a écrit :Les ouvriers de Ford en grève
Confronté aux plus grandes pertes de son histoire, Ford licencie 44 000 personnes dans le monde. C’est dans ce contexte que les salariés de l’usine Ford de la région de Saint-Pétersbourg se sont mis en grève illimitée, mercredi 14 février.
La grève déclenchée à l’usine Ford de Vsevolojsk (région de Saint-Pétersbourg), mercredi 14 février, est un événement tout à fait exceptionnel dans la Russie contemporaine. Tout d’abord, parce que le nouveau code du travail rend la grève pratiquement illégale : il faut que la décision soit prise par le collectif des salariés et non par le syndicat, que 50 % des salariés participent à cette réunion, et que 50 % des salariés présents votent en faveur de la grève. Ensuite, parce que la grève porte moins sur le salaire que sur les conditions de travail. C’est une grève d’un nouvel âge pour le mouvement syndical russe.
À l’usine Ford, 1 300 personnes ont participé aux réunions décisionnelles - dans la rue, par moins 15° C, la direction de l’entreprise refusant de mettre un local à disposition -, soit 70 % du total des salariés. Résultat du vote : cinq abstentions et unanimité pour démarrer la grève, en toute conformité, donc, avec les exigences draconiennes du droit du travail russe. Les principales revendications portent, d’une part, sur la régulation des normes de travail et, d’autre part, sur les propositions du syndicat lors des négociations sur l’accord collectif d’entreprise, toutes rejetées par la direction. Il s’agit notamment de la transparence des normes de travail, du respect des mesures de sécurité, de la mise en place de garanties sociales, de la limitation des externalisations de travaux (outsourcing).
Cet acte fort est à mettre au compte du nouveau syndicat, fondé il y a moins de deux ans, avec à sa tête de jeunes ouvriers très dynamiques, qui se sont attelés à promouvoir le collectif et à transformer radicalement le rapport des ouvriers à l’action syndicale. Comme le dit le président du nouveau syndicat, Alexeï Etmanov : « Avec mes copains du comité syndical, nous leur avons appris à s’approprier le syndicat comme une arme de lutte, dire « nous » quand ils parlent du syndicat. » À l’étroit dans la fédération syndicale traditionnelle, la Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR) - hostile à toute forme de lutte -, le syndicat de l’usine Ford l’a très vite quittée, pour créer un syndicat libre et de lutte. Avec d’autres nouveaux syndicats émergeant dans la branche, notamment celui de General Motors à Toliatti, il a même formé, en juillet dernier, lors du Forum social de Russie, un nouveau syndicat des travailleurs de l’automobile.
Concessions salariales
La position de la direction, pourtant étrangère et habituée aux négociations, étonne par sa dureté. Malgré des négociations qui ont duré trois mois, aucun des points proposés par le syndicat n’a été intégré dans le projet d’accord d’entreprise, qui se borne à reproduire le code du travail russe. Selon Alexeï Etmanov, la direction a tout simplement pris goût aux méthodes de management classiques en Russie : « Ils croient que, comme dans la plupart des entreprises du pays, ils peuvent imposer leur loi aux ouvriers, et ne pensent pas que nous sommes capables de défendre nos droits », déclare-t-il à ce sujet. « Mais, pour le coup, ils se trompent complètement », ajoute-t-il. Pour donner une idée des conditions de travail dans cette usine, pourtant hautement rentable et usant des technologies de pointe, voici quelques éléments. Le salaire mensuel moyen atteint 19 000 roubles (540 euros), les postes sont sans affectation (les ouvriers passent de l’un à l’autre), les congés déposés ne sont jamais respectés, la flexibilité est maximale, les heures supplémentaires s’accumulent, de nombreuses tâches sont dangereuses et néfastes pour la santé. De plus, bien sûr, existe une disproportion énorme entre les salaires ouvriers et ceux de la direction... Rappelons que ce n’est pas la première action collective menée par les salariés de l’usine. L’été 2005, après une grève du zèle de plusieurs semaines, ils avaient déjà obligé la direction à augmenter les salaires de 14,2 %.
Ébranlée par la fermeté des ouvriers, la direction de l’usine Ford a déclaré à la presse, le 9 février, cinq jours avant la grève, qu’elle concédait une augmentation de salaire de 14 à 20 %, selon les catégories. « Ils veulent nous calmer en nous donnant l’aumône » : c’est ainsi qu’a commenté ce geste Alexeï Etmanov. Le leader syndical a assuré que la grève aurait lieu de toute façon, son objet principal n’étant pas le salaire mais les conditions de travail dans leur ensemble.
De Moscou, Carine Clément
• Pour les messages de protestation ou de soutien : le directeur général de l’usine Ford Motor Company, Theo Streit, Fax : (+ 7812) 346-7112, mail : <
srecept1@ford.ru >, et le président du syndicat, Alexeï Etmanov : <
etman@yandex.ru >.
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Des salaires au rabais
Ford, a annoncé, à l’automne 2006, un plan de restructuration qui implique de fermer seize usines en Amérique du Nord et de supprimer 45 000 postes d’ici 2012. L’entreprise a connu une perte historique de 9,8 milliards d’euros en 2006 et estime qu’elle ne pourra pas être bénéficiaire avant 2009. Ford, GM, Hyundai, Kia, Renault et BMW se disputent le marché russe des voitures bon marché, qui, avec une voiture pour six habitants, est prometteur. Ford a ouvert sa première usine en 2002 à Vsevolojsk, près de Saint-Pétersbourg, où est assemblé le modèle Focus. 1 700 ouvriers y travaillent aujourd’hui pour un salaire mensuel de 17 000 roubles (500 euros). Ce salaire est plus élevé que la moyenne en Russie, qui est de 300 euros par mois. Mais, calculette en main, les syndicalistes ont comparé leur situation avec celle d’autres usines Ford dans le monde, en tenant compte de la différence des niveaux de vie. Cette comparaison leur a montré que les salaires de Ford en Russie étaient plus bas que dans les autres usines et qu’ils ne touchaient ni le treizième mois ni une participation aux intérêts.