
dans le journal du CNRS de février:
a écrit :
[center]Repenser la lutte contre les parasites[/center]
Grippe aviaire, coqueluche, paludisme… ces maladies ont un point commun : elles sont dues à un agent pathogène qui agresse l'homme. À Montpellier, les chercheurs du Gémi étudient les interactions entre ces parasites et leurs hôtes. Leur espoir : trouver de nouveaux moyens pour enrayer ces maladies.
"Les agents pathogènes ne réfléchissent pas, ils n'ont pas sciemment décidé de nous nuire", lance François Renaud. Cela pourrait ressembler à un plaidoyer en faveur des virus, bactéries et autres agents infectieux. Le propos du nouveau directeur du laboratoire de Génétique et évolution des maladies infectieuses (Gémi) 1 de Montpellier est tout autre : les agents pathogènes sont des organismes vivants, et de ce fait, aux prises avec l'évolution et participant à leur manière au grand livre de la biodiversité. Cette façon de considérer les parasites permet de revoir les stratégies de lutte contre les maladies infectieuses, à l'heure où la grippe aviaire inquiète, où le sida décime des populations et où des maladies que l'on pensait éradiquées reprennent le dessus. « Justement, le Gémi, qui est une des rares unités mixtes IRD / CNRS, a cette capacité d'étudier toutes sortes de maladies infectieuses en jonglant entre recherche fondamentale et recherche appliquée pour le développement durable », tient à préciser François Renaud.
C'est sous sa houlette que le laboratoire accueille une trentaine de chercheurs, doctorants et postdoctorants et une dizaine de personnels techniques. Il désigne les bâtiments, reliés par de petits jardins japonais, dans lesquels les scientifiques sont dispersés. « Les agents infectieux utilisent les êtres vivants, dont l'homme, comme écosystème, continue-t-il. Mais leur pathogénie n'est pas une constante, c'est une variable qui dépend complètement des paramètres de cet écosystème. Pour lutter contre ceux qui provoquent des ravages, on étudie les trois mécanismes nécessaires à leur évolution : entrée dans l'organisme, reproduction, transmission. » Et de préciser : « Un bon parasite n'est pas forcément un parasite mort. À moins de tous les supprimer. En effet, si on éradique certains parasites, d'autres auront le champ libre pour augmenter leur virulence. Tout est affaire d'équilibre. » Ainsi, dans les cas d'infection par un plasmodium, l'agent infectieux responsable du paludisme – maladie qui tue un enfant toutes les trente secondes en Afrique –, les chercheurs savent que la présence de nématodes intestinaux, d'autres parasites donc, diminue la virulence du protozoaire. Autre exemple, lié cette fois à la culture agricole de masse : « En cultivant en grande quantité des protéines (poulets, moutons…) identiques, on crée une sorte de réacteur biologique. Si un virus est adapté à un des animaux, il sera aussi adapté à tous les autres. Et l'élevage sera décimé. » Des commentaires qui sonnent comme un signal d'alarme alors que s'ouvre le Salon international de l'agriculture 2.
La diversité génétique, c'est justement ce qu'Anne-Laure Bañuls étudie, prenant en compte celle des hommes et de leurs parasites : de quelle manière la variabilité respective de leurs gènes joue-t-elle un rôle dans la virulence d'une maladie parasitaire dans les pays en développement ? En collaboration avec des médecins locaux, la chercheuse s'intéresse à la maladie de Chagas qui tue chaque année plusieurs milliers de personnes en Amérique centrale et du Sud et, en Inde, à la leishmaniose viscérale, affection mortelle.
Une autre manière d'étudier, de comprendre, et donc de lutter contre les parasites est de percer les secrets de la « manipulation parasitaire ». Le cas le plus connu est celui de la douve du foie : elle pousse les fourmis, un des hôtes nécessaires à son développement, à grimper en haut des brins d'herbe pour se faire avaler par un mouton, dans le foie duquel elle ira se loger. Au Gémi, Frédéric Thomas, lui, s'est penché sur le cas de grillons poussés au suicide par les nématomorphes qui les parasitent. « À l'état larvaire, ces vers sont des parasites, mais une fois adulte, ils sont libres et aquatiques : ils ont absolument besoin d'eau. » Comment se débrouillent-ils pour pousser les grillons à faire le plongeon fatal ? Tout simplement en dialoguant. Via des molécules. Le chercheur et son équipe ont en effet établi le protéome 3 des malheureux grillons et de leurs parasites, avant, pendant et après le « suicide ». Ils ont ainsi mis en évidence la production par les vers de molécules neuroactives mimétiques : en les sécrétant dans le système nerveux central du grillon, les vers modifient l'attirance de leurs hôtes pour la lumière reflétée dans l'eau. Et le tour est joué !
Les relations hôte-parasite fourmillent d'exemples où l'agent infectieux utilise son hôte à son corps défendant. Par exemple, chez les personnes atteintes de paludisme, l'odeur corporelle change. On pensait jusqu'alors que cette odeur propre aux personnes impaludées était due à des troubles physiologiques, effets secondaires de l'infection. Il semblerait que ce soit en fait un coup du plasmodium : cette odeur attire les moustiques ! Le plasmodium ayant élu domicile dans l'homme augmente ainsi ses chances d'être prélevé et de rencontrer d'autres parasites dans l'estomac d'un moustique femelle.
L'équipe de François Renaud vient d'ailleurs de publier un autre résultat fondamental 4 sur la reproduction de ce protozoaire tenace : lorsque la femelle moustique pique une personne impaludée, elle prélève de nombreux plasmodiums. Une fois dans son estomac, le parasite peut alors se retrouver en contact avec d'autres plasmodiums, prélevés sur d'autres malades. Et là, il a le choix, puisqu'il produit simultanément des gamètes (cellules reproductrices) mâles et femelles : soit mélanger ses gènes avec ceux d'un autre, soit se cloner, c'est-à-dire se reproduire avec lui-même. Quel que soit le mode choisi, l'œuf obtenu évolue en « oocyste ». Grâce à un minutieux travail de dissection, les chercheurs du Gémi ont prélevé des oocystes dans l'estomac de moustiques et observé la variabilité des allèles 5 et leurs associations. Ils ont ainsi établi qu'un gamète sur quatre se reproduisait avec un gamète issu du même individu : ce qui signifie qu'il y a 25 % d'autofécondation. « Ce chiffre élevé n'est pas anodin et dément les propos généralement admis signifiant que le brassage des allèles se fait au hasard dans les zones de forte transmission de la maladie », insiste François Renaud. Alors que de nombreuses souches de plasmodium se révèlent résistantes aux médicaments, ce constat a toute son importance.
Mais se reproduire n'est pas tout, encore faut-il se transmettre… Et là, le plasmodium sait également modifier le comportement de son hôte : réfugié à l'intérieur d'un moustique, il est capable d'augmenter son appétit et de le pousser à piquer davantage. Ses chances d'être transmis augmentent alors !
Si la compréhension des stratégies déployées par les parasites pour être transmis est capitale, la façon dont une maladie se diffuse à travers la population l'est également. C'est ce sujet qu'aborde Jean-François Guégan à travers l'étude des dynamiques temporelle et spatiale des maladies infectieuses et parasitaires. En termes simples : « Quand, où et avec quelle périodicité se développent et se diffusent des maladies infectieuses ? ». Pour y répondre, il s'inspire de travaux de recherche britanniques, qui, données épidémiologiques à l'appui, ont suivi l'apparition, la fréquence et la localisation de cas de coqueluche et de rougeole à travers l'Angleterre. Leurs travaux ont mis en évidence un phénomène d'onde : les crises d'épidémie reviennent à intervalles réguliers, tous les deux ans pour la rougeole, tous les trois ans et demi à quatre ans pour la coqueluche. Entre chaque épidémie, des périodes d'accalmie. Mais surtout, ils ont révélé l'existence de zones sources de recontamination, où même entre les épidémies, des cas de maladies étaient toujours constatés. « Nous avons fait le même travail au Sénégal, dans la région de Niakhar. C'est une zone très sèche, très pauvre et nous voulions voir si les conditions sanitaires, socio-économiques avaient une influence. » Il semblerait que non, puisque la même dynamique de diffusion de la rougeole et de la coqueluche a été observée. Lutter pour l'amélioration des conditions sanitaires reste donc indispensable, mais ce n'est pas la clé du problème. Jean-François Guégan, à l'encontre de ce qui se fait, estime d'ailleurs que la vaccination aurait plus d'impact si elle était effectuée pendant les phases d'accalmie. L'approche originale des agents pathogènes développée au Gémi conduit réellement à renouveler les méthodes de lutte. Car nos chercheurs ont un avantage sur ces maudits parasites : ils réfléchissent et ont sciemment décidé de leur nuire.
Julie Coquart
De l'importance de la modélisation
Au sein du Gémi, le groupe de Yannis Michalakis 1 développe des approches théoriques et expérimentales sur les mécanismes de l'évolution entre les pathogènes et leurs hôtes. L'un des chercheurs, Sylvain Gandon, a ainsi montré, avec des collègues britanniques, dans la revue Nature 2, que des vaccins qui diminuent le risque d'infection ou la transmission peuvent favoriser une diminution de la virulence. Alors que des vaccins qui diminuent la vitesse de multiplication des parasites peuvent favoriser l'émergence de souches plus virulentes. Cette approche théorique permet d'évaluer les conséquences à long terme d'une campagne de vaccination sur le coût du parasitisme et d'identifier les stratégies de vaccination optimales.
J. C.
1. Atip (action thématique et incitative sur programme) CNRS.
2. Nature, 8 septembre 2005, vol. 437, n° 7056, pp. 253-256.
1. Laboratoire CNRS / Institut de recherche pour le développement (IRD), en convention avec l'université Montpellier-II.
2. Du 25 février au 5 mars, Porte de Versailles, Paris.
3. Ensemble des protéines exprimées à un moment donné.
4. Proceedings of National Academy of Sciences, 29 novembre 2005, vol. 102, n° 48, pp. 17388-17393.
5. Des allèles sont des gènes de même fonction mais d'effet différent.