par Louis » 17 Jan 2004, 10:52
L'avenir du nucléaire civil est plus incertain que celui du nucléaire militaire. Les populations prennent conscience de la gravité des risques industriels. L'accident de Tchernobyl a laissé des traces profondes. Celui de Toulouse et l'attentat contre le World Trade Center succèdent à une longue série de scandales agroalimentaires. Or, s'il est une industrie à risque, c'est bien celle de l'atome. Intrinsèquement dangereuse, elle est aussi une cible militaire de choix.
La radioactivité fait du nucléaire une filière à part, où le risque industriel prend des proportions exceptionnelles. Il est potentiellement infini tant dans l'espace - toute région du monde peut être touchée par les émissions radioactives provoquées par un accident majeur - que dans le temps - il faut des dizaines de milliers ou des millions d'années pour que disparaisse la radioactivité artificiellement créée. Il est de plus en plus difficile de cacher le coût économique réel de l'électricité nucléaire, à l'heure où le démantèlement des centrales doit commencer, où la gestion des déchets devient pressante, où les compagnies d'assurances refusent de couvrir les risques les plus graves.
Un nombre croissant de gouvernements ont mis (au moins officiellement) en cause l'option nucléaire, singulièrement en Europe: Italie, Pays-Bas, Suède, Allemagne, Suisse... Même en Grande-Bretagne, il n'existe pas de programme de renouvellement. Malgré les pressions du lobby nucléocrate, la conférence de Bonn sur le climat a refusé de considérer comme "propre" l'industrie de l'atome, sous prétexte qu'elle produit relativement peu de gaz à effet de serre. Les conditions n'ont jamais été aussi favorables pour sortir du nucléaire malgré le poids - en France tout spécialement - des intérêts civils et militaires concernés. Le gouvernement de la gauche plurielle est ainsi celui qui a le plus activement bloqué, en Europe, l'abandon du nucléaire. Il restructure la filière pour l'aider à préparer une contre-offensive.
L'industrie de l'atome mise sur le déclin des ressources pétrolières pour présenter l'atome comme une alternative inévitable. Les tenants du nucléaire ont encore un atout dans leur manche, qu'ils espèrent maître: depuis deux siècles, le capitalisme a fait le choix des énergies fossiles. Ce choix - social et non scientifique - est porté par de très puissants intérêts établis; il modèle la "pensée unique" des planificateurs ou prévisionnistes. Ainsi, quand l'administration américaine estime l'évolution des ressources énergétiques qui seront utilisées par les Etats-Unis d'ici 2020, elle prévoit un fort déclin du pétrole compensé par une forte hausse de l'hydraulique et du nucléaire. Le solaire n'apparaît même pas dans le graphique des prévisions (1), alors qu'il s'agit de la source d'énergie la plus disponible sur terre. Mais voilà, le capitalisme a condamné cette ressource à la marginalité: elle ne promettait pas assez de profits monopolisables.
Pour l'heure, le nucléaire ne représente que 2,5% de la demande d'énergie finale dans le monde (et 15% pour la France). Il est encore relativement facile de s'en libérer. Mais si l'atome doit sérieusement pallier le déclin du pétrole, il va falloir construire des centrales dans toutes les régions peuplées de la planète. En très grand nombre. Alors que la recherche scientifique n'a pour l'heure permis ni de juguler le risque d'accident ni d'assurer la décontamination des déchets; et ce, cinquante ans après le lancement du programme nucléaire.
Renouveler aujourd'hui le choix de l'atome apparaît fou, tant cela implique la prolifération nucléaire dans le monde entier. Mais c'est bien ce choix que le lobby nucléocrate présente comme "inévitable" (au nom, évidemment, des besoins en énergie du tiers-monde et de la lutte contre l'effet de serre). Or, en ce qui concerne les technologies, l'idéologie dominante fonctionne très efficacement.
Dans le domaine social, des défenses critiques ont été établies de longue date. Quand un rapport d'expert affirme qu'il n'y aura pas d'argent pour payer nos retraites et que le salut réside dans les fonds de pension, chaque militant sait qu'il faut débusquer les postulats cachés de ce discours de classe (à qui profitent les hausses de productivité?). Il n'en va pas de même quand un expert affirme que le solaire ne peut contribuer que marginalement aux besoins en énergie et que l'atome reste la seule alternative au pétrole. Pourtant, le choix des modes productifs (des technologies) n'est pas plus "neutre" que celui des modes d'organisation du travail ou de répartition des revenus. Là encore, il faut débusquer les postulats sociaux cachés derrière le discours dominant, d'apparence technocratique.
Pour combattre conjointement l'effet de serre et la menace nucléaire, la rationalité capitaliste doit être en ce domaine aussi soumise à une critique de fond. L'inefficacité sociale de ses processus techniques de production doit être mise à jour, comme l'inefficacité de ses modes d'organisation du travail. Cela ne sera pas facile, car la tradition de résistance à l'idéologie dominante est toujours, en ce domaine, faible. Mais c'est aujourd'hui possible, plus aisément que dans les années 1990.
Les mouvements contre la mondialisation capitaliste sont en effet porteur d'un nouvel esprit critique "global". Le système est mis en cause, même si les alternatives d'ensemble restent difficiles à nommer. Le sentiment prévaut qu'un "autre monde est possible". Et il n'y aura pas d'autre monde sans autre système énergétique