a écrit :L’affaire des 8 jeunes de Petit-Canal
Par Axelle Kaulanjan-Diamant 06.03.2009 l 15h40
GUADELOUPE, Petit-Canal, Vendredi 5 Mars 2009 (CaribCreole1.com) –
L’arrestation de 8 jeunes Canaliens, accusés d’avoir incendié la Maison de la citoyenneté de Petit-Canal, à la fin du mois de janvier, suscite l’émoi de la population de la petite commune rurale du Nord Grande-Terre. Emoi auquel s’associe l’indignation face à ce que les parents et le comité de soutien ad hoc qualifient d’injustice. A la demande de ces derniers, les avocats du Collectif Lyannaj Kont Pwofitasyon se sont saisis du dossier. Un meeting était organisé hier soir, à Petit-Canal.
Dans la nuit du 23 janvier 2009, trois jours après le début de la grève générale en Guadeloupe, la maison de la citoyenneté de Petit-Canal, ancienne demeure du précédent maire, Maximilien Vrécord, est incendiée. La veille, des jeunes, constatant que le mouvement n’était pas suivi à Petit-Canal ou encore que certains commerces augmentaient leurs prix, avaient alors décidé de bloquer les routes de la commune et de manifester leur mécontentement : des barrages sont érigés, des poubelles et des vieilles voitures, brûlées.
Coupables idéaux, tout désignés par un système qui a besoin de boucs-émissaires, huit de ces jeunes sont alors arrêtés pour l’incendie de la maison de la citoyenneté et ont été placés en détention « provisoire », depuis près d’un mois.
Une « affaire politique » ?
Si Freddy Hamlet, Dill Bédard, Romuald Norvène, Mathieu Pougin, Loïc Médard, Florien Roméo, Régis Maturin et Gonaël Vrécord avouent volontiers avoir érigé des barrages et brûlé de vieilles voitures et des poubelles, ils n’ont cessé de nier une quelconque implication dans l’incendie de la maison de la citoyenneté. Fait pour lequel ils ont été interpelés et placés en détention.
Hier soir, lors d’un meeting organisé par le comité de soutien de ceux qu’on appelle désormais « Les 8 de Petit-Canal », tout en émotions, le Mathieu Pougin, récemment libéré, ainsi que les mères d’autres jeunes emprisonnés ont expliqué le drame qu’ils vivent, la violence lors des arrestations et le mépris ouvertement affiché lors de la détention : non présentation de mandat d’arrêt, impossibilité de rendre visite, depuis un mois, au mineur emprisonné, entre autres.
Devant un parterre de 400 personnes, Mme Maturin, elle, raconte l’inefficacité de l’avocat commis d’office à son fils, alors que Mme Norvène, au bord des larmes explique ses difficultés économiques – à l’instar de Mme Maturin qui a dû débourser près de 2 000€ de frais d’avocat, comment, après avoir pris contact avec le Collectif Lyannaj Kont Pwofitasyon, elle a enfin pu trouver des avocats qui peuvent et veulent réellement défendre son fils et ses amis, gracieusement.
Le jeune Jordan Daniel, porte-parole du comité de soutien, affirme qu’après moult entretiens avec juges et policiers, il n’a pu que constater que les 8 ont été arrêtés, arbitrairement, sur les bases d’un dossier vide ne reposant que sur des suspicions, et dans lequel aucune preuve formelle de culpabilité ne figure. Alors, les 8 de Petit-Canal, boucs émissaires d’une affaire d’un «règlement de compte politique» qui les dépasse, comme le suggèrent certains Canaliens, ou martyrs de la cause, malgré eux ?
Interrogé par CaribCreole, Me Patrice Tacita, membre du collectif d’avocats du LKP, estime qu’il s’agissait là d’une « affaire politique » et que les 8 ont été « arrêtés sur un délit hypothétique ».
« Pour nous, c’est un procès politique car il apparaît, d’après notre analyse, que l’indication des infractions, telle qu’elle apparaît dans le dossier, est une indication qui cache une autre vraie indication. L’indication alléguée formelle est que ces jeunes seraient arrêtés pour avoir causé l’incendie d’un immeuble avec une substance explosive. Pour nous, le vrai motif, c’est que ces jeunes là se sont rebellés contre l’injustice, ont relayé les revendications du LKP, et on a voulu les punir de leur audace », a précisé Me Tacita.
Un déclassement tragique
Hier, durant les prises de parole, le cas des 8 de Petit-Canal a aussi été l’occasion d’évoquer la re-création du lien social, mais surtout le déclassement de toute une partie de la jeunesse guadeloupéenne. Et, singulièrement d’une jeunesse guadeloupéenne des zones rurales, telles que le Nord Grande-Terre, véritable « Tiers-Monde » de la Guadeloupe et qui accuse un très fort retard de développement. Avec 30,5% de chômeurs*, un grand nombre de familles monoparentales, Petit-Canal connaît une véritable fuite des jeunes diplômés et ne dispose que de très peu de structures de réinsertion. Un sentiment, très palpable, de « no future» amplifié par cette arrestation qui commence à prendre des airs tragiques.
Outre les amis et sympathisants des « 8 de Petit-Canal », d’autres ont tenu à apporter une caution morale à ces jeunes, « sans histoires ». Claudy Serin, professeur de mathématiques depuis plusieurs années, au collège de Petit-Canal, a témoigné son soutien aux familles mais, a aussi profité pour remettre en question le système éducatif…en faillite, selon lui.
Élie Domota, qui lui aussi avait fait le déplacement, a mis l’accent sur ce terrible déclassement et surtout sur l’importance du développement des structures de formation en rappelant que près de 1000 jeunes Guadeloupéens, sortaient, chaque année, du système scolaire, sans formation ni diplôme.
Pour l’heure, deux des huit jeunes ont été libérés. L’instruction suit son cours et les avocats mettent plus que jamais l’accent sur une « stratégie de défense juridique et politique ». Outre le classiques demandes de mise en liberté afin de préparer la défense, le comité et les avocats demandent que toute la lumière soit faite sur cette affaire et refusent que la détention ne devienne une « punition, une vengeance exemplaire et non l’exercice de la justice ».
*chiffre du dernier recensement Insee