(LE MONDE | 23 juillet 2012 a écrit :
Jean-Pierre Mercier, le stratège de la CGT à Aulnay
Le délégué syndical dénonce "le jeu du gouvernement" et "ne s'interdit rien" face à la direction de PSA. "Les journées sont beaucoup trop courtes ", déplore Jean-Pierre Mercier, 44 ans, en jetant un coup d'oeil à sa montre. Le délégué syndical CGT de l'usine PSA d'Aulnay-sous-Bois enchaîne assemblées générales et interviews. Depuis que la direction de l'entreprise a officialisé, le 12 juillet, sa décision de supprimer 8 000 emplois et de fermer ce site de Seine-Saint-Denis, l'homme est en première ligne.
Il reçoit dans le petit local syndical. Les lieux semblent déserts. M. Mercier explique que, depuis le 12 juillet, la production tourne au ralenti, au rythme des débrayages et des AG. " La direction appelle ça le "stop-and-go" mais y a beaucoup de stop et pas beaucoup de go ", dit-il avant de lâcher : " Se crever à la tâche, les ouvriers n'en ont plus envie. "
Derrière ses lunettes rondes et son visage jovial, l'homme semble déterminé à empêcher la fermeture de l'usine, prévue pour 2014, et dans laquelle 3 600 salariés, intérimaires et sous-traitants, fabriquent la Citröen C3. Et cet ouvrier cariste ne laisse rien au hasard. Sur les photos, il réajuste son badge " Tous ensemble contre la fermeture de PSA Aulnay ", pour le rendre bien visible. " C'est le seul truc important ", glisse-t-il. Pour les médias, il dégaine des formules ciselées, prêtes à l'emploi. " Varin nous a déclaré la guerre, on va lui faire la guerre ", répond-il après l'annonce du président du directoire de PSA.
En juin 2011, la CGT a révélé une note de la direction faisant état de l'arrêt possible de la production à Aulnay. Depuis, M. Mercier peaufine sa stratégie. Les exemples des Contis, Total ou Molex ont été étudiés. Il parle de " phase 1 ", de " phase 2 ", de " coup d'avance " sur la direction.
La " phase 1 ", c'était avant le 12 juillet. " On a amorti le choc et entre 600 et 800 salariés ont appris à organiser une manif, à se réunir, à discuter collectivement, bref, à faire l'apprentissage du militantisme ", explique-t-il. Il ajoute que son rôle, " c'est de faire en sorte que ça marche ".
Pour ça, la CGT, deuxième syndicat de l'usine, n'a pas hésité à se rapprocher du Syndicat indépendant de l'automobile (SIA), le syndicat maison, majoritaire. L'impensable pour certains. " C'est Mercier qui a fait alliance avec le SIA, le syndicat du patron qui se bat pour des primes, raconte un syndicaliste qui préfère rester anonyme. Ça n'aurait jamais eu lieu avant. " " Avec le SIA, on a réussi extrêmement vite à combler le fossé qui s'était créé pendant des années, reconnaît M. Mercier. Ils ont compris qu'ils avaient été trahis par la direction. On s'est mis sur la figure pendant des années, mais maintenant il faut faire l'union. "
Le délégué syndical pense que c'est un " marché de dupes " qui attend les salariés de PSA et dénonce " le jeu du gouvernement " engagé dans " un soi-disant bras de fer " avec la direction de l'entreprise. " Si vous voulez vendre votre voiture 4 000 euros, vous l'affichez à 8 000 euros ", explique-t-il.
Dans quelques jours, au lendemain d'un second comité central d'entreprise extraordinaire, mercredi 25 juillet, l'usine fermera ses portes pour les vacances d'été. " On est à deux doigts de monter sur Paris ", souffle Jean-Pierre Mercier, qui donne rendez-vous en septembre. " Si les salariés veulent faire la grève générale, on la fera. S'ils veulent travailler à leur vitesse et engager des actions ponctuelles, on le fera aussi ", explique-t-il avant de se faire plus menaçant. " Nous, on n'a pas fait cramer un pneu, rappelle-t-il. Mais on ne s'interdit rien. La violence, elle est du côté du patron. Les salariés menacés de licenciement ont tous les droits. "
Le militantisme, M. Mercier baigne dedans depuis son enfance. Son père, ouvrier électricien, était syndiqué à la CGT. Il militait aussi au Parti communiste avant de rendre sa carte, lors de la rupture du programme commun en 1977, pour rejoindre le Parti socialiste. Qu'il abandonnera en 1986, " écoeuré ", se souvient le fils. " Il avait vécu juin 1936 et, ça, je ne l'ai pas appris à l'école ", dit-il fièrement. Sa soeur, elle, était au PSU de Michel Rocard.
Lui, c'est Lutte ouvrière qu'il choisira à 18 ans après une rencontre avec un militant au lycée. " C'est pas LO qui m'a convaincu qu'il fallait changer la société, explique-t-il. J'en étais déjà convaincu gamin. Mais j'ai trouvé ce qui me manquait : la manière de changer la société. "
Après dix ans d'intérim, durant lesquels il enchaîne petits boulots et chômage, le jeune homme est embauché à 28 ans à Aulnay, au ferrage, pour conduire un engin élévateur qui livre des bacs de pièces sur la chaîne. Une usine réputée pour son management dur.
Deux ans plus tard, " révolté par les conditions de travail ", il se syndique à la CGT. " J'étais déjà révolté à 10 ans. A 30 balais, je l'étais encore... ", dit-il. " La première chose que les chefs nous disaient, c'est : "Il y a des personnes à qui il ne faut pas parler, c'est les délégués CGT." Pour moi, si le chef disait ça, ça voulait dire que c'étaient des bons. "
A l'époque, le fonctionnement du syndicat était clandestin. M. Mercier se souvient de ce temps où les militants payaient leurs cotisations en liquide et n'étaient pas connus de la direction. " Sinon, on était viré. " Depuis 2003, il est délégué syndical adjoint.
LO a tissé un réseau dans l'usine d'Aulnay. Ils sont aujourd'hui une petite vingtaine, notamment à la direction de la CGT du site. Jean-Pierre Mercier affirme " très bien concilier " engagement syndical et politique : " Je fais la part des choses mais, sur le fond, il n'y a pas beaucoup de différences. " Elu conseiller municipal à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) en 2008, il a été l'un des porte-parole de Nathalie Arthaud durant la campagne présidentielle. Au second tour, il s'est abstenu. " Je savais que Hollande n'aurait pas la volonté politique d'affronter les patrons ", justifie-t-il.
Candidat aux législatives dans la 7e circonscription de Seine-Saint-Denis, il balaie d'un revers de la main son score de 0,72 %. A LO, on estime que le changement ne viendra pas des urnes. " C'est quand les salariés se mobilisent qu'ils peuvent changer les choses et j'espère que ceux d'Aulnay vont en apporter la preuve ", dit-il. Mme Arthaud ne dit pas autre chose quand elle parle de son " camarade " : " Jean-Pierre est un des moteurs, un de ceux qui montrent le chemin, mais sans les 3 000 autres, il n'est rien ", lâche l'ancienne candidate à la présidentielle.
Raphaëlle Besse Desmoulières
a écrit :PSA -- Aulnay-sous-Bois : les travailleurs discutent de leur avenir
Deux semaines après l'annonce officielle de la fermeture de l'usine d'Aulnay, et malgré les tentatives de la direction pour faire reprendre la production comme si de rien n'était, les travailleurs s'organisent et discutent de comment faire reculer PSA.
L'usine fonctionne avec des arrêts de chaîne fréquents et une production bien inférieure à ce qu'elle est d'habitude. De nombreux travailleurs étant déjà en vacances, beaucoup de postes sont tenus par des intérimaires et des CDD scolaires, mais cela ne suffit pas. Pendant les débrayages, la direction tente de sortir la production en mettant sur les chaînes des hauts cadres, ce qui ne permet pas de fabriquer des voitures mais a au moins le mérite d'assurer le spectacle et de faire beaucoup rire les ouvriers.
De très nombreuses discussions ont lieu. C'est la première marche du combat qui s'annonce : imposer à la direction notre droit à discuter de notre avenir et de l'organisation de la lutte. Depuis le jour de l'annonce, chaque jour, la direction a imposé que ses « briefings » avec cadres, directeurs et tout leur baratin durent vingt minutes au lieu de cinq habituellement.
Les « briefings « avec la direction se passent différemment selon les secteurs. L'idéal, c'est lorsque les travailleurs se réunissent entre eux, avant, pour décider de l'attitude à adopter -- qui peut aller du boycott pur et simple de la réunion jusqu'au fait d'écouter la direction et de lui dire ensuite ses quatre vérités. Au Montage, en logistique, la moitié de l'équipe s'est par exemple entendue pour retourner les chaises et montrer le dos au contremaître et à ses boniments. Cela a porté ses fruits : lundi 23 juillet, la direction a renoncé à ses « briefings » de vingt minutes.
De leur côté, les travailleurs organisent leurs propres « briefings », mais sans la direction. L'un des enjeux de la semaine qui vient de se dérouler a d'ailleurs été l'exigence que ces réunions soient payées et non comptées comme du temps de grève : puisque la direction a décidé de nous licencier, qu'elle paye le temps pendant lequel nous discutons de notre avenir ! Dans certains secteurs, plusieurs dizaines de travailleurs se sont mis en grève pour exiger le paiement d'une de ces réunions. Au Ferrage, un directeur a répondu piteusement à une délégation d'ouvriers : « Mais si je vous paye, vous allez recommencer tous les jours ! ». Les travailleurs ont répondu que, de toute façon, payés ou pas, ils recommenceraient tous les jours.
Préparer la rentrée
Un nombre important de travailleurs attendent de connaître les « solutions » qui leur seront proposées, puisque le patron affirme que « personne ne sera laissé au bord du chemin et chacun se verra proposer une solution individuelle ». Mais beaucoup d'autres ne font plus aucune confiance à une direction qui ne fait que mentir depuis un an. Dans les entretiens individuels avec les cadres, les réactions sont parfois vives ! Aux questions : « Quels sont tes projets pour l'avenir ? Où souhaiterais-tu partir ? Est-ce que tu as un projet de création d'entreprise ? », des ouvriers répondent : « Je n'ai rien demandé, ce que je veux c'est rester à PSA Aulnay » !
Des discussions importantes ont aussi pour objet la construction du Comité de préparation de la lutte. Un bon nombre d'ouvriers défendent l'idée de commencer dès maintenant à construire une structure démocratique, regroupant syndiqués et non syndiqués, afin qu'elle soit déjà en place le 4 septembre, le jour où le travail reprendra à la rentrée. Dans cette structure, les syndicats auront naturellement toute leur place. Mais, à Aulnay comme partout ailleurs, les travailleurs non syndiqués sont largement majoritaires et il est indispensable qu'ils aient aussi la possibilité de peser dans les décisions.
Les premières fondations de ce comité ont été posées durant ces derniers jours, lors d'assemblées dans les ateliers, qui ont lieu presque quotidiennement. L'idée fait son chemin que, si le combat se déclenche à la rentrée, il faudra qu'il soit dirigé et contrôlé collectivement et démocratiquement. À cet égard, l'expérience des grèves de 2005 et de 2007 est précieuse. Ceux qui y ont participé y ont appris l'utilité d'une direction élue, et ils défendent cette idée autour d'eux.
De son côté, la direction tente de décourager les travailleurs de participer à ce comité. Elle a bien compris que la participation active de tous les salariés renforcerait le camp des travailleurs. Tous les moyens sont donc bons pour faire pression, les cadres allant jusqu'à dire aux ouvriers qu'ils risquent des poursuites judiciaires s'ils appartiennent au comité !
Mercredi 25, la dernière action avant les congés a eu lieu, à l'occasion du CCE organisé au siège de PSA. Des délégations de plusieurs sites du groupe, au total plus de 1 500 travailleurs, sont venus crier : « Varin, à partir d'aujourd'hui, on sera ton cauchemar ! »
Retour vers Dans le monde du travail
Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 2 invité(s)