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[center]Cellules souches : promesses et controverses[/center]
LE MONDE | 19.09.06 |
Aux confins de la biologie, de la médecine et de la morale, c'est l'un des chapitres les plus passionnants de la science contemporaine qui, publication après publication, colloque après colloque, s'écrit sous nos yeux.
L'identification, la culture et la maîtrise des cellules souches humaines permettront-elles d'assurer le développement d'une médecine régénératrice, capable de proposer des traitements efficaces, susceptibles de guérir de multiples affections dégénératives aujourd'hui incurables ?
Ces entités cellulaires, potentiellement capables de se transformer et de se différencier pour donner des éléments identiques à ceux qui constituent les tissus du corps humain, représentent-elles, comme le postulent aujourd'hui de nombreux biologistes et industriels, une forme d'eldorado thérapeutique ?
Si tel était le cas, que vaudront demain les arguments de ceux qui, pour des raisons philosophiques ou religieuses, s'opposent à ce que l'on détruise des embryons humains pour obtenir ces précieuses cellules ? Au-delà des enthousiasmes actuels, quelle est la longueur du chemin qui reste à parcourir avant que l'on parvienne à démontrer que les promesses d'aujourd'hui ne sont pas, en définitive, une forme d'illusion quant aux capacités humaines à corriger le vivant ?
Deux colloques internationaux, récemment organisés, l'un à Paris et l'autre à Rome, ont permis de mieux saisir la nature et la portée de ces questions qui nourrissent autant de promesses qu'elles alimentent de controverses.
Le premier a eu lieu du 6 au 8 septembre, sous l'égide de l'Académie nationale des sciences ; le second du 15 au 17 septembre à l'initiative de l'Académie pontificale pour la vie - organisme dépendant du Vatican -, de la Fondation Jérôme Lejeune et de la Fédération internationale des associations médicales catholiques.
Quai de Conti, sous les ors de l'Institut de France, on a prêché pour le développement rapide des travaux dans ce domaine en pleine mutation, mais sans aucun triomphalisme. Quelques jours plus tard, à deux pas du Vatican, on a réaffirmé avec force, à l'attention des scientistes, la nécessité absolue de respecter certaines frontières, à commencer par celle qui veut que la vie humaine commence au moment précis où le spermatozoïde franchit la membrane de l'ovocyte, avant que deux patrimoines héréditaires - l'un masculin, l'autre féminin - ne se fondent pour créer une personne potentielle.
En l'état actuel des données scientifiques et des convictions de l'Eglise catholique, un compromis semble impossible à trouver. Parce qu'elles posent à nouveau les antiques questions inhérentes à la définition et au statut de l'embryon humain, les cellules souches viennent relancer avec une nouvelle violence les controverses qu'avaient en leur temps déclenché la contraception hormonale ou la procréation médicalement assistée. Du moins les cellules souches embryonnaires.
Car on a généralement tendance à réduire le chapitre de la future médecine régénératrice à ces cellules, alors que d'autres voies sont d'ores et déjà ouvertes. Comme les cellules souches présentes dans les organismes humains vivants (cellules souches "adultes") et celles présentes dans le sang du cordon ombilical, au moment de la naissance. Ces dernières sont, pour l'heure, les premières et les seules, à avoir fait la preuve indiscutable d'une efficacité thérapeutique dans différentes formes de leucémies infantiles.
En pratique, le très vif intérêt porté par la communauté internationale des biologistes aux cellules souches embryonnaires humaines tient au fait que ces dernières semblent être dotées d'une très grande plasticité (les spécialistes parlent ici de "totipotence"), une propriété dont ne disposeraient pas les cellules souches de cordon et encore moins les cellules souches "adultes".
Le gouvernement britannique devait annoncer, lundi 18 septembre, la mise en fonctionnement de la première banque publique au monde de cellules souches embryonnaires humaines destinées à faciliter le développement des recherches dans ce domaine.
Le principe d'une telle structure avait été adopté, en 2003, par le Medical Research Council. Cette banque stockera des échantillons de toutes les lignées de cellules souches constituées au Royaume-Uni, ainsi que certaines cellules souches d'origine américaine ou australienne.
La Grande-Bretagne dispose d'ores et déjà des lignées de cellules souches différenciées en six types de tissus de l'organisme humain. Cette banque devrait permettre à de nombreuses équipes de médecins et de biologistes britanniques de travailler dans ce domaine sans avoir à créer elles-mêmes ces lignées cellulaires. Par ailleurs, des équipes espagnoles, israéliennes et turques ont demandé à avoir accès aux cellules souches de la banque britannique. Mais rien n'est toutefois définitivement acquis et les incertitudes scientifiques alimentent d'autant la controverse.
La possibilité de créer des mammifères à partir de la technique du clonage complique un peu plus ce paysage. Cette performance, dont on est encore loin d'avoir tiré toutes les leçons, ne date que de dix ans, mais a d'ores et déjà totalement bouleversé la donne. Elle laisse penser que des embryons humains conçus à partir de la technique du clonage pourraient, un jour prochain, devenir des formes de réservoirs biologiques à visée thérapeutique.
Le Royaume-Uni, la Belgique et la Suède ont adopté des dispositions législatives autorisant de telles expériences, mais une majorité des pays de l'Union européenne s'y opposent formellement.
En France, la loi de bioéthique de 2004 pose le principe de l'interdiction de toute recherche sur ces cellules souches embryonnaires humaines, tout en autorisant, à titre dérogatoire et pour une période de cinq ans, des travaux conduisant à la destruction d'embryons fécondés in vitro et ne s'inscrivant plus dans le cadre d'un projet parental.
Cette même loi punit de sept ans d'emprisonnement et d'une amende de 100 000 euros les biologistes qui entreprendraient de créer, pour obtenir des cellules souches, un embryon humain à partir de la technique du clonage à visée thérapeutique par transfert nucléaire.
La situation pourrait toutefois rapidement évoluer, comme en témoignent les conclusions d'une mission parlementaire confiée, en janvier, par le premier ministre Dominique de Villepin au professeur Pierre-Louis Fagniez, spécialiste de chirurgie digestive à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne) et député UMP de ce département.
Dans son rapport intitulé "Cellules souches et choix éthiques", le professeur Fagniez recommande, contre toute attente - compte tenu des convictions de son parti et de celles affirmées par le président de la République, Jacques Chirac - la légalisation prochaine du clonage thérapeutique (Le Monde du 28 juillet).
Cette mission parlementaire a procédé à de nombreuses auditions de personnalités dont certaines ne cachent nullement qu'elles sont formellement opposées à une légalisation de la pratique des recherches à partir des cellules souches embryonnaires humaines. Le rapport du professeur Fagniez expose notamment les arguments de Christine Boutin, députée (UMP) des Yvelines, ou d'André Vingt-Trois, archevêque de Paris.
Ce dernier y rappelle notamment que Jacques Chirac s'était déclaré opposé à la légalisation du clonage à visée thérapeutique, en 2001, cette technique pouvant induire le développement d'un commerce d'ovocytes humains. Il souligne aussi que pour l'Eglise catholique "l'embryon humain, à quelque stade de son développement qu'on le prenne, est un être engagé dans un processus continu, coordonné et graduel depuis la constitution du zygote jusqu'au petit enfant prêt à naître".
Contrairement à celle de 1994, la loi française de bioéthique de 2004 accepte le principe des destructions embryonnaires à visée thérapeutique. S'oriente-t-elle pour autant de manière irréversible vers l'adoption d'un dispositif autorisant, dès 2009, la création d'embryons humains par clonage à des fins non reproductrices ?
Dans une démocratie véritable, cette question devrait figurer en tête de celles qui sont soumises aux candidats de la prochaine élection présidentielle.
Jean-Yves Nau
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Lexique
L'Académie pontificale pour la vie.
Fondée par le pape Jean Paul II en 1994, cette institution du Vatican a pour objet premier d'étudier les questions éthiques soulevées par l'avancée de la biologie dans le champ de la pratique médicale.
A ce titre, de la même manière que l'Académie pontificale des sciences, elle entretient, au-delà des convictions philosophiques et religieuses, des échanges avec de nombreuses personnalités de la communauté scientifique et médicale internationale.
La position de l'Académie des sciences.
Dans le cadre du colloque international sur la thérapie cellulaire régénérative, organisé du 6 au 8 septembre à Paris, Nicole Le Douarin, secrétaire perpétuelle honoraire de l'Académie, a souligné que les recherches sur les cellules souches adultes devaient aller de pair avec celles qui étaient menées sur les cellules souches embryonnaires.
Nicole Le Douarin a par ailleurs mis en garde les différents participants contre les espoirs excessifs auxquels pourrait donner lieu l'enthousiasme de certains scientifiques.
Selon elle, la route est encore longue avant la mise en place des thérapies espérées grâce à ces cellules souches pluripotentes ou totipotentes.