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Qui défend la liberté ?
UN certain Alexandre Adler, naguère responsable des étudiants communistes, s'est, depuis la chute du Mur de Berlin, reconverti dans la défense des " valeurs libérales ". Dans Le Figaro (20 octobre), il s'inquiète de " l'émergence en France d'un mouvement puissant pour refuser la Constitution ". Il relie ce mouvement à la prise de position du Parti socialiste francophone de Belgique, et aussi à " beaucoup de syndicalistes déçus et d'ouvriers de l'automobile inquiets en Allemagne, qui aimeraient voter "non" eux aussi derrière Oskar Lafontaine ". Pour Adler, c'est une véritable " bataille d'Europe ", une " bataille de rupture (qui) se jouera sur la scène française ". Ainsi vêtu de kaki et armé d'un improbable fusil Chassepot, Adler, nouveau poilu des temps modernes, nous promet des lendemains sanglants, certes, mais victorieux : " La bataille pour le oui sera dans ces conditions évidemment la grande bataille pour la liberté de notre continent et je l'espère la grande défaite (des) "antilibéraux", disons plus simplement ennemis de la liberté. "
Rien que cela ! Vous voilà prévenus : si vous êtes pour la victoire du non à la " Constitution ", vous voilà des " ennemis de la liberté " !
A quelques centaines de kilomètres du bureau parisien de M. Adler, ce 23 octobre, 263 élus de la Creuse ont déposé leur démission sur le bureau du préfet. Ils revendiquaient tout simplement le maintien de cinq trésoreries cantonales. Cinq petites trésoreries, indispensables à la vie de leurs communes. Le préfet, appliquant les règles de la LOLF (1) - elle-même découlant des directives européennes, de la régionalisation et du pacte de stabilité, qui impose la réduction des dépenses publiques -, le préfet, donc, " ami de la liberté ", puisque appliquant la politique de l'Union européenne, a refusé catégoriquement : " Il ne faut pas figer la Creuse dans l'organisation du début du XXe siècle (…). Je suis ouvert au dialogue, mais pas à l'immobilisme. " Moyennant quoi, pour ne pas retourner à la République une et indivisible du début du XXe siècle, Monsieur le Préfet propose de revenir… au Moyen Age, et même avant !
Qui défend la liberté, les libertés ? Ceux qui, au nom de l'Europe, saccagent les services publics et les communes ? Ou les élus qui poussent le respect du mandat jusqu'à jeter leur démission dans la balance contre la mort programmée des communes et de la République ?
Même le bien pensant journal dijonnais Le Bien public mesure la gravité du moment : " Ce n'est sans doute qu'un début, ce mouvement de colère de plus de 260 élus locaux qui ont démissionné de leur mandat. De la Creuse, la protestation pourrait bien gagner d'autres départements (…). Si grand est le nombre des cantons et des villages de France abandonnés par les services publics avant de l'être par leur population active. Dans la Creuse, c'est la fermeture de cinq trésoreries cantonales qui a provoqué la révolte. Pas de quoi sourire : l'évasion des percepteurs annonce généralement celle des postiers, des instituteurs, voire des cheminots (…). Les habitants des cantons et des villages en voie de désertification sont en droit d'exiger les mêmes services publics que ceux des grandes villes (…). Les pouvoirs publics sont confrontés à un choix cruel, et même impossible (…). Le dialogue s'avère presque impraticable entre des intérêts aussi antagonistes : ceux de l'Etat, qui doit restreindre ses déficits, et ceux des collectivités locales, qui sont les défenseurs de leurs ressortissants. "
Peut-on mieux dire que la " restriction des déficits " dictée par Maastricht et la " Constitution " européenne est contraire à la démocratie ? Peut-on mieux dire que la politique de destruction de l'Union européenne, anticipant sur la " Constitution ", pousse la population de ce pays sur la voie de la révolte… pour ne pas dire plus ?
Le Bien public ne s'y trompe pas : " La France présente un certain nombre de particularités héritées de son histoire : un nombre record de communes, plus de 36 000, et un autre de fonctionnaires. Les réduire tous deux exigerait d'un gouvernement quel qu'il soit une hardiesse réformatrice impensable - qui jetterait dans la rue les citoyens et leurs élus. "
C'est de ce côté qu'est la défense de la liberté, n'en déplaise à Adler. Sauver la liberté, c'est sauver la République et la démocratie. Sauver la liberté, c'est la victoire du vote non. Sauver la liberté, c'est, comme y invite Le Bien public, " dans la rue les citoyens et leurs élus " le 22 janvier prochain.
(1) LOLF : loi organique relative aux lois de finances (voir page 16).
Daniel Gluckstein