Les fichiers de TDF

Message par alex » 06 Oct 2004, 13:34

Article paru dans l'édition du 6 octobre 2004.
éco-SOCIAL
Les syndicalistes sur une liste noire


Chez Télédiffusion de France, les élus du personnel ont découvert un scandaleux dossier informatique fichant leur engagement syndical et mettant en cause leur « potentiel » professionnel.

Metz (Moselle),

envoyée spéciale.

L’informatique joue de jolis tours aux DRH, lorsqu’elle permet aux salariés de pénétrer dans la boîte noire de la gestion du personnel. Les syndicats CGT, CFDT, CFTC et FO de l’entreprise autrefois publique Télédiffusion de France (TDF) s’apprêtent à porter plainte au pénal contre leur direction, après la découverte d’un fichier informatique discriminatoire envers les syndicalistes. L’affaire concerne le site de recherche TDF de Metz, qui emploie une centaine de salariés, essentiellement des ingénieurs et docteurs. En juillet, l’un d’entre eux tombe sur un e-mail adressé par un chef de service à la responsable régionale des ressources humaines. Le courrier contient une liste des 14 ingénieurs du département essais, faisant état des « souhaits du salarié » par rapport à sa carrière, et de l’« avis du hiérarchique ».

Dans ce tableau, les ingénieurs sont classés selon un dégradé de couleurs : en bleu, les salariés à fort potentiel, dont le chef vante la motivation. En vert, les éléments au « bon potentiel », dont il déplore tout de même la « motivation fluctuante », le « manque d’initiative », voire une « capacité d’analyse limitée ». Ensuite, les mauvais éléments : en rose, quatre ingénieurs au « potentiel incertain », et en rouge, un vilain canard au « potentiel mal adapté ». Comme par hasard, quatre de ces cinq salariés sont des représentants du personnel. Pour le premier, le cadre écrit « DP + CE [délégué du personnel et au comité d’entreprise - NDLR], très bon technicien, mais s’est laissé entraîner par les organisations syndicales, pas d’investissement dans son travail, le recadrer en EAD (entretien d’appréciation et de développement) ». Le deuxième est « DS CFDT + CCE (délégué syndical CFDT et au comité central d’entreprise), perte de compétences car centré sur les anciennes techno, excuses pour ne pas respecter les délais, manque de fiabilité ». Le troisième est « difficile à gérer, DP, empreint de syndicalisme, fait le strict nécessaire, pas d’ambition, calme plat mais fait son travail sans discuter, fiable dans ce qu’il fait mais fait faux bond sur le planning, continuer à le recadrer ». Voilà pour les trois cédétistes. En rouge, le délégué syndical CGT Michel Fabri : « Ne s’est jamais adapté, difficulté avec sa hiérarchie d’ordre relationnel, intention de le licencier, mais est devenu DS, plainte en 2003 pour harcèlement moral (...), est présent maxi deux jours par semaine. » Or, la loi interdit en effet de mettre en mémoire informatisée l’appartenance syndicale des personnes (1). D’autre part, ce fichier induit un traitement discriminatoire de ces élus du personnel, interdit par le Code du travail (art. L 412-2). Il reproche clairement aux délégués les absences liées à leur mandat, considérées comme une insuffisance professionnelle.

« On sait que des fichiers de ce type existent dans toutes les boîtes, mais à TDF on a eu la chance de tomber dessus et de pouvoir prouver la discrimination », dénonce Michel Fabri, de la CGT. « Quand un chef mentionne les mandats d’un salarié, c’est pour dire qu’il faut s’en méfier ! Cela a forcément des incidences sur notre carrière, sur l’avancement, les mutations... » Pour le cégétiste, classé rouge, le fichier vient confirmer plusieurs années de harcèlement, depuis son engagement syndical en 2002 (voir ci-dessous). Il s’inscrit aussi dans le contexte du durcissement du management qu’a entraîné à TDF l’ouverture du capital. Née de l’éclatement de l’ORTF en 1975, l’entreprise publique est d’abord devenue filiale de France Télécom. Puis,

en 2002, son capital a été cédé à hauteur de 63 % à deux consortiums financiers. « À partir de 2001, pour préparer la vente, la direction a supprimé 640 emplois sans plan social, et s’est lancée dans la course à la rentabilité, raconte Michel Fabri. La pression s’est accentuée, les chefs sont devenus de vrais hiérarchiques, chargés de pousser à l’individualisme, par un système de primes liées à des objectifs fixés lors d’entretiens individuels, les EAD. Aujourd’hui, cette politique continue en vue de l’entrée en Bourse prévue pour 2006. La direction vient d’annoncer 340 suppressions d’emplois, toujours sans plan social. »

Interpellée par les délégués du personnel en août, la direction n’a pas pu nier l’existence du document. Mais elle se défend en expliquant qu’il s’agit d’un fichier provisoire, établi en mai après une réunion de travail par deux cadres, et détruit deux jours plus tard. Elle juge le fichier « inadmissible au regard de la position éthique que TDF a toujours maintenue », et en veut pour preuve l’accord sur le droit syndical signé en 2003. Celui-ci garantit que tout salarié de TDF peut « librement adhérer à l’organisation syndicale de son choix », que « l’appartenance d’un salarié à un syndicat ne doit avoir aucune incidence sur son emploi et sur sa carrière professionnelle », etc. Comme quoi il y a loin des accords à la réalité. Le 6 septembre, l’inspecteur du travail est intervenu à TDF. Il a retrouvé l’e-mail contenant le fichier. Dans ce courrier, le chef conseillait à la responsable RH de « détruire le fichier et de n’en garder qu’une version papier ». « Il y a donc intention de conserver l’information, et conscience du caractère illégal de la chose, commente Michel Fabri. De plus, le directeur du site de Metz était également destinataire du message, donc tout le monde était au courant. »

À Metz, la découverte du fichier a créé un « gros malaise » parmi les salariés. « Ils se sont aperçus que la discrimination syndicale était réelle, raconte le cégétiste. Ils ont aussi compris que les entretiens EAD ne sont qu’une pièce de théâtre, puisque les appréciations réelles sont dans des fichiers parallèles. Tout le monde s’est senti visé. Il faut faire quelque chose, m’ont-ils dit. »

Fanny Doumayrou

(1) Tout comme « les opinions politiques, religieuses, philosophiques, les origines raciales, les moeurs », article 226-19 du Code pénal.

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