Je reviens une dernière fois sur le bilan de Tchernobyl.
J’ai trouvé sur ce site quelques pages du livre de Tchertkoff dans lesquelles Nesterenko donne plus d’explications par rapport à cette question de la masse critique :
http://bellver.wordpress.com/2011/03/16/ce...illeur-des-cas/Il ne s’agit pas ici de discuter de la qualité de la source, mais bien du contenu des explications de Nesterenko. J’ai lu des critiques bien plus nuancées que la position de canardos et Sterd à leurs sujets, notamment sur le forum de Futura Science. Chacun pourra s’y référer.
Pour le reste, je n’ai rien à ajouter. Aurengo est un proche de Pellerin, il faut quand même le garder à l’esprit.
Nous divergeons dans l’évaluation du risque potentiel associé à l’énergie nucléaire à travers cette question du bilan de Tchernobyl. Ces divergences portent aussi bien sur les conséquences passées, présentes et futures de la catastrophe.
Je combats en conséquence deux types d’affirmations :
1. "Tchernobyl est le pire scénario qui pouvait se produire". Sous-entendu : le risque qu’une telle catastrophe se reproduise est négligeable. C’est simplement irresponsable.
2. "Tchernobyl n’a fait que 4 000 morts (l’OMS dit 16 000 mais bon) ce qui n’est rien relativement au charbon". Pour moi, les conséquences de Tchernobyl sont aussi présentes et futures. Je cite un biologiste, Miserey :
a écrit :Dans les territoires contaminés par Tchernobyl (Biélorussie, Russie, Ukraine), plus de deux millions de personnes ingèrent chaque jour des faibles doses de radioactivité. Dix-neuf ans après l'accident, on ne sait toujours pas quelles conséquences peut avoir cette contamination sur la santé humaine, et tout particulièrement celle des enfants. Les autorités locales ne souhaitent pas le savoir, craignant des difficultés supplémentaires. La communauté scientifique met en doute les diagnostics catastrophistes rapportés par certains médecins ou chercheurs car ils ne correspondent pas aux modèles établis par Hiroshima-Nagasaki.
Or établir des prévisions sur la base de ces modèles est critiquable. A Hiroshima et Nagasaki, il y a eu des explosions de bombes atomiques suivies uniquement de radiations extérieures homogènes. La réaction thermonucléaire y étant allée jusqu'au bout et il n'y a pas eu au Japon de contamination de sol. La situation autour de la centrale de Tchernobyl est différente : l'incendie de la centrale a provoqué la libération dans l'atmosphère de centaines de tonnes de matière radioactive dont les radionucléides se désintègrent à des vitesses différentes. Le sol de la Biélorussie a absorbé 70% des radionucléides de Tchernobyl par exemple.
Par ailleurs, quand on voit que les autorités japonaises ont doublé le seuil légal dans une perspective purement économique, sans se préoccuper des conséquences sanitaires auprès de sa population des retombées radioactives, on peut quand même rester très sceptique sur l'impact futur de Fukushima.
A l’attention de Luc, voici quelques précisions sur les malformations provoquées par Tchernobyl :
a écrit :IV - Malformations à la naissance
1 - Rappels sommaires
L'irradiation crée des mutations dans les cellules somatiques pouvant conduire à des cancers. Les cellules de reproduction peuvent elles aussi subir des mutations qui seront transmises aux descendants en accroissant le fardeau génétique. Les effets génétiques sur les êtres humains sont mal connus car ils impliquent des temps d'observation de longue durée et les données génétiques sont surtout animales.
Du point de vue de la radioprotection, on admet que les rayonnements ionisants agissant sur les cellules de reproduction (gamètes) peuvent créer des mutations géniques et des aberrations chromosomiques qui se traduiront par des affections héréditaires dans les générations suivantes. Une des plus simples catégories de dommages mutationnels concerne les maladies et malformations causées par une seule mutation dominante, c'est le cas par exemple de la polydactylie dont il sera question plus loin.
Ces effets sont stochastiques (non déterministes), ce qui veut dire qu'à dose reçue égale certains auront une descendance affectée, d'autres pas. Le risque génétique du rayonnement définit le nombre de descendants affectés à la première génération et dans les générations suivantes à l'équilibre.
On admet que la relation entre les effets et la dose est linéaire, sans seuil. D'après l'UNSCEAR (Comité scientifique des Nations-Unies sur les effets des radiations atomiques) pour 1 million d'enfants nés vivants issus de parents exposés à 0,01 sievert on compterait environ 18 affections héréditaires sévères supplémentaires : le facteur de risque est 0,18 10-2 par sievert pour la première génération. Il est 1,2 10-2/Sv à l'équilibre des générations, valeur voisine de celle admise par la Commission Internationale de Protection Radiologique 10-2/Sv en 1990 (publication CIPR 60). Ces estimations correspondent à une dose de doublement du risque naturel de 1 sievert.
Certains généticiens, comme V.A. Chevtchenko (Institut Vavilov de génétique générale, Moscou) pensent que ces valeurs sous-estiment notablement le risque génétique.
2 - En Belarus, augmentation des malformations congénitales depuis Tchernobyl, principalement dans les régions les plus contaminées.
L'augmentation des malformations congénitales observée en Belarus est très supérieure à ce qui peut être prédit d'après les estimations de l'UNSCEAR.
Les données sont centralisées à l'Institut des maladies héréditaires de Minsk.
Sources : G. I. Lazjuk et al dans Radiation Protection Dosimetry, n1/2, 1995, p. 71-74, " Changements dans l'incidence des anomalies héréditaires en République de Belarus après l'accident de Tchernobyl " et dans les Actes du symposium Belarus-Japon " Conséquences immédiates et différées des catastrophes nucléaires : Hiroshima-Nagasaki et Tchernobyl ", 3-5 oct. 1994, Minsk.
Avortements légaux : augmentation des malformations dans les zones contaminées.
En Belarus existaient, bien avant Tchernobyl, des registres des malformations observées sur les foetus provenant des avortements légaux.
Entre 1980 et 1991 l'analyse de plus de 21000 foetus ne montre pas de changement depuis Tchernobyl dans la fréquence des malformations enregistrées pour les villes de Minsk et Gomel qui est de 4,93%. Par contre dans les zones rurales contaminées des régions administratives de Gomel et Moghilev cette fréquence atteint 7,97% et cette augmentation est statistiquement significative par rapport à la ville de Minsk qui sert de témoin (p<0,05).
Une augmentation significative (p<0,05) de la fréquence concerne la polydactylie, les reins doubles, reins en forme de sabot ("horseshoe kidney"), urètre double, bec de lièvre et fente palatine. On note aussi une augmentation des défauts du tube neural.
Il n'a pas été constaté d'augmentation statistiquement significative de monosomie ou de trisomie ni d'effets tératogènes qui résulteraient d'effets du rayonnement sur les organes en formation de l'embryon.
(D'après les informations rapportées par le Pr M. Fernex, le nombre d'avortements thérapeutiques pour indications génétiques augmente régulièrement depuis Tchernobyl alors que le nombre de grossesses a diminué de 30%).
Malformations congénitales chez les nouveaux-nés : l'incidence augmente avec le niveau de contamination radioactive du sol.
Le registre national des malformations congénitales date de 1979 et les méthodes d'enregistrement sont comparables à celles du système européen EUROCAT pour les malformations à enregistrement obligatoire qui représentent 44 à 50% de toutes les malformations congénitales enregistrées en Belarus.
Les auteurs comparent l'incidence des malformations enregistrées au cours de deux périodes, antérieure à l'accident (1982-1987) et postérieure à l'accident (1987-1993) pour 1000 nouveaux-nés, dans les différents districts classés selon leur niveau de contamination en césium 137.
L'étude considère trois régions à niveaux de contamination différents :
- région "témoin", comportant 30 districts [considérés comme "légalement" non contaminés] où le niveau de contamination en Cs137 est inférieur à 1Ci/km2
- région où la contamination est comprise entre 1 et 15 Ci/km2, 54 districts.
- région où la contamination est supérieure à 15 Ci/km2, 17 districts.
L'incidence des malformations à déclaration obligatoire a augmenté en Belarus depuis 1987 :
L'augmentation est de 39% dans les districts "témoins" et elle croît avec le niveau de contamination du sol, 44% pour les districts contaminés entre 1 et 15 Ci/km2 et 79% pour ceux contaminés à plus de 15 Ci/km2.
Ainsi tout le territoire est concerné, y compris celui qui est considéré comme "légalement" non-contaminé. Il est donc clair que la catastrophe de Tchernobyl a induit dans toute la république de Belarus des malformations, visibles tant chez les nouveaux-nés que dans les foetus issus des avortements légaux.
Parmi les malformations à déclaration obligatoire dont la fréquence a augmenté depuis Tchernobyl d'une façon statistiquement significative dans les régions contaminées à plus de 1 Ci/km2 on trouve essentiellement la polydactylie et les malformations multiples, l'atrophie ou l'absence de membres ainsi que l'anencéphalie, spina bifida, bec de lièvre et malformation du palais.
Pour tester l'hypothèse de mutations dans les gamètes qui seraient responsables des malformations observées, Laziuk et al ont tenté de relier malformations congénitales et doses d'irradiation pré-conceptuelles qu'auraient reçues les parents, déduites de mesures cyto-géniques par dénombrement des aberrations chromosomiques dans le sang. Ils n'ont pas trouvé de corrélation statistiquement significative.
Malformations à composante mutationnelle nouvelle : polydactylie et malformations multiples
Les auteurs s'intéressent particulièrement aux malformations pour lesquelles est reconnu le rôle d'une composante mutationnelle nouvelle (de novo). En Belarus trois anomalies à déclaration obligatoire comportent la contribution d'une mutation nouvelle à caractère dominant. Il s'agit de la polydactylie et des malformations multiples dont la fréquence a augmenté considérablement dans les régions contaminées et aussi de l'atrophie des membres pour laquelle l'augmentation est moins prononcée.
Il n'a pas été observé d'augmentation, dans les districts les plus contaminés. de trisomie 21(syndrome de Down), maladie chromosomique la plus commune due à une mutation nouvelle. [Remarquons qu'on manque de renseignements sur les avortements spontanés alors que d'après B. Dutrillaux 50% des fausses-couches spontanées sont dues à une anomalie chromosomique du foetus].
Laziuk et al indiquent : " Cependant on ne peut exclure la possibilité d'un effet mutationnel additionnel sur les gamètes parentaux car on observe une augmentation statistiquement significative de la polydactylie, facile à diagnostiquer, tant dans les foetus issus d'avortements que chez les nouveaux-nés, ainsi qu'une nette augmentation des malformations multiples ".
Il est indéniable que la fréquence des malformations congénitales a augmenté en Belarus suite à Tchernobyl et que l'augmentation observée est notablement supérieure à ce qui est prévu d'après les estimations internationales sur les effets génétiques du rayonnement. Outre le rayonnement, d'autres facteurs défavorables de conditions de vie découlant de la catastrophe peuvent intervenir dans cette poussée de la fréquence des malformations mais les auteurs précisent dans leur conclusion :
" (...) l'augmentation dans les zones contaminées des fréquences de maladies congénitales particulières [polydactylie, malformations multiples et atrophie des membres] avec mutation héritée à caractère dominant est une preuve indirecte de leur relation avec les rayonnements ionisants " (Actes du Symposium Belarus-Hiroshima-Nagasaki, oct. 1994).
Insistons sur le fait que cette étude montre sans ambiguïté qu'il est impossible de trouver en Belarus une population "témoin" non affectée par les retombées de Tchernobyl. Les études tant sur les effets génétiques que sur les effets somatiques sont vouées à des études internes de tendance en fonction des doses reçues et plus sommairement en fonction des niveaux de contamination des lieux de résidence vu la difficulté de "reconstruire" les doses reçues par les habitants.
3 - En Ukraine, l'exemple des malformations du système nerveux central chez les nouveaux-nés
Le Dr Boulgakov (du ministère de la santé ukrainien) nous avait indiqué que le nombre de fausses-couches ayant pour cause des anomalies du système nerveux central du foetus était passé de 2% en 1987 à 18% en 1991.
Dans le rapport ukrainien de l'institut de neuro-chirurgie de Kiev cité précédemment, Yu. A. Orlov analyse l'évolution de la fréquence des anomalies de développement et des tumeurs cérébrales chez les enfants avant et après Tchernobyl, de 1981 à 1991.
L'incidence des cancers cérébraux des enfants a augmenté de 51,2% en Ukraine de 1986 à 1991.
L'assistance médicale pour causes d'anomalies de développement cérébral a augmenté de 63,7% pendant les 5 ans qui ont suivi Tchernobyl : on note une augmentation des cas de spina bifida. les cas d'hydrocéphalie ont doublé (augmentation de 110,4 %).
Les travaux auxquels je me référais à ce sujet sont ceux de Youri Bandazhevsky. Il a nourri des hamsters avec de l’herbe de la région de Gomel (une zone contaminée de Biélorussie) et a constaté une augmentation sensible du nombre de malformations observées à la naissance.
J’en resterai là sur cette question, je pense qu’il ne serait pas constructif de poursuivre plus loin. D’autant que le choix du nucléaire ne se limite pas au risque potentiel inhérent à cette technologie.