a écrit : Voilà. Cela fait pas très longtemps que je réfléchis à ces questions, j'en suis là, j'attends les réponses cinglantes de Canardos et Barnabé...
Cinglantes, je sais pas... Ca risuqe d'être un peu long tout en restant assez schématique...
Bon on peut repartir de ça:
a écrit : Or, il me semble que tintin pas du tout : qu'un scientifique se revendique en principe du matérilaisme dialectique ou pas, en gros : qu'il soit communiste ou pas, ça change que dalle à sa pratique.
Par contre, on a vu, parmi les partisans du matérialisme dialectique, certains faire de la science (avec les même méthodes que leurs collègues "bourgeois"), et d'autres escrocs faire de la pseudo science (Lyssenko, Lepechinskaia...). Il se trouve que, stalinisme oblige, c'est même les seconds qui brailliaient le plus fort leur adhésion au diamat.
Il y a quand même eu une autre catégorie, de scientifiques faisant de la vraie science, se réclamant du marxisme, et cherchant à voir comment ça pouvait les aider.
Evidemment pas des masses... C'est surtout quand même en URSS, avant que la terreur s'abatte sur les scientifiques (et pas mal de scientifique marxistes ont été purgés à partir du milieu des années 30). Un peu aussi ailleurs jusque dans les années 30-40, même si là aussi les exigences du stalinisme (notamment du lyssenkisme chez les biologistes), ont fini par en décourager un certain nombre.
Et il y en a même quelques uns qui ont bel et bien dit "merci le matérialisme dialectique, c'est grâce à ton inspiration que j'ai pu...". J'ai un exemple précis en tête, Haldane, biologiste anglais, un des fondateurs de la génétique des populations (entre autre), politiquement stal, mais qui a cherché à voir ce qu'il pouvait faire avec le matérialisme dialectique en science, et qui affirmait que cela l'avait largement aidé (il a ensuite quitté le PC au moment de Lyssenko, mais a continué à se réclammer du marxisme).
On pourrait aussi citer le petit courant qui se réclame aujourd'hui du marxisme en biologie et que j'ai évoqué dans un autre fil: Lewontin (biologie des population), Rose (neurobiologie) etc. On peut penser ce qu'on veut de leur polémique avec Dawkins ( :-P ), ils prétendent que le marxisme leur est utile, et du point de vue scientifiques, ils ont quand même fait 2 ou 3 trucs.
Evidemment ce sont toujours des exemples marginaux, mais les idées marxistes ne sont pas spécialement dominantes, et pendant longtemps, le stalinisme étouffait presque toute possibilité d'essayer d'utiliser le marxisme à autre chose que justifier et glorifier le régime de Moscou.
Sur le fond, le truc c'est de savoir à quoi une conception générale du monde peut servir en science. Le matérialisme dialectique ne donnera jamais en soi une réponse à une question scientifique. Parce que ce n'est pas, en tant que telle, une science. Et cela ne fournira pas non plus une nouvelle méthodologie en science. La plupart des scientifiques se réclamant du marxisme ne nient pas l'utilité de la méthodologie expérimentale classique, qui est au fond une méthodologie réductionniste, qui considère des paramètres isolés. Mais justement cette méthodologie induit un biais dans le sens d'une vision mécaniste du monde. Et quand on arrive à des problèmes d'une certaine complexité, ça peut poser problème.
Pour prendre un exemple, celui du réductionnisme de la biologie moléculaire.
Personne ne niera que la biologie moléculaire a permis de grandes avancées en génétique, depuis la découverte de l'ADN jusqu'au séquençage du génome (et y compris des applications dont les OGM). Cependant, elle introduit un biais réductionniste qui laisserait croire qu'une fois qu'on aura décrypté entièrement le génome, on aura obtenu une compréhension complète des organismes. Or il se trouve que ce n'est pas si simple. Si le génome joue indiscutablement un rôle important dans l'organisme, on ne peut pas réduire les phénomènes biologiques aux interactions moléculaires. Un bon exemple donné par Sonigo et Kupiec dans "Ni Dieu ni Gène", c'est celui du virus du SIDA. ON a décrypté le génome du virus du SIDA (et Sonigo en a d'ailleurs été un artisan de premier plan) en pensant qu'une fois qu'on l'aurait, on aurait un moyen de le battre. Résultat, cette connaissance ne nous a pas avancé à grand chose. Car l'infection, l'évolution, le mode de propagation etc. du virus n'est pas simplement le produit de son génome et des molécules qu'il produit. Sonigo propose un autre modèle, une sorte de darwinisme cellulaire qui considère une population de virus dans un milieu (l'organisme qu'il infecte) qui évoluerait suivant une forme de sélection naturelle. Je ne rentre pas plus dans le détails mais j'invite vraiement à lire ce bouquin.
Le marxisme là dedans? Sonigo et Kupiec ne se disent certes pas explicitement marxistes. Par contre ils soulignent que leur démarche à été de partir d'un côté des problèmes et des données scientifiques, et de l'autre de la recherche d'une conception qui soit à la fois matérialiste et non réductionniste (justement parce que c'est le réductionnisme qui coinçait). Depuis leur bouquin et le début de leur lutte contre "la dictature de la biologie moléculaire", l'idée qu'il faut dépasser le réductionnisme est maintenant largement acceptée chez les biologistes (on peut lire là dessus les bouquins de Morange, qui font bien le point sur le passage de la génomique à la "post-génomique"). Ca n'enlève rien à l'utilité des recherches menées sur le mode réductionniste, mais pour pouvoir en faire quelque chose, une conception mécaniste du vivant est trompeuse et devient à un moment insuffisante.
Tout un pan des sciences est constitué de ce type de problème. Tout ce qui a trait en fait à des interactions entre différents niveaux d'organisation de la matière, surtout dès que ça devient un peu plus complexe que des molécules (par exemple les rapports individus/populations ou les rapports neurone/conscience, mais c'est déjà un peu vrai pour les rapports molécule/gaz par exemple en thermodynamique). Et il y a tout un pan de la philosophie des sciences contemporaine qui cherche une solution théorique, avec les théories "de l'émergence", tous les trucs sur la complexité. Il y a à boire et à manger là dedans. Moi il me semble que la formulation la plus claire et la plus utilisable d'une conception matérialiste antiréductionniste c'est bien la dialectique marxiste. Ca ne veut pas dire qu'on ne peut pas faire sans, mais pourquoi s'en priver, ou tenter de la réinventer partiellement, avec souvent des concepts plus flous?
Pour revenir à ce que je disais plus haut, quand la question s'est d'abord posée dans les années 30 avec les débuts de la biochimie, un certain nombre de scientifiques se sont tourné vers le marxisme, avec quand même certains succès (Haldane que j'ai déjà cité, ou bien l'embryologiste et biochimiste Needham), et ces idées ont irrigué un milieu scientifique plus large. Il est sûr qu'aujourd'hui le marxisme est moins à la mode... Mais dans un certain nombre de domaine, il y a un vrai besoin (plus ou moins ressenti consciemment par les scientifiques). Et le risque symétriquement, c'est que sans une conceptions matérialiste non-réductionniste qui tienne la route, les limites du réductionnisme n'encourage aussi à jeter le matérialisme avec l'eau sale du bain du mécanisme, et ne donne de l'eau (toujours aussi sale) au moulin de l'irrationalisme, de l'anti-science, de variantes néo-vitalistes etc.
Encore une fois cela n'empêche pas de faire des découvertes scientifiques sans le marxisme... Et le problème n'est pas de dire que les scientifiques font de la dialectique sans le savoir. Le but n'est pas de donner une caution scientifique à la dialectique, mais de se dire que le matérialisme dialectique peut être utile.
Sur un autre aspect (il en resterait encore bien d'autres à balayer), sur le matérialisme dialectique en générale et la manière dont il peut s'appliquer aux sciences, j'ai retrouvé un extrait d'un texte de Loren R. Graham, philosophe et historien des sciences, spécialisé dans l'histoire des sciences en URSS, dans un bouquin de 73 "Science and Philosophy in the Soviet Union" tentant de décrire formellement ce que, pour les scientifiques soviétiques marxistes de la période pré-lyssenko, une conception marxiste de la nature pourrait recouvrir (la traduction est de moi):
a écrit :
Quand on regarde en arrière le système du matérialisme dialectique soviétique, on voit qu'il représente, au niveau le plus général, une philosophie de la nature basée sur les principes et opinions assez raisonnables suivants:
- Le monde est matériel et est constitué de ce que la science actuelle décrit comme matière-énergie
- Le monde matériel forme un tout interconnecté
- Le savoir humain dérive de la matière objectivement existante
- Le monde change constamment, et, du coup, il n'y a pas d'entité véritablement statique dans le monde
- Les changements dans la matière se produise suivant certaines régularités générales ou lois
- Les lois de développement de la matière existent à différents niveaux correspondant aux différents domaines des sciences, et par conséquent on ne doit pas s'attendre dans tous les cas à pouvoir expliquer des entités aussi complexes que des organismes biologiques en terme des lois physico-chimiques les plus élémentaires
- La matière est infinie dans ses propriétés, et dès lors le savoir humain ne sera jamais complet
- Le mouvement présent dans le monde s'explique par des facteurs internes, et dès lors, aucun moteur extérieur n'est nécessaire
- Le savoir humain grandit avec le temps, comme l'illustrent les succès croissants dans ses applications pratiques, mais cette croissance se produit par l'accumulation de vérités relatives et non absolues
L'histoire de la pensée montre clairement qu'aucun des principes ci-dessus n'est propre au matérialisme dialectique, mais les tenir tous ensemble l'est.
Comme toute définition formelle de la dialectique, c'est partiel, mais j'espère que ça précise un peut les choses...