enseigné ou non, de manière systématique ou pas, précocement ou pas ? Les résultats sont les suivants :
1. l'enseignement systématique du déchiffrage est plus efficace que son enseignement non systématique ou absent;
2. l'enseignement systématique du déchiffrage est plus efficace lorsqu'il démarre précocement que lorsqu'il démarre après le début de l'apprentissage de la lecture;
3. les enfants qui suivent un enseignement systématique du déchiffrage obtiennent de meilleurs résultats que les autres, non seulement en lecture de mot, mais également en compréhension de texte (contrairement aux idées reçues sur les méfaits du déchiffrage qui conduirait à ânonner sans comprendre) ;
4. l'enseignement systématique du déchiffrage est particulièrement supérieur aux autres méthodes pour les enfants à risque de difficultés d'apprentissage de la lecture, soit du fait de faiblesses en langage oral, soit du fait d'un milieu socio-culturel défavorisé;
5. du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l’approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe et le mot).
Les programmes de 2002 tiennent-ils compte de ces résultats?
Ils s’en sont largement inspirés, ce qui est déjà un progrès considérable. Pourtant, après un long passage explicitant l’enseignement du déchiffrage, vient un paragraphe plus ambigu : "On considère souvent aujourd'hui que [les méthodes globales comportent] plus d'inconvénients que d'avantages […] On peut toutefois considérer que la plupart de ces méthodes […] parviennent aussi à enseigner […] les relations entre graphèmes et phonèmes. Il appartient aux enseignants de choisir la voie qui conduit le plus efficacement tous les élèves à toutes les compétences fixées par les programmes ". Ainsi, les programmes sont globalement compatibles avec les connaissances scientifiques, mais un court passage laisse la porte ouverte à toutes les méthodes.
Y a-t-il donc lieu de décréter l’état d’urgence?
Probablement pas. Il semble qu’une grande majorité de professeurs des écoles enseignent effectivement le déchiffrage dès le début du CP, et la plupart des manuels publiés respectent l’esprit des programmes. Néanmoins, il faudrait à tout prix éviter que dans une minorité de classes les enfants perdent les premières semaines voire les premiers mois du CP à faire semblant de lire en devinant les mots. Pour cette raison, une clarification des programmes serait utile, tout comme le suivi de leur mise en application effective, en relation avec les personnels des IUFM et des différents corps d’inspection.
Faut-il donc revenir aux vieilles méthodes enseignant exclusivement le B-A-BA de manière répétitive et dénuée de sens?
Certainement pas. Sur ce point nous rejoignons largement l’avis du monde enseignant pour dire que les méthodes qui, dans l’état actuel de l’art, semblent optimales, initient l’enfant non seulement au déchiffrage, mais également à la morphologie, à la syntaxe, à la compréhension de textes ayant un sens, ainsi qu’à l’écriture. Simplement, le déchiffrage doit être présent dès le début du CP.
Peut-on espérer d’une telle réforme l’éradication de l’illettrisme?
L’obligation d’enseigner le déchiffrage dès le début du CP serait un net progrès pour la minorité d’enfants qui actuellement n’en bénéficieraient pas. Cela réduirait sans doute marginalement l’illettrisme, sans pour autant l’éradiquer. Les causes de l’illettrisme sont multiples, incluant de nombreux facteurs socio-culturels et une faible maîtrise de la langue orale. L’école (notamment maternelle) a un rôle important à jouer à ces niveaux aussi. Quant à la dyslexie, elle concerne un groupe très minoritaire d’enfants souffrant d’un trouble spécifique de l’apprentissage de la lecture, pour qui l’enseignement précoce du déchiffrage est aussi bénéfique, à défaut d’être réellement curatif.
L’évaluation scientifique des méthodes et pratiques remet-elle en cause la liberté pédagogique des enseignants ?
Dans l’état actuel des connaissances, les données scientifiques ne conduisent qu’à une seule recommandation forte: enseigner systématiquement et précocement le déchiffrage, en parallèle avec les autres compétences langagières. Cela laisse toute latitude aux enseignants pour déterminer les modalités de cet enseignement. Néanmoins, les études scientifiques dont nous avons fait état n’explorent qu’une infime partie des paramètres sur lesquels on pourrait jouer pour améliorer encore l’enseignement de la lecture. La recherche scientifique appliquée à l’éducation doit donc encore être développée et soutenue. Toutes les pratiques pédagogiques en vigueur à l’école sont largement perfectibles, encore faut-il disposer d’études fiables pour fonder les évolutions.

Franck Ramus, Chargé de Recherches au CNRS
Séverine Casalis, Maître de Conférences à l'Université Lille 3
Pascale Colé, Professeur à l’Université de Savoie
Alain Content, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles
Jean-François Démonet, Directeur de Recherches à l’INSERM
Elisabeth Demont, Professeur à l’Université de Strasbourg
Jean Ecalle, Maître de Conférences à l’Université Lyon 2
Jean-Emile Gombert, Professeur à l’Université Rennes 2
Jonathan Grainger, Directeur de Recherches au CNRS
Régine Kolinsky, Chercheur qualifié du FNRS, Communauté française de Belgique
Jacqueline Leybaert, Chargée de Cours à l’Université Libre de Bruxelles
Annie Magnan, Professeur à l’Université Lyon 2
José Morais, Professeur à l'Université Libre de Bruxelles
Laurence Rieben, Professeur à l'Université de Genève
Liliane Sprenger-Charolles, Directrice de Recherches au CNRS
Sylviane Valdois, Directrice de Recherches au CNRS
Pascal Zesiger, Professeur à l'Université de Genève
Johannes Ziegler, Directeur de Recherches au CNRS


Message Publié : 18 Jan 2007, 22:35
par canardos
les réponses:

a écrit :

[center]Lecture : Même les scientifiques devraient être plus prudents[/center]

Rémi Brissiaud

Chers collègues,

Je viens de prendre connaissance du texte intitulé : "La lecture : le point de vue de scientifiques" ( 1 ). C'est en tant qu'enseignant-chercheur de psychologie en IUFM que je rédige cette réaction. En effet, une des missions qui nous est confiée consiste à présenter aux Professeurs des Ecoles (PE) en formation initiale ou continue, les recherches en psychologie de l'apprentissage de l'écrit qui sont susceptibles d'éclairer leur pratique professionnelle future ou actuelle. Même lorsque notre domaine de recherche n'est pas celui-ci, pour que cette partie de notre enseignement soit pertinente, nous avons évidemment la responsabilité de nous informer du mieux possible des principales recherches menées dans ce domaine (ce que nous faisons volontiers parce que c'est un thème passionnant).
Les prises de position qui sont les vôtres vont donc intéresser tous les enseignants-chercheurs de psychologie en IUFM. En tant que tel, je tiens à souligner combien votre positionnement critique vis-à-vis de ceux qui prônent un retour à l'usage de méthodes "enseignant exclusivement le B-A-BA de manière répétitive et dénuée de sens", est le bienvenu. Cette prise de position nous aidera grandement à réfuter certaines interprétations simplistes des recherches dans le domaine.

Cependant, dans certains cas, l'enseignement des psychologues cognitivistes en IUFM ne s'appuie pas seulement sur les résultats des recherches dans le domaine. En effet, notre fonction nous conduit à être assez fréquemment dans des classes (pour des visites institutionnelles ou dans le cadre d'une collaboration avec une équipe d'enseignants) et cette façon d'appréhender ce qui s'y passe, très différente de celle de la psychologie expérimentale, conduit parfois à porter un jugement sévère sur la validité écologique de certaines recherches en psychologie cognitive. Par exemple : que penser des recherches qui visent à comparer des méthodes pédagogiques d'apprentissage de la lecture alors qu'aucune information concernant la pédagogie de la production d'écrit, n'est prélevée dans les classes étudiées ? Dans certaines classes, il apparaît d'emblée que l'activité de production d'écrit concourt de manière très importante au progrès des élèves. L'absence de tout contrôle de ce facteur compromet l'interprétation des résultats des recherches correspondantes.

Or, lorsqu'on lit votre texte à la lumière de cette expérience différente de celle du chercheur, l'une de vos prises de position apparaît aventureuse et, pour tout dire, très inquiétante : pourquoi cette insistance sur le fait que les PE devraient, le plus tôt possible, enseigner de façon systématique le "déchiffrage" ? Pourquoi insister sur le fait qu'ils devraient le faire dès les premiers jours du CP ?

Deux types de pédagogues peuvent se sentir "en faute" parce que ne respectant pas cette préconisation : ceux qui utiliseraient une méthode idéo-visuelle et ceux qui utilisent la méthode naturelle de lecture-écriture élaborée par le mouvement Freinet (ou encore ceux qui s'inspirent de cette méthode). Les premiers n'ont jamais été très nombreux et ils ont quasiment disparu aujourd'hui. Les programmes de 2002, d'ailleurs, stipulent clairement qu'une méthode idéo-visuelle n'est pas conforme aux recommandations officielles. En revanche, bien que ce ne soit qu'une minorité de pédagogues qui utilisent la méthode naturelle de lecture-écriture, ceux qui s'en inspirent sont assez nombreux et, comme vous le notez dans votre texte, les concepteurs des programmes de 2002 ont été attentifs à ne pas rejeter cette méthode en dehors des recommandations officielles. Disposons-nous de résultats concordants qui justifieraient qu'elle soit proscrite aujourd'hui ?

Comme vous le remarquez vous-mêmes, vos préconisations s'appuient sur une méta-analyse de recherches essentiellement anglophones. Si l'on prend au sérieux l'idée que le français et l'anglais sont des langues très différentes dans leur structure intonative et dans la façon dont graphèmes et phonèmes s'y correspondent, les résultats de ces recherches doivent être considérés avec la plus grande circonspection (cf. le texte d'André Ouzoulias : "La révolution du 3 janvier ou le syndrome de la tortue de Floride" - 2 - ou encore le mien : "L'erreur orthographique, l'apprentissage implicite et la question des méthodes de lecture-écriture" - 3 ). Restent, comme vous le dites : "quelques études francophones dont les résultats vont globalement dans le même sens" (la mise en gras est de mon fait). Or, non seulement ces études sont peu nombreuses et ne sont pas concordantes mais, de plus, les chercheurs n'y contrôlent pratiquement jamais ce qui passe sur le versant de la production d'écrit dans les classes qu'ils observent. Devons-nous considérer que cela constitue un corpus de résultats scientifiques suffisant pour proscrire la méthode naturelle de lecture-écriture ?

En fait, à lire votre texte, on a l'impression que vous ne connaissez pas cette méthode. Ainsi, quand vous dites qu'"il faudrait à tout prix éviter que dans une minorité de classes les enfants perdent les premières semaines voire les premiers mois du CP à faire semblant de lire en devinant les mots", vous semblez considérer que les PE sont face à une alternative : soit, dès les premiers jours du CP, ils enseignent de manière systématique le déchiffrage au sens du Be-A-BA, soit, face à un écrit, leurs élèves sont comme dans un jeu de devinettes. Or les PE qui mettent en œuvre une méthode naturelle de lecture-écriture se situent en dehors d'une telle alternative. Ils n'enseignent pas de manière systématique le déchiffrage au sens du Be-A-BA dès les premiers jours du CP et pourtant, lorsque leurs élèves sont face à un courrier de leurs correspondants scolaires, par exemple, ils ne "devinent" pas les mots : ils les reconnaissent parce que, la plupart du temps, ils les ont déjà écrits eux-mêmes dans un courrier précédent. Il leur suffit donc de comparer "lettre par lettre" la graphie du mot qu'ils ont sous les yeux avec celle qu'ils ont produite précédemment. Ceci est possible parce que, d'une part, les enfants de début de CP de classes différentes ont des préoccupations communes, d'autre part parce que lorsqu'un enfant écrit avant de savoir lire, il utilise des structures syntaxiques et un lexique fréquents et accessibles. Ce qui explique que les élèves rencontrent souvent en situation de lecture des locutions et des mots qu'ils ont précédemment utilisés en situation de production. Les enseignants qui utilisent cette méthode défendent l'idée que cette première expérience de l'écrit en début de CP permet à tous leurs élèves d'accéder rapidement à la compréhension de la correspondance grapho-phonologique au niveau de la syllabe. Ils affirment que cela transforme de manière importante ce qui se passe dans leur classe lorsqu'un peu plus tard, le déchiffrage s'y développe de manière plus systématique au niveau du phonème. Disposons-nous d'un corpus de recherches qui invalident une telle hypothèse ?
Un reproche est souvent fait à ce type de méthode : elle conduirait à "surcharger" la mémoire des élèves. Je peux vous assurer que c'est loin d'être toujours le cas, parce que ces praticiens ont mis au point et développé des techniques et procédés adaptés aux débutants, tout à fait originaux et particulièrement efficaces. A tel point que j'utilise l'un de leurs documents vidéos comme support de mon cours sur la notion de "mémoire située" (la mémoire d'un sujet au travail n'est pas seulement "dans sa tête" mais aussi dans son environnement de travail).
Les concepteurs des programmes de 2002, eux, connaissaient la méthode naturelle de lecture-écriture et cette connaissance explique qu'ils aient rédigé cette phrase : "On peut toutefois considérer que la plupart de ces méthodes, par le très large usage qu'elles font des activités d'écriture, parviennent aussi à enseigner, de manière moins explicite, les relations entre graphèmes et phonèmes" (la mise en gras est de mon fait et je remarque que lorsque vous citez ce passage des programmes, cette partie en gras a disparu de votre texte…). Ceux qui ont rédigé cette phrase, pas plus que les scientifiques, ne disposent d'un corpus de recherches dont les résultats sont globalement en faveur d'une telle méthode. Mais leur expérience des classes leur a maintes fois montré qu'en fin de CP, les élèves ayant appris avec cette méthode sont très souvent plus avancés en lecture courante et en production d'écrit que les élèves ayant suivi une méthode plus classique. Et ils croient pouvoir attribuer cette supériorité à la place importante des activités d'écriture dans ces classes. Cette phrase est donc cruciale parce qu'elle a préservé le texte des programmes officiels de tout dogmatisme. Disposons-nous aujourd'hui d'un corpus de recherches qui feraient que la suppression d'une telle phrase ne relèverait plus du dogmatisme ?
Plus généralement, on voit que la question posée est celle des apports respectifs des chercheurs en psychologie cognitive et des praticiens dans la définition d'un programme d'enseignement. Si "l'efficacité comparée de différentes pratiques pédagogiques est une question qui peut et qui doit être abordée de manière scientifique", les scientifiques doivent se garder de trancher entre des pratiques pédagogiques qui n'ont pas encore fait l'objet d'une telle étude scientifique. Le rôle du scientifique n'est pas de conformer les pratiques humaines à celles qu'il a déjà étudiées et qui lui paraissent les plus recommandables. Il doit accepter que l'objet qu'il étudie soit plus complexe que le modèle provisoire que sa communauté scientifique en a élaboré et accepter que l'impression de certitude que fournit un tel modèle, soit relativisée par l'expérience des praticiens. Il doit même accepter que l'expérience des praticiens prime quand lui-même manque d'informations !



a écrit :

Dans un texte mis en ligne sur le site du Café Pédagogique, 18 universitaires prennent la parole sur les débats en cours à propos de l’enseignement de la lecture. Ce texte est d’autant plus intéressant que plusieurs de ces chercheurs (Pascale Colé, Jean-Émile Gombert, Jonathan Grainger, José Morais, Franck Ramus, Liliane Sprenger-Charolles et Johannes Ziegler) avaient été cités par le ministre, en annexe de sa circulaire du 3 janvier, dans un montage d’extraits censé établir le fondement scientifique de ses annonces. On y trouve aussi la signature de José Morais, Laurence Rieben et Sylviane Valdois, qui font partie du Conseil Scientifique de l’Observatoire National de la Lecture (ONL), organisme placé sous la responsabilité du Premier Ministre, et qui, jusqu’ici, en tant que tel, est resté silencieux sur la circulaire du 3 janvier.
Après différents appels de chercheurs et professionnels et une interview très critique de Michel Fayol, professeur de Psychologie à l’Université de Clermont-Ferrand, tous ceux qui, depuis la mi-décembre, se sont évertués à rétablir les vérités mises à mal par le ministre, à refuser les simplifications grossières, à éviter des mesures régressives, à favoriser un débat apaisé et informé, trouvent dans ce texte une forme de renfort presque inespéré. En effet, par-delà des accents scientistes («  les enseignants ne sont pas en position d’évaluer de manière objective l’efficacité de leurs pratiques » ; « seule la science, en menant des études rigoureusement contrôlées, est en mesure de déterminer avec certitude quelles pratiques sont objectivement les meilleures »), qu’on ne retrouve pas habituellement dans leurs textes personnels, les auteurs observent, à l’inverse du ministre, que :
1°) les programmes de 2002 se sont largement inspirés des résultats de la recherche scientifique sur les méthodes d’enseignement de la lecture ;
2°) il n’y avait probablement pas de raison de décréter l’état d’urgence dans les CP, car il semble qu’une grande majorité des professeurs des écoles enseignent effectivement le déchiffrage dès le début du CP, et la plupart des manuels publiés respectent l’esprit des programmes ;
3°) il ne faut certainement pas revenir aux vieilles méthodes enseignant exclusivement le B-A BA de manière répétitive et dénuée de sens ; ces chercheurs ajoutent : nous rejoignons l’avis du monde enseignant pour dire que les méthodes qui, dans l’état actuel de l’art, semblent optimales, initient l’enfant non seulement au déchiffrage, mais également à la morphologie, à la syntaxe, à la compréhension de textes ayant un sens, ainsi qu’à l’écriture ;
4°) du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l’approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe et le mot).[1]
5°) les causes de l’illettrisme sont multiples, incluant de nombreux facteurs socio-culturels et une faible maîtrise de la langue orale ; l’école maternelle a un rôle important à jouer ; la dyslexie concerne un groupe très minoritaire d’enfants ;
6°) la recherche scientifique appliquée à l’éducation doit encore être développée et soutenue.

Malgré cela, par la voie de son cabinet, le ministre vient de faire connaître sa décision de modifier sans délai les programmes, pour les rendre conformes à sa circulaire du 3 janvier ; il a convoqué pour cela le Conseil Supérieur de l’Éducation le 1er mars. En outre, on peut craindre que le « séminaire national » du 9 mars[2] lui serve de scène pour justifier ces changements. Le ministre semble persister, il ne paraît pas avoir entendu le message des professionnels, ni celui des chercheurs. Or, le discours « des 18 » comporte quelques approximations, simplifications ou ambiguïtés (presque inévitables dans ce genre de texte) qui pourraient apparaître au ministre, comme autant d’opportunités pour justifier les changements qu’il a décidés… alors même que, quand on connaît bien leurs travaux, ces chercheurs n’y adhèreraient absolument pas ! La façon dont le ministre a instrumentalisé la recherche et les chercheurs, depuis la fin décembre justifie hélas cette crainte pour l’avenir.

Rendre possibles différentes formes d’enseignement de la grapho-phonologie

Ainsi, le texte « des 18 » affirme que « l’obligation d’enseigner le déchiffrage dès le début du CP serait un net progrès pour la minorité d’enfants qui, actuellement, n’en bénéficient pas » et définit par ailleurs ce déchiffrage comme la transformation « des lettres en sons ou, plus précisément, des graphèmes en phonèmes ». Ce qui est gênant ici, c’est précisément cette définition du déchiffrage, car se retrouveraient prohibées par la même occasion des méthodes d’apprentissage qui prennent soin de favoriser, pour tous les enfants, la conquête difficile du concept de phonème et du principe alphabétique, en démarrant le décodage à un niveau « supra-phonémique », plus accessible aux enfants les moins expérimentés face à l’écrit (par exemple en utilisant des blocs syllabiques familiers ou des mots fréquents tels que ma, la et de pour lire malade ou encore des morphèmes comme age et lait pour lire laitage).
Jean-Émile Gombert, dans des travaux pionniers en français, a montré qu’une première expérience de l’écrit conduisait de nombreux enfants à utiliser ces régularités appelées analogies orthographiques, particulièrement les analogies au niveau de la syllabe ou des morphèmes (à l’interface entre les unités signifiantes que sont les mots et les unités non signifiantes et plus abstraites que sont les phonèmes). L’expérience de nombreux enseignants de Grande Section et de CP montre aussi qu’en valorisant et en systématisant l’observation et l’usage de ces analogies orthographiques, tant pour lire que pour écrire, loin de ralentir l’accès à la découverte des Conversions Graphèmes-Phonèmes (CGP), le rendent plus facile pour tous. Ils évitent ainsi la plupart des « décrochages » précoces d’élèves manquant d’expérience et qui n’ont d’autre choix, avec une méthode phonique centrée sur les seules CGP dès le mois de septembre, que le « ça passe » (ils comprennent par exemple ce que le maître appelle « les deux petits sons qu’on entend dans [pu] ») ou « ça casse » (ils n’accèdent pas à la notion de phonème et ceci les empêche de les saisir dans la syllabe et de tirer profit de l’enseignement prodigué). L’idée, juste au demeurant, de recommander un enseignement systématique et précoce de la grapho-phonologie au CP, dans la continuité de la Grande Section, ne doit pas interdire d’y concevoir une progressivité.
De même, concernant les blocs syllabiques lus directement sans repasser par la fusion des phonèmes, Pascale Colé a pu montrer que, dès la fin du CP, les élèves les plus avancés avaient « unitisé » des blocs fréquents et s’en servaient pour décoder des mots nouveaux. De tels résultats confortent les pratiques de maîtres qui, pour accélérer le développement de cette habileté, utilisent par exemple la technique des « cartons éclairs » de syllabes[3], aussi bien avant qu’après la découverte des CGP.
Concernant l’usage de la morphologie lexicale pour décoder, Liliane Sprenger-Charolles et Pascale Colé ont pu montrer que des collégiens en risque de dyslexie bénéficient d’un enseignement méthodique de la structure morphologique des mots (ils dé/mont/ai/ent). De tels travaux peuvent encourager les praticiens à valoriser plus précocement et plus systématiquement ces unités de lecture, pour favoriser la réussite de tous leurs élèves, notamment ceux qui sont les plus éloignés d’une compréhension immédiate du principe alphabétique (et pas seulement ceux qui sont pressentis comme dyslexiques). Du reste, c’est ainsi que, récemment, ont été mises à la disposition des maîtres de nouvelles progressions dès le début du CP, alliant grapho-phonologie pure et morphologie, comme le proposent par exemple les auteurs de Crocolivre, dont Jean-Émile Gombert et Pascale Colé.
Or, dans le texte « des 18 », l’accent quasi exclusif mis sur les CGP et sur leur enseignement dès le début du CP, à l’instar des travaux anglo-américains analysés dans le rapport du National Reading Panel[4], risque de conduire à des effets contraires aux intentions de plusieurs auteurs du texte : représentons-nous ces maîtres qui ont une longue expérience du CP et qui s’efforcent aujourd’hui de faciliter la réussite de leurs élèves en organisant un apprentissage méthodique et progressif de la grapho-phonologie qui ne commence pas par les CGP, éventuellement tuilé avec un apprentissage progressif de la morphologie ; imaginons qu’ils soient forcés par leur hiérarchie administrative, d’abandonner ces pratiques… il n’est malheureusement pas difficile de prévoir que cela conduirait à davantage d’échecs. Dans l’apprentissage de la reconnaissance des mots écrits, il y a en effet deux façons de nuire aux enfants : ne pas enseigner du tout le décodage ou, pour les enfants qui sont les moins expérimentés et les moins prêts à cet apprentissage, le leur proposer « bille en tête », au niveau le moins accessible, sur les CGP, par exemple avec des consonnes occlusives, dès le début du mois de septembre.
Quoique l’expression « b-a, ba » soit synonyme de « facile » dans le langage ordinaire, la plupart des chercheurs savent bien qu’il ne suffit pas qu’on leur enseigne le déchiffrage pour que tous les élèves l’apprennent. Car son appropriation suppose la compréhension de ce concept très spécifique et plus savant qu’il n’y paraît : le phonème (voir par exemple, sur ce point, le développement de Michel Fayol dans son intervention du 14 février dernier à l’IUFM de Clermont-Ferrand, sur la page http://www.cafepedagogique.net/dossiers/co...s/clermontf.php ). Une fois posé le caractère incontournable de la grapho-phonologie, la science ne s’arrête pas. Au contraire, tout ne fait que commencer pour elle : il lui reste à explorer l’immense question du comment, à l’articulation entre la recherche en laboratoire, les évaluations « rigoureusement menées », les capacités cliniques des maîtres et leur inventivité. Prenons garde que tout cela nous soit interdit le 1er mars par des dispositions précipitées et que nous ne puissions plus alors que comparer rigoureusement, sur de vastes panels, l’efficacité de Léo et Léa d’un côté, de Ratus ou de Gafi de l’autre.

Permettre l’usage des méthodes de lecture fondées sur l’écriture de textes

Dans leur texte, les 18 universitaires soulignent qu’un paragraphe des programmes est ambigu, celui qui dit, page 77 : « Certaines méthodes proposent de faire l’économie de l’apprentissage de la reconnaissance indirecte des mots (méthodes globales, méthodes idéo-visuelles…) de manière à éviter que certains élèves ne s’enferment dans cette phase de déchiffrage réputée peu efficace pour le traitement de la signification des textes. On considère souvent aujourd’hui que ce choix comporte plus d’inconvénients que d’avantages (…). On peut toutefois considérer que la plupart de ces méthodes, par le très large usage qu’elles font des activités d’écriture, parviennent aussi à enseigner, de manière moins explicite, les relations entre graphèmes et phonèmes. Il appartient aux enseignants de choisir la voie qui conduit le plus efficacement tous les élèves à toutes les compétences fixées par les programmes (les compétences de déchiffrage de mots inconnus en font partie). » 
Pourtant, si on lit bien ce passage, sa fonction n’est pas d’autoriser sans condition les méthodes dans lesquelles les enfants n’apprennent pas à déchiffrer, mais d’obliger, sans ambiguïté, les rares praticiens qui seraient tentés par ce choix à faire en sorte que leurs élèves sachent finalement déchiffrer des mots inconnus et de leur donner le moyen pédagogique d’y parvenir : faire un très large usage des activités d’écriture (incise qui a d’ailleurs disparu de la reprise de ce passage dans le texte « des 18 », comme a disparu la précision pourtant essentielle : « les compétences de déchiffrage de mots inconnus en font partie »).
Si le ministre supprimait ce passage pour interdire aux enseignants le choix d’approches différentes des méthodes purement phoniques, il serait logique aussi qu’il interdise des méthodes telles que Boscher ou Léo et Léa (qui, répétons-le, n’ont jamais été interdites par les programmes antérieurs). Comme le dit le texte « des 18 », ces méthodes-là sont en effet trop unilatérales, elles négligent totalement les compétences liées à la maîtrise de la langue orale, à la morphologie, à l’orthographe, à la syntaxe, à la compréhension des phrases et des textes, à l’écriture des textes, etc.
Pourtant, en dépit d’une apparence de logique, cette façon de concevoir les programmes serait contraire à deux principes essentiels, celui de la responsabilité des enseignants dans le choix de leurs démarche et de leurs outils, responsabilité encadrée par les programmes, et celui du principe de précaution.
1°) Principe de responsabilité : de même que des maîtres parviennent effectivement à ce que leurs élèves apprennent à décoder des mots nouveaux, sans enseignement direct et précoce des CGP, grâce à un très large usage des activités d’écriture, de même il se pourrait que les rares maîtres qui choisiraient Léo et Léa par exemple, parviennent à des compétences suffisantes de leurs élèves dans l’oral, la morphologie, l’orthographe en écriture, la voie directe en lecture, la syntaxe, l’écriture et la compréhension de textes, en faisant, eux aussi, un très large usage des activités d’écriture de texte (et non seulement de syllabes et de mots) et en complétant les activités de déchiffrage réalisées sur des supports tout à fait artificiels par des activités de lecture et de compréhension sur des textes authentiques (documentaires, fonctionnels, poétiques et littéraires). On ne voit pas au nom de quelle science, il faudrait interdire ce choix. Il faut au contraire le rendre possible, en l’encadrant de façon stricte.
2°) Principe de précaution : en n’amputant pas les programmes de ce paragraphe, ni du précédent sur les différentes formes de progressivité dans le décodage, on permet à des praticiens qui font un très large usage des activités d’écriture, particulièrement ceux qui se réclament plus ou moins explicitement des procédés et techniques mis au point par les praticiens de la Méthode Naturelle de Lecture-Écriture[5], de s’inscrire dans des pratiques qui suscitent depuis longtemps l’intérêt de chercheurs comme la psychologue suisse, Laurence Rieben, peu suspects de tomber dans une vision idéologique des méthodes. Ainsi que l’a souligné récemment Michel Fayol à Clermont-Ferrand (conférence déjà citée), ces praticiens travaillent sur l’axe de la relation écriture-lecture, qui est encore en grande part une terra incognita pour les psychologues. Il serait dramatique de mettre fin, par décret administratif, à ces recherches pratiques et théoriques. Dans un autre texte en réponse à celui « des 18 », intitulé La lecture : même les scientifiques devraient être plus prudents (http://www.cafepedagogique.net/dossiers ... ssiaud.php), Rémi Brissiaud argumente en faveur de cette même idée d’un principe de précaution à respecter autant dans l’intérêt des élèves que dans celui de la science elle-même.

L’une des principales préoccupations du ministre semble être une sorte d’interdiction de fait qu’auraient eu à subir certains maîtres souhaitant utiliser Léo et Léa. En rappelant que les méthodes telles que Léo et Léa peuvent être pratiquées sous conditions que…, l’administration expliciterait la logique actuelle des programmes et ferait preuve d’une grande sagesse.

Il reste à espérer que, du côté des scientifiques auteurs du texte déjà cité, viennent rapidement (avant le 1er mars) les nécessaires mises au point en direction de l’administration et que celle-ci en tienne compte. Sinon, les modifications des programmes se feront sur le mode de l’interdiction et de façon unilatérale. Il en résulterait alors pour tous, chercheurs et praticiens, surprises, déconvenues et amertumes. Et pour les enfants, une limitation a priori de leurs possibilités d’apprentissage.

[1] Or, le ministre a clairement indiqué qu’il souhaitait privilégier une méthode purement synthétique.
[2]  Les IA et directeurs d’IUFM sont convoqués à Paris à un séminaire où interviendront plusieurs des signataires du texte évoqué ci-dessus.
[3] L’enseignant présente brièvement (1 seconde) à la perception de l’élève un carton sur lequel est écrite une syllabe (« chou » par exemple). L’élève doit dire quelle syllabe il a lue. Aussitôt, on lui permet de vérifier sa lecture en lui montrant de nouveau le carton, mais autant de temps que nécessaire pour effectuer cette vérification. En cas d’échec après la première présentation, l’enseignant peut proposer une deuxième fois la vision de la syllabe écrite, mais toujours de façon brève (d’où le terme « éclair »). Puis on passe à une autre syllabe, etc. On peut aussi proposer de cette façon des cartons éclairs de mots, courts et fréquents d’abord, puis de plus en plus longs, pour aider au développement du lexique orthographique (voie directe). On imagine assez bien que cette activité des cartons-éclairs, inspirée des logiciels de lecture de l’AFL (Elsa), qui l’utilisent uniquement pour des mots et des textes, puisse être également proposée sur ordinateur.
[4] Dans un texte mis en ligne sur le site des Cahiers Pédagogiques : L’erreur orthographique, l’apprentissage implicite et la question des méthodes de lecture – écriture (http://www.cahiers-pedagogiques.com/art ... ticle=2174), Rémi Brissiaud montre pourquoi le rôle des analogies orthographiques est nécessairement plus réduit en anglais qu’en français. Dans le texte La révolution du 3 janvier et le syndrome de la tortue de Floride (http://www.cafepedagogique.net/dossiers ... oulias.php), j’essaie de montrer que, plus généralement, les résultats des recherches anglo-américaines doivent être utilisés avec d’infinies précautions pour éclairer les débats sur l’apprentissage de la lecture en langue française et dans le contexte scolaire et pédagogique de la France.
[5] Et que beaucoup confondent avec les partisans des méthodes globale et idéovisuelle…

* André Ouzoulias est professeur à l'IUFM de Versailles.
Il collabore étroitement depuis plus de 13 ans avec Rémi Brissiaud et divers enseignants du Val d'Oise à l'expérimentation d'une nouvelle approche des apprentissages mathématiques à l'école primaire qui a donné lieu à la conception d'un ensemble d'outils pédagogiques pour l'école maternelle et élémentaire dont il est coauteur: "J'apprends les maths - de la GS au CM2 - Retz"
Par ailleurs, il a conduit une recherche sur l'apprentissage de la lecture-écriture impliquant des enseignants de la maternelle au CE1 et a dirigé l'élaboration de MEDIAL (Moniteur pour l'Évaluation des Difficultés de l'Apprenti Lecteur). Il s'agit d'un outil d'évaluation diagnostique mis au point avec une équipe de maîtres de Réseaux d'Aides Spécialisées. Il est l'auteur de L'apprenti lecteur en difficulté: évaluer, comprendre, aider (ces deux ouvrages sont également publiés aux éditions Retz). Il a publié divers articles dans les revues et des ouvrages collectifs sur l'apprentissage de la lecture.



a écrit :

[13/03]
Communication du Dr G Wettstein-Badour - Auteure du livre "Bien parler, bien lire, bien écrire" Editions Eyrolles

Ayant pris connaissance du document de Franck RAMUS « Un point de vue scientifique sur l’enseignement de la lecture (version intégrale d’une lettre publiée par le Monde de l’éducation du 1er mars 2006) », je me réjouis de constater que les 18 chercheurs cosignataires de ce courrier placent le débat sur les méthodes de lecture au seul niveau auquel il doit se situer : celui de la connaissance scientifique.

Ces chercheurs s’appuient sur de très nombreuses études comparatives montrant la supériorité des méthodes permettant l’apprentissage précoce du lien qui unit chaque élément graphique de base (la lettre ou un petit groupe de lettres) au son qu’il représente (le phonème). Ils préconisent, à juste titre, de commencer cet apprentissage dès le début du CP.

Par contre, les auteurs écrivent : « du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l’approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe) ». Cette affirmation est regrettable car elle risque de servir de caution à la très grande majorité des enseignants qui pratiquent la découverte du code alphabétique à partir des mots comme le recommandent les nouveaux programmes de 2002. Il leur suffira d’introduire quelques exercices de correspondance entre sons et graphismes sans rien changer à leur pratique et en utilisant leurs manuels habituels pour se conformer aux recommandations présentées dans ce texte. Or, ce que nous savons aujourd’hui du fonctionnement du cerveau permet de comprendre que cette démarche est une des principales causes d’échec dans l’apprentissage de la lecture.

D’autre part, dans un texte destiné à mettre en avant la nécessité du déchiffrage, il eût été utile de préciser que l’apprentissage du code alphabétique nécessite de prendre en compte à la fois la discrimination des sons, les contraintes imposées par la vision maculaire et les saccades oculaires, la reconnaissance des formes et de leur orientation dans l’espace ainsi que la maîtrise du graphisme. Bien évidemment -les signataires de ce courrier l’ont noté- il est indispensable d’adjoindre au déchiffrage un travail portant sur le vocabulaire, la syntaxe et le sens du texte.

Si le ministre a la volonté de prendre des mesures efficaces pour permettre à la très grande majorité des élèves d’apprendre à lire et écrire, il est indispensable que les circulaires d’application qui seront prochainement publiées demandent aux formateurs des enseignants de prendre en compte l’ensemble des acquis des neurosciences, faute de quoi aucun véritable changement ne sera possible.

G Wettstein-Badour


Message Publié : 18 Jan 2007, 22:40
par canardos
les réponses aux réponses:

a écrit :

Réponse de Franck Ramus à André Ouzoulias et Rémi Brissiaud

Globalement nos positions ne sont pas très éloignées et je comprends bien l'inquiétude de mes deux confrères. Néanmoins je ne crois pas que la rigueur scientifique nous autorise à dire autre chose que ce qui est écrit dans le texte "des 18". Voici mes réponses sur quelques points.
Sur les différentes manières d'enseigner les relations graphèmes-phonèmes
Tout d'abord, ni les études anglophones ni nous-mêmes n'excluons une progressivité dans l'apprentissage des relations graphèmes-phonèmes: le point 5 reconnaît que dans l'état actuel des connaissances les approches analytiques (partant du mot et de la syllabe vers le phonème) semblent aussi efficaces que les approches synthétiques. Libre donc aux enseignants de les utiliser s'ils les préférent, ou de combiner les deux approches.
Ceci dit, la crainte selon laquelle les méthodes enseignant directement les correspondances graphèmes-phonèmes seraient pénalisantes pour certains enfants à faible conscience phonémique ne paraît pas fondée. En effet, elles ne supposent pas la conscience phonémique comme pré-requis, mais peuvent contribuer, comme d'autres, à la faire émerger. D'après la méta-analyse du NRP, ces méthodes sont de fait les plus efficaces pour les enfants de milieu socio-culturel défavorisé, comme pour les enfants dyslexiques. Pour ces derniers, qui ont particulièrement un handicap de la conscience phonémique, les méthodes de rééducation dont l'efficacité est le mieux prouvée sont justement des méthodes qui enseignent les relations graphèmes-phonèmes de manière encore plus intensive, systématique et explicite que les méthodes usuelles (cf. par exemple les travaux de Torgesen).

Par ailleurs, Brissiaud et Ouzoulias évoquent tous deux les méthodes de lecture-écriture, notamment la "méthode naturelle" de Freinet. Ils émettent l'hypothèse selon laquelle des activités d'écriture pourraient efficacement se substituer à l'enseignement explicite et précoce des correspondances graphèmes-phonèmes. Cette hypothèse me paraît acceptable et susceptible d'être juste. Mais pour l'instant elle n'a fait l'objet d'aucune évaluation rigoureuse, ni anglophone ni francophone, et donc on ne sait pas si ces méthodes sont réellement aussi efficaces que les méthodes alphabétiques.
De notre ignorance, Brissiaud et Ouzoulias déduisent qu'il faut appliquer le principe de précaution. Qui dit principe de précaution dit risque. Le risque qui les inquiète est celui de condamner à tort une méthode et ceux qui la pratiquent (au cas où la méthode serait aussi efficace que les méthodes alphabétiques). Soit. Mais un autre risque qui peut inquiéter, c'est celui de faire subir à des enfants une méthode sub-optimale (au cas où la méthode serait moins efficace que les méthodes alphabétiques). Ce n'est pas faire offense aux enseignants et aux promoteurs des méthodes de lecture-écriture que d'avouer être plus sensible au risque encouru par les enfants.
Ainsi, l'application la plus rigoureuse du principe de précaution conduirait à 1) identifier le risque ayant la plus grande importance sociale (celui encouru par les enfants), et 2) proposer, non une interdiction, mais un moratoire sur les méthodes à l'efficacité non prouvée, le temps que des recherches rigoureuses les évaluent (c'est par exemple ce qui est proposé pour la mise en culture d'OGM).

On doit néanmoins avouer que la plupart des pratiques en vigueur à l'école n'ont jamais été évaluées rigoureusement, et donc que si on devait toutes leur appliquer un moratoire, il ne resterait plus grand chose... Comme les méthodes de lecture-écriture ne paraissent pas a priori plus condamnables que bien d'autres, est-il bien nécessaire d'en faire des martyres pour l'exemple? Un peu de pragmatisme suggèrerait d'appliquer non pas le principe de précaution, mais un principe de retenue, suivant lequel si un moratoire sur les méthodes à l'efficacité non prouvée doit mettre l'Education Nationale à feu et à sang, il vaut peut-être mieux s'abstenir, au moins dans un premier temps. A condition que cela ne soit pas prétexte à ne rien faire. Car il est grand temps que toutes ces méthodes soient évaluées avec toute la rigueur nécessaire.

Personnellement je suis absolument en faveur d'une évaluation beaucoup plus systématique de toutes les méthodes et pratiques pédagogiques, et, oui, de l'élimination des méthodes dont la moindre efficacité aurait été démontrée. Cela nécessiterait à la fois de gros efforts de recherche, et une révolution culturelle au sein de l'Education Nationale. Mais cela serait tout bénéfice pour les élèves. Notons par ailleurs que cela n'impliquerait pas nécessairement de réduire toute marge de manoeuvre aux enseignants au point d'empêcher toute innovation. Simplement, passé un premier stade d'expérimentation informelle et qualitative par les enseignants, les idées et approches nouvelles devraient être systématiquement soumises à une évaluation rigoureuse visant à déterminer s'il s'agit réellement d'innovations.
Sur la pertinence des études scientifiques en général et anglophones en particulier
Il ne faudrait pas croire que les études scientifiques se déroulent en laboratoire dans des conditions totalement artificielles: elles se déroulent en général dans les écoles, dans des classes dans lesquelles il se passe la même chose que dans toutes les classes, avec des maîtres qui enseignent comme à leur habitude, et sur des élèves en tous points comparables aux autres. Ce qui les caractérise, c'est simplement le fait que les pratiques des maîtres sont contrôlées (et comparées), que les compétences des enfants sont évaluées quantitativement au début et à la fin de l'étude, et que les effectifs sont suffisamment nombreux pour que les multiples facteurs non contrôlés s'annulent et pour pouvoir faire des statistiques valides. Il n'y a pas de problème de validité écologique, simplement les conclusions que l'on peut en tirer sont strictement limitées aux comparaisons prévues dans le dessin expérimental. Ce n'est pas faire preuve de scientisme que d'affirmer la primauté de telles études, mais simplement exiger une certaine objectivité. Aucune observation qualitative effectuée par un maître ou un inspecteur sur une ou plusieurs classes, ni aucune vidéo montrant des enfants lisant bien ne peuvent apporter de preuve de l'efficacité d'une méthode.

L'anglais est une langue qui a des propriétés phonologiques et orthographiques différentes du français, et à ce titre il est bien sûr possible que tous les résultats obtenus sur l'enseignement de la lecture en anglais ne se transfèrent pas directement au français.
La différence majeure entre l'anglais et le français est la régularité des relations graphèmes-phonèmes: on sait bien que l'anglais est la langue la plus irrégulière du monde de ce point de vue, et de loin. Par conséquent, de toutes les langues écrites alphabétiquement,  la langue anglaise est celle dans laquelle le déchiffrage graphèmes-phonèmes est le plus difficile à apprendre et le moins fiable (les comparaisons internationales comme celle de l'OCDE le confirment amplement). S'il est donc une langue alphabétique dans laquelle on devrait pouvoir se passer du déchiffrage, et dans laquelle une approche plus globale du mot devrait être intéressante, ce serait bien l'anglais. Et si l'on doit extrapoler les résultats sur les méthodes de l'anglais aux autres langues, on prédit inévitablement que l'enseignement du déchiffrage sera d'autant plus avantageux dans les langues à relations graphèmes-phonèmes plus régulières que l'anglais (donc en français). Les pays à orthographe plus régulière que le français (comme le finnois, l'allemand ou l'italien) le savent bien, tant la question des méthodes de lecture ne s'y pose pas: l'enseignement systématique et précoce du déchiffrage y est une évidence, et la lecture y est apprise en quelques mois.
Par conséquent, le fait que les études scientifiques montrant la supériorité de l'enseignement du déchiffrage soient anglophones n'atténue en rien leur applicabilité au français: au contraire, cela doit être d'autant plus le cas en Français.
Pour plus de détails sur les résultats précis des études anglophones et francophones, voir l'article de Liliane Sprenger-Charolles et Pascale Colé.



a écrit :

Réponse de Franck Ramus à Ghislaine Wettstein-Badour

L'affirmation suivante me laisse perplexe: "Ce que nous savons aujourd'hui du fonctionnement du cerveau permet de comprendre que cette démarche [l'approche analytique du déchiffrage] est une des principales causes d'échec dans l'apprentissage de la lecture".

Tout ce que je peux dire, c'est que mes propres connaissances du fonctionnement du cerveau ne condamnent en rien les approches analytiques. En fait, je pense que nos connaissances les plus pointues en neurosciences sont encore tellement fragmentaires qu'elles ne peuvent prescrire ou condamner aucune méthode ou pratique pédagogique (cela évoluera certainement). C'est pourquoi les seuls arguments empiriques sur lesquels je crois pouvoir m'appuyer, ce sont les recherches de psychologie expérimentale comparant directement l'efficacité des différentes pratiques sur les enfants. Si l'on se réfère à nouveau à la méta-analyse du National Reading Panel, celle-ci montre que du moment que le déchiffrage est enseigné de manière systématique et précoce, les méthodes synthétiques n'ont qu'un avantage de 0.11 écart-type sur les méthodes analytiques, différence statistiquement non significative et dont il n'y a aucune raison de penser qu'il s'agisse d'autre chose que du bruit. Je ne vois pas quelles connaissances sur le cerveau pourrait être considérées comme plus décisives que des mesures directes de l'efficacité des méthodes.

Quant à l'idée qu'une méthode est "une des principales causes d'échec dans l'apprentissage de la lecture", je n'ai connaissance d'aucune donnée empirique permettant de l'affirmer.



et la conclusion de Franck Ramus et Réné Brissiaud:

a écrit :

Il n'y a pas lieu d'imposer une unique méthode d'enseignement de la lecture
Les récents débats sur les méthodes d'enseignement de la lecture ont conduit un certain nombre de chercheurs en psychologie cognitive, neuropsychologie et sciences de l'éducation à rappeler les résultats des études d'évaluation de l'efficacité des différentes méthodes, et à formuler notamment les recommandations suivantes:

1. Il faut enseigner les relations graphèmes-phonèmes (entre les lettres et les sons) de manière systématique et explicite, dès le début du cours préparatoire.

2. Il existe de nombreuses manières d'enseigner les relations graphèmes-phonèmes: des approches synthétiques, combinant les phonèmes pour construire les syllabes et les mots; des approches analytiques, décomposant les mots en syllabes et en phonèmes; et des approches combinant à divers degrés les deux précédentes. Les études d'évaluation ne font pas ressortir de différences significatives d'efficacité entre ces différentes approches.
Les résultats scientifiques actuels suggèrent donc d'écarter les méthodes qui n'enseignent pas les relations graphèmes-phonèmes, ou qui ne les enseignent pas de manière explicite et systématique, ou qui ne les enseignent pas suffisamment tôt (souvent appelées "méthodes globales", ou selon les acceptions, correspondant à une partie des méthodes globales). Toutes les autres méthodes semblent acceptables.

L'arrêté de mars 2006 modifiant les programmes d’enseignement de l’école primaire a précisé les programmes de 2002, en restreignant l'éventail des méthodes d'enseignement de la lecture recommandées précisément à celles suggérées par les travaux scientifiques. Il s'agit donc là d'une évolution positive.
Conformément aux résultats scientifiques, les nouveaux programmes laissent aux enseignants le choix entre les nombreuses méthodes utilisant des approches synthétiques, analytiques, ou une combinaison des deux, dans la mesure où, quelle que soit la méthode choisie, l'enseignant prend soin d'enseigner les correspondances graphèmes-phonèmes, afin de développer l'automatisation de la reconnaissance des mots et la compréhension.

Compte tenu des textes de loi définissant les programmes, et compte tenu des travaux scientifiques qui les inspirent, il n'y a donc pas lieu d'exiger des enseignants le recours à une méthode unique. Il n'y a notamment pas lieu de leur imposer l'usage d'une méthode exclusivement synthétique (parfois appelée "la méthode syllabique").

Franck Ramus, Chargé de Recherches au CNRS, et Rémi Brissiaud, Maître de Conférences à l'IUFM de Versailles





Message Publié : 18 Jan 2007, 22:49
par Louis
Et tu en conclue quoi, toi, de cet appel a "l'autorité scientifique" ? Sinon que la science, c'est (parfois) apporter des réponses, mais aussi (souvent) poser des questions pertinentes ? Est ce que la "science" en soi posséde des éléments qui permettent de trancher ? Et en quoi l'aspect "politique", "social" "culturel" est il moins déterminant que l'aspect "scientifique" ???

Message Publié : 18 Jan 2007, 23:39
par canardos
l'approche de psychologie cognitive fondée sur les neurosciences complete l'approche pédagogique et l'approche sociale et culturelle.....

une bonne approche doit combiner les trois

mais comme disent Ramus et Brissiaud qui sont tombés d'accord pour la conclusion:

a écrit :

Les récents débats sur les méthodes d'enseignement de la lecture ont conduit un certain nombre de chercheurs en psychologie cognitive, neuropsychologie et sciences de l'éducation à rappeler les résultats des études d'évaluation de l'efficacité des différentes méthodes, et à formuler notamment les recommandations suivantes:

1. Il faut enseigner les relations graphèmes-phonèmes (entre les lettres et les sons) de manière systématique et explicite, dès le début du cours préparatoire.

2. Il existe de nombreuses manières d'enseigner les relations graphèmes-phonèmes: des approches synthétiques, combinant les phonèmes pour construire les syllabes et les mots; des approches analytiques, décomposant les mots en syllabes et en phonèmes; et des approches combinant à divers degrés les deux précédentes. Les études d'évaluation ne font pas ressortir de différences significatives d'efficacité entre ces différentes approches.

Les résultats scientifiques actuels suggèrent donc d'écarter les méthodes qui n'enseignent pas les relations graphèmes-phonèmes, ou qui ne les enseignent pas de manière explicite et systématique, ou qui ne les enseignent pas suffisamment tôt (souvent appelées "méthodes globales", ou selon les acceptions, correspondant à une partie des méthodes globales). Toutes les autres méthodes semblent acceptables.



Message Publié : 19 Jan 2007, 00:03
par canardos
une analyse de l'efficacité des differentes pratiques pédagogiques de l'apprentissage de la lecture dans le monde:

a écrit :

jeudi 2 mars 2006

[center]Pratiques pédagogiques et apprentissage de la lecture[/center]

Par Liliane Sprenger-Charolles et Pascale Colé

Liliane Sprenger Charolles et Pascale Colé nous font parvenir cette réaction aux différentes prises de positions sur la question des méthodes d’apprentissage de la lecture . Nous remercions vivement les auteures qui nous permettent ainsi de poursuivre une réflexion soucieuse d’échapper aux dogmatismes.

Après les prises de position de différents Ministres de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (Lang en 2002, Ferry en 2003 et de Robien en 2005-2006), la question de l’incidence des méthodes d’apprentissage de la lecture sur la réussite en lecture est de nouveau débattue. Dans ce contexte, et afin que chacun puisse se faire une opinion, il est important de présenter les résultats des évaluations effectivement disponibles.

Avant de présenter ces résultats, il est toutefois nécessaire de souligner que, si la finalité de la lecture reste bien la compréhension de ce qui est lu, cette évidence ne doit pas occulter le fait que la plupart des difficultés d’apprentissage de la lecture ne proviennent pas de difficultés de compréhension (ONL, 1998 ; Sprenger-Charolles et Colé, 2003). La maîtrise de la lecture nécessite en effet le développement de capacités très spécifiques, les capacités d’identification des mots écrits. Si la compréhension de phrases ou de textes s’effectue aisément et sans effort cognitif apparent chez le lecteur expert, c’est parce qu’elle « s’appuie » sur une identification des mots écrits qui se déroule de façon quasi-réflexe. Ce sont ces capacités qui sont spécifiques à la lecture. En revanche, les capacités de compréhension sont largement amodales, c’est à dire similaires pour la compréhension orale et écrite. De fait, on relève généralement, chez des lecteurs adultes possédant des compétences d’identification des mots écrits bien développées, une corrélation quasi parfaite entre leur compréhension orale et écrite (de l’ordre de plus .90). Par conséquent, un des objectifs principaux de l’apprentissage de la lecture devrait être de permettre à l’enfant de parvenir à comprendre ce qu’il lit de la même façon qu’il comprend ce qu’il entend. Pour cela, il doit développer des procédures d’identification des mots rapides, précises et automatiques.

Pour ce qui concerne la question de l’incidence des méthodes sur l’apprentissage de la lecture, on dispose principalement de deux synthèses (Ehri et coll., 2001a- 8) qui ont examiné une centaine de travaux publiés dans des revues internationales à comité de lecture [1] et qui incluent des études effectuées avec des enfants anglophones (scolarisés aux Etats-Unis, au Canada, en Grande Bretagne et en Australie) et non-anglophones (allemands et espagnols, entre autres). On dispose également de quelques travaux francophones récents (Braibant et Gérard, 1996 ; Goigoux, 2000) [2]. Dans tous ces travaux, l’impact des méthodes d’apprentissage a été évalué à la fois sur les capacités de compréhension écrite et d’identification des mots écrits.

Impact des pratiques pédagogiques sur l’apprentissage de la lecture (synthèses internationales)

En 1997, le congrès des USA a demandé que l’incidence des pratiques pédagogiques sur l’apprentissage de la lecture soit évaluée. En relation avec les instances ministérielles de l’Education, le directeur de l’Institut National de la Santé de l’enfant et du développement humain a constitué un groupe d’experts, principalement des chercheurs reconnus pour leurs travaux dans le domaine des Sciences de l’éducation. Ce groupe a produit deux synthèses : l’une sur l’incidence des méthodes d’enseignement sur l’apprentissage de la lecture (Ehri et coll., 2001a) ; l’autre sur l’effet d’un entraînement des capacités d’analyse phonémique sur cet apprentissage (Ehri et coll., 2001b) dont on sait qu’elles sont fortement reliées à la réussite en lecture. L’effet d’un type particulier de méthode (ou d’entraînement) a été évalué en comparant les résultats d’enfants intégrés dans des groupes qui ont bénéficié de méthodes (ou d’entraînements) supposés avoir un effet positif sur l’apprentissage de la lecture à ceux d’enfants qui ont été exposés à des méthodes (ou à des entraînements) différents : le groupe dit « contrôle ».
Dans ces deux synthèses, les différences relevées après l’apprentissage entre les groupes sont présentées en nombre d’écart-type, des performances à plus ou moins un écart-type d’une moyenne étant « dans les normes ». En conséquence, si les enfants entraînés avaient des performances en dessous des normes avant l’entraînement, et si, suite à cet entraînement, ils améliorent leurs scores de 1 écart-type, ils entrent alors dans les normes, ce qui constitue un résultat loin d’être négligeable.

Incidence d’un entraînement de la conscience phonémique sur l’apprentissage de la lecture

Les unités de base d’un système d’écriture alphabétique sont les graphèmes, qui correspondent aux phonèmes. Pour comprendre ce principe de transcription, l’enfant doit développer une capacité appelée « conscience phonémique » qui lui permet de concevoir les mots parlés comme une combinaison particulière de phonèmes. Mais, le phonème, considéré comme l’unité minimale de la langue parlée qui permet de différencier - dans une langue donnée - deux mots (par exemple « bol » et « vol ») est une unité difficilement accessible à la conscience pour des raisons de co-articulation (le mot « calcul » est prononcé /kal/kül/ et non /k+a+l+k+ü+l/). On a donc supposé qu’un entraînement systématique de la conscience phonémique faciliterait l’apprentissage de la lecture puiqu’il permettrait à l’enfant de comprendre le principe de transcription alphabétique. L’impact d’un entraînement de la conscience phonémique sur cet apprentissage a été évalué à partir de l’examen de 52 études.

Le premier constat de cette étude est que l’effet est plus important chez les enfants anglophones que chez les non anglophones (des enfants espagnols, allemands, hollandais, danois, norvégiens, suédois et finnois), tout au moins quand l’évaluation est éffectuée immédiatement après l’entraînement. En revanche, l’impact de ce type d’entraînement sur la lecture à plus long terme est de même amplitude, quel que soit le système orthographique considéré. Selon les auteurs, ces résultats s’expliqueraient par le fait qu’un entraînement à l’analyse phonémique aurait un effet immédiat plus fort chez les anglophones parce qu’il les aiderait à clarifier les relations entre graphèmes et phonèmes, qui sont plus inconsistantes dans leur système orthographique que dans les autres.
De plus, ce type d’entraînement a un effet très positif chez les enfants à risque pour l’apprentissage de la lecture, et plus particulièrement dans le long terme : le gain est alors de presque 1,5 écart-type. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que ces enfants sont en général diagnostiqués tôt (au moins en grande section) et sur la base de la faiblesse de leurs scores en analyse phonémique. Il faudrait donc un certain temps pour que l’effet de l’entraînement porte ses fruits sur les capacités entraînées et, ensuite, sur la lecture.

En revanche, l’effet de ce type d’entraînement sur la lecture, voire sur les capacités entraînées, est plus faible chez les lecteurs en difficultés, ce qui suggère qu’un déficit d’analyse phonémique est à la base de leurs difficultés de lecture, un tel déficit étant difficile à compenser. Enfin, l’effet le plus notable est obtenu quand les enfants pouvaient en plus « jouer » avec les lettres correspondants aux phonèmes, ce qui suggère qu’une aide visuelle facilite l’émergence de la conscience phonémique.

Incidence des méthodes d’enseignement sur l’apprentissage de la lecture

Cette synthèse avait 4 objectifs principaux :

Evaluer si un enseignement systématique des correspondances grapho-phonémiques est celui qui aide le plus efficacement les enfants à apprendre à lire.

Evaluer si les différences sont significatives quelles que soient la nature des autres méthodes auxquelles ont été exposés les enfants du groupe contrôle : entre autres, les méthodes de type « mixte », qui enseignent le décodage, mais de façon non systématique, et les méthodes « whole word » ou « whole language ». Dans la méthode « whole word », les enfants apprennent d’abord quelques mots par cœur ; c’est seulement après cette étape (en général, pas avant la fin de la 1ère année du primaire), que débute l’apprentissage des correspondances grapho-phonémiques. A la différence de cette méthode, dans l’approche « whole language » cet apprentissage n’est pas différé, il est simplement réalisé en fonction des besoins des enfants.

Evaluer si ce type d’enseignement a un effet non seulement sur les capacités de décodage mais également sur la compréhension de texte.

Enfin, évaluer si cet enseignement est plus efficace dans certaines circonstances, entre autres :
  en fonction de son moment d’introduction : très précoce (en 1ère année du primaire, voire en grande section de maternelle) ou plus tardif (à partir de la 2nd année du primaire) ;
  en fonction des habiletés des enfants : ce type de méthode est il aussi efficace pour des enfants n’ayant pas été repérés comme étant à risque pour l’apprentissage de la lecture que pour ceux supposés à risque pour cet apprentissage pour des raisons linguistiques ou sociologiques, entre autres ?

Les 38 études prises en compte dans cette synthèse ont permis d’évaluer l’effet moyen d’un enseignement systématique des correspondances grapho-phonologiques sur les performances des enfants en lecture et en écriture de mots ainsi qu’en compréhension de textes, comparativement aux autres méthodes. Comme l’indique la figure 1a, un enseignement systématique des correspondances grapho-phonologiques en 1ère année du primaire, voire dès la grande section de maternelle (sur la figure, les résultats des deux années sont confondus) aide efficacement les élèves. En revanche, lorsque cette méthode est introduite plus tardivement (à partir de la 2nd année du primaire), son impact est plus faible. Ce dernier résultat peut toutefois être biaisé par le fait que la très grande majorité des études comportant un enseignement tardif des correspondances grapho-phonologiques (78%) a porté sur des enfants en difficultés.

De plus, ce sont les enfants à risque pour l’apprentissage de lecture (ceux qui avaient de faibles capacités d’analyse phonémique ou qui étaient intégrés dans des classes spéciales pour enfants en difficultés, ou encore ceux issus des milieux socio-économiques les moins favorisés) qui bénéficient le plus d’un enseignement systématique des correspondances grapho-phonologiques (figure 1b).
Parmi les méthodes qui s’appuient systématiquement sur les correspondances grapho-phonologiques, il a été possible de distinguer trois approches : celles qui utilisent uniquement les correspondances grapho-phonémiques, celles qui s’appuient uniquement sur des unités plus larges telles que les rimes des mots, et les approches mixtes. Ces trois approches ont toutes une incidence positive sur la lecture, les meilleurs résultats étant relevés avec un enseignement des correspondances grapho-phonémiques. Enfin, les méthodes s’appuyant systématiquement sur les correspondances grapho-phonologiques se sont avérées supérieures à toutes les autres méthodes, y compris aux méthodes qui enseignent ces relations mais de façon non systématique.

Ces résultats ont été observés quelle que soit la taille des groupes (de 20 à 320 enfants) et quel que soit le mode d’affectation dans les groupes (dans 63% des études cette affectation n’a pas été effectuée au hasard). Ils sont donc robustes et permettent d’avancer qu’un enseignement systématique et précoce des correspondances grapho-phonémiques est celui que aide le plus efficacement les élèves

Résultats des études disponibles dans le monde francophone

Deux études (Braibant et Gérard, 1996 ; Goigoux, 2000) ont évalué l’impact d’une méthode centrée sur le décodage grapho-phonémique comparativement à celui d’une méthode idéovisuelle, qui rejette l’enseignement du décodage parce qu’il ralentirait la vitesse de lecture et nuirait à la compréhension. L’hypothèse de ces études était que les enfants ayant bénéficié d’un enseignement idéovisuel devraient manifester des performances supérieures en lecture à celles des enfants soumis à un enseignement du décodage et, plus particulièrement, en compréhension écrite.

L’étude de Braibant et Gérard a été conduite auprès de 450 enfants scolarisés dans 25 classes de 2ème année du primaire de 12 écoles francophones de l’agglomération bruxelloise. Les caractéristiques de cette population étaient proches des moyennes de référence (origine sociale, âge, sexe, retard scolaire...). La nécessité de ne pas favoriser les élèves qui ont appris à lire selon une méthode plutôt qu’une autre a conduit les auteurs à renoncer à une évaluation des compétences de lecture à voix haute, cette tâche étant généralement utilisée uniquement par les enseignants qui utilisent une méthode phonique. De même, les capacités de compréhension écrite n’ont pas été évaluées par un test impliquant le recours à des stratégies d’anticipation contextuelles, ce type de stratégies étant privilégié par les enseignants pratiquant une méthode idéovisuelle.

Les capacités de décodage (conduisant à l’identification des mots écrits) ont donc été évaluées par une épreuve de lecture silencieuse. Un dessin sous lequel était écrit un mot était présenté aux enfants qui devaient décider si ce mot correspondait bien à celui représenté par l’image. Cette épreuve comportait des « mots tordus », par exemple, le mot « boire » sous le dessin d’une « poire ». La compréhension écrite a été évaluée par un test dans lequel l’enfant devait choisir, parmi 4 images, celle qui correspondait à un petit texte écrit. Par exemple, le texte « il est temps de se lever pour aller à l’école » était accompagné de 4 images : l’une avec une maman montrant l’heure à sa fille qui était dans son lit, sur une autre figuraient deux enfants sur le chemin de l’école, les deux dernières images présentaient respectivement une maman lavant sa petite fille et deux enfants en train de se laver.

Il ressort tout d’abord de cette étude que les capacités de décodage et de compréhension écrite en 2ème année du primaire sont largement expliquées par la méthode d’enseignement et les pratiques pédagogiques, le pouvoir explicatif de ces variables étant plus important que celui des facteurs socio-culturels, qui ne seraient donc pas les principaux déterminants de la réussite en lecture. Les autres facteurs associés à la réussite en lecture sont principalement la langue parlée à la maison et les compétences linguistiques des enfants. Ces deux facteurs n’ont cependant pas la même incidence sur les différentes mesures des capacités de lecture. Ainsi, les enfants qui ne parlent pas le français à la maison comprennent moins bien ce qu’ils lisent, alors que leurs capacités de décodage sont similaires à celles des enfants dont la langue maternelle est le français. De même, les compétences linguistiques (vocabulaire, capacités syntaxiques) interviennent dans la réussite au test de compréhension alors qu’elles n’influencent pas de manière significative les capacités de décodage. Toutefois, les problèmes de compréhension écrite relevés dans ces deux cas ne sont probablement pas spécifiques à la lecture.

De plus, quelle que soit l’origine sociale des élèves, l’approche idéovisuelle est moins efficace que l’approche phonique. En fait, comme l’indiquent les résultats présentés dans la figure 2, les enfants de milieux les moins favorisés qui ont été exposés à une méthode enseignant le décodage ont même des résultats supérieurs à ceux des enfants de milieux plus favorisés confrontés à une méthode idéovisuelle, et de nouveau à la fois avec le test évaluant leurs capacités de décodage et avec celui évaluant leurs capacités de compréhension écrite.
Enfin, les enfants qui ont été exposés à une approche phonique ont des résultats non seulement plus élevés mais aussi plus homogènes que ceux de l’autre groupe. Par exemple, dans le test de compréhension écrite supposé pourtant leur être plus favorable que le test de décodage, près de 50% des élèves exposés à une méthode idéovisuelle ont des résultats faibles (inférieur au percentile [3] 25), voire très faibles dans 25% des cas (inférieurs au percentile 10), seulement 10% ayant de très bons scores (supérieurs au percentile 75). Sur la même base et dans la même épreuve, 20% des enfants exposés à une méthode phonique ont de très bons scores, et seulement 10% des scores faibles.

Des tendances similaires ont été relevées dans une étude française [4]. Comme dans l’étude précédente, les enfants exposés à une méthode idéovisuelle, par rapport à ceux exposés à une méthode phonique, ont des résultats inférieurs, non seulement d’après les résultats aux épreuves développées pour l’étude (compréhension et décodage) mais aussi d’après ceux de l’évaluation nationale à l’entrée au CE2.

En résumé, les résultats des études disponibles indiquent que :

l’enseignement systématique des correspondances grapho-phonémiques est plus efficace que toutes les autres méthodes ;
  l’impact de ce type d’enseignement est plus fort lorsqu’il débute précocement ;
  les enfants exposés à ce type d’enseignement obtiennent des résultats supérieurs (décodage et compréhension de textes écrits) à ceux des enfants qui ont bénéficié d’autres méthodes ;
  cet enseignement est particulièrement bénéfique pour les enfants à risque de difficultés d’apprentissage de la lecture, que ce soit pour des raisons linguistiques ou sociologiques.
  De plus, les entraînements précoces de la conscience phonémique facilitent l’apprentissage de la lecture, encore une fois, particulièrement pour les enfants à risque pour cet apprentissage, et lorsque les enfants pouvaient en plus manipuler les lettres correspondant aux phonèmes.


Implications pour les pratiques pédagogiques

Ce qui est en jeu n’implique pas une révolution : il s’agit seulement de demander aux enseignants de consacrer chaque jour, dès le début du CP, un laps de temps conséquent à des activités systématiques centrées explicitement sur les correspondances grapho-phonémiques, ce que font la majorité d’entre eux, mais pas tous. Les investigations de la recherche rejoignent donc les pratiques pédagogiques les plus fréquentes telles qu’on peut les appréhender par des enquêtes [5]. Toutefois, si seulement 5% des enseignants ne prennent pas en compte l’apprentissage des relations grapho-phonémiques, ou ne le font qu’occasionnellement et/ou tardivement, ce sont pratiquement 40.000 enfants qui sont concernés, et presque 8.000 si ce chiffre n’est que de 1%, ce qui est loin d’être négligeable.

De même, en grande section de maternelle, il faudrait chaque jour proposer de courtes séquences d’entraînement à la conscience phonémique. Le reste du temps scolaire pourra être consacré à d’autres activités, en particulier, à des activités de sensibilisation à la lecture et à la langue orale impliquant d’autres niveaux d’articulation de la langue que le niveau phonémique (morphologie, syntaxe, sémantique, pragmatique) essentiels pour comprendre l’écrit, comme l’oral. Certains chercheurs, tout comme certains enseignants, ont développé des aides pédagogiques à ces différents niveaux. Il faudrait toutefois évaluer les pratiques qui, dans ces domaines, sont les plus susceptibles de faciliter l’entrée dans l’écrit.

Résultats des études sur les processus cognitifs en jeu dans la lecture et sons apprentissage

Comme nous l’avons signalé dans l’introduction, les études sur les processus cognitifs en jeu dans la lecture chez celui qui sait lire suggèrent que ce lecteur utilise des procédures d’identification des mots écrits très rapides et fortement indépendantes du contexte. De plus, ce lecteur a immédiatement accès non seulement à l’image visuelle des mots écrits, mais également à leur forme sonore. C’est probablement pour cette raison que nous aimons les textes qui « sonnent » bien. La maîtrise progressive de ce type de procédures d’identification des mots écrits doit permettre à l’enfant d’atteindre un niveau de compréhension écrite égal à celui de sa compréhension orale, en le dégageant du poids d’un décodage lent et laborieux ou du recours à des anticipations contextuelles hasardeuses, certaines méthodes semblant faciliter plus que d’autres la mise en place de ces procédures.

Les travaux de recherche suggèrent également que, dans un système d’écriture alphabétique, la maîtrise du décodage est le sine qua non de l’apprentissage de la lecture. Les bons décodeurs précoces sont en effet ceux qui progressent le mieux, et le plus vite. En outre, la « transparence » de l’orthographe facilite cet apprentissage. Ainsi, les enfants espagnols apprennent à lire plus vite que les petits français qui eux-mêmes apprennent plus vite que les petits anglais. L’incidence de l’opacité de l’orthographe explique aussi pourquoi les petits français ont des résultats proches de ceux des espagnols en lecture, mais pas en écriture. En effet, les correspondances graphème-phonème (utilisées pour lire) sont très régulières en français, mais pas les correspondances phonème-graphème (utilisées pour écrire). Ainsi, alors que le mot "bateau" ne peut se lire que d’une seule façon, il existe différentes façons de l’orthographier. Les chercheurs français ont largement contribué à l’avancée des recherches dans ces différents domaines (voir, pour des synthèses, ONL, 1998 ; Sprenger-Charolles et Colé, 2003).

En conclusion

Identifier - et valider - les moyens qui permettent à tous les enfants de réussir au mieux était au centre des préoccupations des fondateurs français des sciences de l’éducation et des principaux mouvements pédagogiques, comme le Groupe Français d’Education Nouvelle (GFEN).

Ainsi, Paul Langevin, physicien connu pour ses travaux sur le magnétisme, la détection par ultrasons et la théorie de la relativité, qui est à l’origine, avec Henri Wallon, de la réforme "Langevin-Wallon" (1945), a également collaboré à la création du GFEN. Henri Wallon, seconde figure marquante de ce mouvement, était à la fois philosophe, neuropsychiatre, psychologue, pédagogue et homme politique. Il a fondé le laboratoire de psycho-biologie de l’enfant et la revue "Enfance". Une chaire de psychologie et d’éducation de l’enfance a été créée à son intention au Collège de France, en 1937. Gaston Mialaret, qui lui succéda à la tête du GFEN, avait une double formation : en psychologie et en mathématiques. Il a successivement été instituteur puis professeur de mathématiques. En 1967, il est devenu titulaire d’une chaire de psychologie qu’il a intitulée "chaire de sciences de l’éducation", donnant ainsi naissance à un nouveau département universitaire. Gaston Mialaret a également créé le premier laboratoire de psycho-pédagogie, à l’ENS de Saint Cloud. Ses travaux témoignent d’un effort constant de confrontation entre la pratique et la théorie pédagogique, d’une part, et les résultats de la recherche en éducation, d’autre part. Il accordait également une importance cruciale à la formation des enseignants, formation qui, selon lui, devait avoir pour principal objectif de leur permettre de développer une attitude scientifique devant les faits. Enfin, il a mis l’enfant au centre du dispositif éducatif, en insistant sur la nécessité de prendre en compte les divers processus psychologiques mis en oeuvre dans et par l’action éducative. Il ne faudrait pas renier ce passé, qui n’a rien d’anglo-saxon !

Liliane Sprenger-Charolles, Directeur de Recherche, CNRS et Université René Descartes, Paris.
Pascale Colé, Professeur des Universités, CNRS et Université de Savoie, Chambéry.


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RÉFÉRENCES
  Braibant, J.-M., Gérard, F.-M. (1996), Savoir lire : une question de méthodes ? Bulletin de psychologie scolaire et d’orientation, 1, 7-45.
  Ehri, L.C., Nunes, S.R., Stahl, S.A., Willows, D.M.M. (2001a). Systematic phonics instruction helps students learn to read : Evidence from the National Reading Panel’s meta- analysis. Review of Educational Research, 71, 393-447
  Ehri, L.C., Nunes, S.R., Willows, D.M., Schuster, B.V., Yaghoub-Zadeh, Z., Shanahan, T. (2001b). Phonemic awareness instruction helps children learn to read : Evidence from the National Reading Panel’s meta-analysis. Reading Research Quarterly, 36, 250-287
  ONL (1998, dirigé par Morais et Robillart). Apprendre à lire. CNDP - Odile Jacob, Paris.
  Sprenger-Charolles, L. & Colé, P. (2003). Lecture et Dyslexie : Approche cognitive. Paris, Dunod.


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Figure 1 (d’après Ehri et coll., 2001b). Avantage d’un enseignement systématique des correspondances grapho-phonémiques selon la nature des compétences en lecture évaluées et le moment d’introduction de la méthode (1a) et selon le niveau de lecture des enfants et leur milieu socio-économique (1b, moyenne sur les différentes compétences)

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Figure 2. Résultats aux tests de compréhension et de décodage en fonction de l’approche pédagogique et du milieu socioculturel des enfants (MSC+ ou MSC- : milieu favorisé et défavorisé, d’après Braibant et Gérard, 1996)

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[1] Ces revues sont pratiquement toutes de langue anglaise, ce qui facilite l’accès à des travaux conduits dans différents pays. Toutefois, tous les chercheurs, y compris les chercheurs français, participent aux comités de lecture de ces revues et les travaux publiés, comme les revues existantes, sont issus de différents pays.

[2] Une autre étude est souvent citée : celle de Leybaert et Content (1995, Reading and spelling acquisition in two different teaching methods : A test of the independence hypothesis. Reading and Writing, 7, 65-88). Or cette étude n’avait ni l’objectif, ni les moyens, d’évaluer les effets de différentes méthodes sur le niveau de lecture des enfants dans la mesure où il n’y avait qu’une classe par méthode (l’effet méthode se confond donc avec l’effet enseignant) et que l’effectif des groupes était très faible (entre 12 et 16 enfants). L’objectif de cette étude était en fait de vérifier si, quelles que soient les méthodes, les enfants développent des procédures de lecture identiques.

[3] Les percentiles permettent de situer le niveau d’un enfant. Ils sont calculés en fonction des résultats obtenus à un test standardisé. Les scores dans les percentiles 10 et 25 sont ceux obtenus respectivement par les 10% et les 25% des enfants les plus faibles de la population de référence, ceux dans le percentile 75 correspondant aux scores des 25% des enfants les plus forts. Quand, dans une étude spécifique, comme cela est ici le cas, 50% des enfants ont des scores inférieurs au percentile 25 alors que 10% ont des scores supérieurs au percentile 75, cela signale que, par rapport à ce qui est attendu normalement, il y a une sur-représentation des enfants les plus faibles et un sous-représentation des plus forts.

[4] Goigoux, R. (2000). Apprendre à lire à l’école : les limites d’une approche idéovisuelle. Psychologie Français, 45, 233-243

[5] Nous ne disposons pas de données statistiques récentes. On peut toutefois signaler les résultats d’une enquête nationale publiée en 1994. Cette étude, qui a porté sur les pratiques pédagogiques de 2500 maîtres de CP, indique que 91% d’entre eux disaient qu’ils mettaient l’accent sur la maîtrise des correspondances entre « les lettres et les sons ». Cela signale qu’environ 10% ne le faisaient pas à cette époque. De plus, il est difficile de savoir dans combien de cas cet enseignement était, d’une part, précoce et, d’autre part, systématique (Fijalkow, E. et Fijalkow, J., 1994. Enseigner à lire et à écrire au CP : Etat des lieux. Revue Française de Pédagogie, 107, 63-79).


Message Publié : 19 Jan 2007, 00:12
par zeanticpe
Moi, je préfère attendre Bertrand. Il n'y a que lui qui saura me dire comment lire correctement ces analyses. :smile:

Message Publié : 19 Jan 2007, 06:39
par Bertrand
(zeanticpe @ vendredi 19 janvier 2007 à 00:12 a écrit :Moi, je préfère attendre Bertrand. Il n'y a que lui qui saura me dire comment lire correctement ces analyses. :(
ha si quand même, deux petites remarques :
- Est-ce que les parfaites maîtrises du découpage syllabique des mots, de la correspondance graphemes/phonèmes sont suffisantes pour pouvoir "lire correctement les analyses ci-dessus" ?

- L'écrit est-il d'abord un système de notation de l'oral ?


Message Publié : 19 Jan 2007, 07:48
par canardos
tu as raison, bertrand, le but de la lecture, ce n'est pas le découpage syllabique, mais la compréhension des textes.

toutefois les deux semblent aller ensemble selon les etudes sur les élèves francophones, qu'ils soient de milieux favorisés ou défavorisés (figure 2).


Liliane Sprenger-Charolles et Pascale Colé écrivent:

a écrit :

Il ressort tout d’abord de cette étude que les capacités de décodage et de compréhension écrite en 2ème année du primaire sont largement expliquées par la méthode d’enseignement et les pratiques pédagogiques, le pouvoir explicatif de ces variables étant plus important que celui des facteurs socio-culturels, qui ne seraient donc pas les principaux déterminants de la réussite en lecture. Les autres facteurs associés à la réussite en lecture sont principalement la langue parlée à la maison et les compétences linguistiques des enfants. Ces deux facteurs n’ont cependant pas la même incidence sur les différentes mesures des capacités de lecture. Ainsi, les enfants qui ne parlent pas le français à la maison comprennent moins bien ce qu’ils lisent, alors que leurs capacités de décodage sont similaires à celles des enfants dont la langue maternelle est le français. De même, les compétences linguistiques (vocabulaire, capacités syntaxiques) interviennent dans la réussite au test de compréhension alors qu’elles n’influencent pas de manière significative les capacités de décodage. Toutefois, les problèmes de compréhension écrite relevés dans ces deux cas ne sont probablement pas spécifiques à la lecture.

De plus, quelle que soit l’origine sociale des élèves, l’approche idéovisuelle est moins efficace que l’approche phonique. En fait, comme l’indiquent les résultats présentés dans la figure 2, les enfants de milieux les moins favorisés qui ont été exposés à une méthode enseignant le décodage ont même des résultats supérieurs à ceux des enfants de milieux plus favorisés confrontés à une méthode idéovisuelle, et de nouveau à la fois avec le test évaluant leurs capacités de décodage et avec celui évaluant leurs capacités de compréhension écrite.
Enfin, les enfants qui ont été exposés à une approche phonique ont des résultats non seulement plus élevés mais aussi plus homogènes que ceux de l’autre groupe. Par exemple, dans le test de compréhension écrite supposé pourtant leur être plus favorable que le test de décodage, près de 50% des élèves exposés à une méthode idéovisuelle ont des résultats faibles (inférieur au percentile [3] 25), voire très faibles dans 25% des cas (inférieurs au percentile 10), seulement 10% ayant de très bons scores (supérieurs au percentile 75). Sur la même base et dans la même épreuve, 20% des enfants exposés à une méthode phonique ont de très bons scores, et seulement 10% des scores faibles.

Des tendances similaires ont été relevées dans une étude française [4]. Comme dans l’étude précédente, les enfants exposés à une méthode idéovisuelle, par rapport à ceux exposés à une méthode phonique, ont des résultats inférieurs, non seulement d’après les résultats aux épreuves développées pour l’étude (compréhension et décodage) mais aussi d’après ceux de l’évaluation nationale à l’entrée au CE2.


Message Publié : 19 Jan 2007, 07:51
par Bertrand
(canardos @ vendredi 19 janvier 2007 à 07:48 a écrit : tu as raison, bertrand, le but de la lecture, ce n'est pas le découpage syllabique, mais la compréhension des textes.

une autre question pas si anodine :bleh:

Est-ce que la lecture a pour "but de comprendre" ou est-ce que la lecture est comprendre ?