Atteinte à la biodiversité :
pouvoirs publics constatent la colonisation des cultures par les OGM
Un avis de l'Agence française de la sécurité sanitaire des aliments révèle la
présence croissante d'organismes génétiquement modifiés dans les semences
traditionnelles, notamment de maïs. Le gouvernement souhaite ouvrir largement le
débat avec les experts et les consommateurs
LE MONDE | 25.07.2001
http://www.lemonde.fr/rech_art/0,5987,210824,00.htmlENVIRONNEMENT Un avis de l'Agence française de la sécurité sanitaire des aliments
(Afssa), remis lundi 23 juillet 2001, révèle la présence très large d'OGM "à l'état de
trace dans des semences ou des récoltes conventionnelles". LES EXPERTS de l'Afssa
ont établi que 41 % des échantillons de maïs conventionnels testés contiennent de
faibles fragments d'OGM. Si l'agence estime que cette dissémination ne présente pas
de risque pour la santé publique, elle s'interroge cependant sur cette lente
colonisation. LE GOUVERNEMENT entend ouvrir largement le débat avec les experts et
les associations de consommateurs, afin d'élaborer une "charte de la transparence des
essais d'OGM". LA COMMISSION DE BRUXELLES examine la possibilité d'autoriser à
nouveau la commercialisation de produits OGM, tout en renforçant la protection des
consommateurs. (Lire aussi notre éditorial page 9.)
La france sera-t-elle bientôt mise devant le fait accompli sur les organismes
génétiquement modifiés (OGM) ? Pendant que les spécialistes chicanent sur leurs
avantages et leurs inconvénients, la lente dissémination des semences se poursuit
dans les campagnes. L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) a
rendu, lundi 23 juillet, un avis qui vient confirmer une lente propagation, malgré
l'instauration d'un moratoire en 1997. "La présence d'OGM à l'état de trace dans des
semences ou des récoltes conventionnelles paraît être actuellement une réalité",
affirment les experts. Ce constat "enchantera" les associations environnementalistes,
comme Greenpeace, qui le crie depuis des années.
Interrogée sur les conséquences sanitaires liées à la présence fortuite de semences
OGM en faible proportion dans des semences conventionnelles, l'agence s'est montrée
rassurante sur ce point. "La probabilité d'effet toxique ou allergénique apparaît
comme extrêmement faible", estime l'expertise. "A ce stade, aucun élément porté à
notre connaissance ne suggère de risque pour la santé publique, notamment compte tenu
des faibles teneurs observées dans les lots concernés", conclut-elle.
Mais la conquête transgénique est évidente. Dix-neuf des cent douze échantillons de
semences de colza, de soja et de maïs, officiellement conventionnels, qui ont été
soumis à l'Afssa par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et
de la répression des fraudes (DGCCRF) comportaient un signal, le "promoteur 35S",
caractérisant la présence d'OGM, parfois dans des valeurs n'excédant pas 0,1 %. Pour
le maïs, 41 % des prélèvements étaient "pollués". Des résidus de soja OGM ont même
été identifiés dans certaines semences de maïs conventionnelles, indice d'un étonnant
brassage. La justice, indique mercredi 25 juillet un communiqué du gouvernement, a
d'ailleurs été saisie sur un certain nombre de ces cas de présence fortuite, afin
d'en déterminer l'origine.
Prudemment, l'agence met sa statistique en regard d'une autre, établie par la chambre
syndicale des entreprises semencières, qui, à l'issue d'autocontrôles menés lors de
la campagne 2000-2001, situe à 7 % la proportion de lots de maïs conventionnels où se
trouvent des traces d'OGM. La différence est notable. "Il peut, en conséquence, être
estimé que la fréquence actuelle de présence fortuite d'OGM dans des semences
conventionnelles de maïs se situe entre ces deux valeurs : 41 % et 7 %", résume
diplomatiquement l'avis.
Appliqués aux trois millions d'hectares actuellement emblavés en maïs sur le
territoire national, ces deux pourcentages pourraient cependant laisser suggérer que
des centaines de milliers d'hectares de culture nationale comportent aujourd'hui des
fragments transgéniques.
L'agence se refuse à cette extrapolation. Mais plusieurs affaires récentes
corroborent l'idée que l'extension transgénique n'est plus maîtrisée. Durant l'année
2000, le ministère de l'agriculture a ainsi dû ordonner l'arrachage de cultures de
soja, de colza et de maïs colonisés par les OGM à l'insu des agriculteurs et,
affirme-t-il, des multinationales qui fournissaient les semences.
Pour expliquer cette présence fortuite mais insistante, l'agence évoque comme une des
pistes l'importation de semences impures. Aux Etats-Unis, les cultures transgéniques
couvrent 68 % des surfaces cultivées et la traçabilité est devenue pratiquement
impossible, même pour les produits destinés à l'exportation. Mais l'Europe n'est pas
épargnée par cette confusion. Plusieurs variétés de maïs transgénique sont autorisées
à la commercialisation dans l'Union. Leur culture ne couvre, pour l'heure, que 34
hectares en France, les agriculteurs se montrant réticents à leur usage. Mais elle
est plus développée dans d'autres Etats membres, et le commerce intraeuropéen a pu
hâter la propagation.
L'avis évoque également l'hypothèse d'expérimentations sur le sol français qui
auraient contaminé leur environnement. "Les dispositifs d'encadrement des essais
(distance d'isolement, barrières végétales pour piéger le pollen) ne sont pas conçus
comme des isolements reproductifs stricts ; les OGM disséminés dans ces essais
peuvent donc conduire à des fécondations de parcelles voisines de l'ordre de 0,1 %",
explique l'avis, endossant les récentes conclusions de la Commission du génie
biomoléculaire.
Les opposants craignent que les cultures OGM, aujourd'hui disséminées dans la nature,
ne gagnent peu à peu du terrain au contact des plants conventionnels, par sélection
naturelle. Les plus virulents prônent l'éradication : en juillet, après que le
ministère de l'agriculture a rendu publique la localisation des cultures
transgéniques sur le territoire, un groupe a saccagé des lieux d'expérimentation OGM,
à Beaumont-sur-Lèze (Haute-Garonne) et à Guyancourt (Yvelines), cette dernière action
ayant été revendiquée par un groupe se baptisant Les Ravageurs. Des informations
judiciaires sont actuellement ouvertes.
Dénonçant ces destructions, les semenciers retiennent néanmoins la pollinisation
comme principale responsable de la dissémination. "Le problème de la présence
fortuite est inhérent au fait qu'il y a des cultures OGM aujourd'hui un peu partout
dans le monde, estime Philippe Gracien, directeur général du Groupement national
interprofessionnel des semences. Les réalités de la biologie font qu'on ne peut pas
garantir le niveau zéro. La profession réclame depuis trois ans qu'un seuil réaliste
de présence fortuite soit précisé."
Le 3 juillet, la Commission du génie biomoléculaire avait rendu un avis concluant
également que "la présence d'OGM dans des semences ou récoltes conventionnelles est
une réalité techniquement incontournable", estimant cependant que cette présence ne
constituait pas un danger sanitaire ou environnemental.
L'Afssa, elle, appelle de ses voeux "une analyse à grande échelle, avec un
échantillonnage rigoureux, pour déterminer le degré de généralité du phénomène" de
présence fortuite. Et de conclure : "S'il se confirmait que des OGM étaient présents
à l'état de trace dans une proportion importante des semences, des études devraient
être entreprises pour en préciser les origines, évaluer les risques possibles et
prendre en compte cette donnée pour définir des seuils dans ce nouveau contexte."
Benoît Hopquin